25 mars 2010

NOUS SOMMES PRIS DANS LES MAILLES DU FILET DE NOTRE INTERDÉPENDANCE

Tous connectés, tous proches, tous codépendants

"Grâce au langage, nous avons appris à manipuler des concepts et des représentations, et à construire des interprétations. Grâce à l'écriture, nous avons pu stocker de l'information non plus seulement dans notre mémoire personnelle, mais aussi dans un support externe, début d'exodarwinisme mental en reprenant la terminologie de Michel Serres. Grâce à l'imprimerie, ce stockage externe a gagné en puissance avec la multiplication facilitée par la reproduction.
Ce processus se poursuit avec l'arrivée des technologies de l'information :

- Elles viennent donner une toute nouvelle puissance au stockage de l'information : nous sommes constamment à un clic tant de la sauvegarde que de l'accès, et on peut stocker aussi bien de l'écrit et de l'image que du son. Le coût du gigaoctet s'effondre et devient de plus en plus une commodité dont la charge tend vers zéro. Ce stockage se fait maintenant sur le réseau et, grâce à l'indexation, aux liens RSS et aux moteurs de recherche comme Google, l'accès est facile et immédiat quel que soit l'endroit où l'on se trouve.
- Elles nous connectent progressivement tous, individus comme systèmes : le monde devient progressivement une grande toile réticulée qui nous prend dans ses filets. Tout peut se propager : comme la toile d'une araignée vibre à la moindre proie qui se prend dans les mailles, nous résonnons au moindre aléa.
- Chacun peut vivre intellectuellement des situations sans avoir à les expérimenter physiquement : chacun peut avoir un avatar et circuler dans le cyberespace pour y interagir avec d'autres excroissances virtuelles. Le développement des systèmes experts facilite l'élaboration de scénarios et la construction de représentations : il est possible de traiter une quantité de plus en plus grande d'informations, de structurer automatiquement des analyses et des synthèses à partir de ce traitement, d'élaborer des représentations de ces résultats plus facilement manipulables dans l'esprit humain.

De plus, nous sommes non seulement connectés par des systèmes, mais aussi physiquement au contact les uns des autres : nos corps se touchent de plus en plus. Depuis un siècle, la croissance de la population humaine s'est brutalement accélérée : en cinquante ans, nous venons de passer de deux milliards et demi d'hommes à six milliards, alors que nous n'étions qu'un milliard, il y a deux cents ans, et deux cent cinquante millions, il y a mille ans. Demain, en 2050, nous serons probablement neuf milliards.
Dans le même temps, l'impact de chacun de nous est démultiplié par tous les outils mis à notre disposition : grâce aux « objets-monde », il suffit de quelques hommes pour agir sur le monde tout entier. 
Résultat, comme l'écrit Michel Serres, « nous dépendons enfin des choses qui dépendent de nous. (…) Ladite mondialisation me paraît aujourd'hui au moins autant le résultat de l'activité du Monde que des nôtres. » (*)

Qu'est-ce à dire ? Que nous sommes pris dans les mailles de l'effet de nos propres actes, que la boucle d'interaction entre l'action et ce sur quoi on agit devient prépondérante. Témoin les débats actuels sur le climat et le réchauffement de la Terre, l'eau, la pollution, l'énergie…
Conséquence, l'horizon du flou se rapproche et il devient de plus en plus aléatoire de voir précisément au-delà d'un horizon proche. Très vite, nous ne pouvons au mieux que prévoir les grandes tendances, et non plus les évolutions précises.
Plutôt que parler d'horizon de flou, je devrais parler de flou progressif : plus je m'écarte du présent, moins je vois clair. A un moment, le flou est tel que je ne perçois plus que les grandes lignes.

Vers quel système d'organisation allons-nous ? A quoi va ressembler demain ce « Neuromonde » en train d'émerger ?
Personne ne le sait vraiment. Simplement, ce sera un monde où il sera très difficile de démêler les fils, où une action en un point pourra se répercuter de partout. Toutes les crises récentes témoignent de ce flou qui nous envahit de plus en plus."


(Ce texte est un extrait de mon nouveau livre "Les mers de l'incertitude" - p. 67-68 - à paraître fin mai)

(*) Le temps des crises,



24 mars 2010

QUE L’ON TUE OU QUE L’ON ENTERRE, RIEN N’EST SIMPLE POUR AUTANT

Chacun fait comme il peut

Dans l'une des familles, on assassine, dans l'autre on enterre. Comme une complémentarité. Comme si l'une était nécessaire à l'autre…

Pour des canards qui s'envolent sans raison, sans explication, la vie de Tony Soprano bascule. Il ne pourra plus échapper à ce passé qui vient de le prendre à la gorge. Lui qui règne sur sa « famille », lui qui empile les cadavres quand c'est nécessaire, le voilà perdu entre l'enfant qu'il a été, une mère manipulatrice, des maitresses multiples et sa famille. Il va chercher refuge sur le divan d'une psy qui, elle-même, sera séduite et terrifiée par les confidences qui s'accumulent.

Pour une cigarette allumée mal à propos, la vie de Nathaniel Samuel Fisher Senior s'arrête brutalement. Nate, Nathaniel Samuel Fisher Junior, revenu uniquement pour un repas de Noël, ne repartira plus de la maison familiale. Lui qui était parti pour échapper à la pesanteur de cette « maison funèbre », lui qui est toujours au bord de la rupture, coincé entre ses fragilités multiples, le voilà prenant les rênes de la maison, essayant de fédérer comme il peut une mère qui s'émancipe, un frère en mal de coming out et une jeune sœur. Il va chercher refuge dans cette fille aimée brutalement dans les toilettes de l'aéroport.

Tony essaie comme il peut de cloisonner ses univers et de ne pas se trouver piégé dans ses vies parallèles. Mais comment expliquer à son fils qu'il ne faut pas boire le vin de messe, quand celui-ci a compris que son père était un parrain de la mafia ? Comment vouloir une vie familiale catholique et rangée quand on jongle entre sexe, FBI et assassinats ? Comment se confier vraiment à sa psy sans en tomber amoureux ?

Nate essaie de construire sa vie et de cheminer le moins mal qu'il peut. Mais comment construire avec Brenda un couple stable sans additionner leurs névroses respectives ? Comment survire au décès de Lisa et faire face à cet enfant qui la rappelle tous les jours ? Comment aider son frère David à assumer sa sexualité quand on a tant de problèmes avec sa vie ? Comment être spectateur des errements affectifs de sa mère sans la juger ?

Les deux familles font chacune comme elles peuvent. Pas de recettes miracles : que l'on s'appelle Soprano ou Fisher, que l'on soit mafiosi ou croque-mort, on ne peut pas échapper à son passé et on doit simplement apprendre à faire avec. On n'est certes pas seul, et les autres sont là pour le meilleur et le pire. Finalement, on trace son chemin et on avance.


PS : pour en savoir plus ces deux séries cultes cliquer sur ces liens : The Sopranos et Six feet under

23 mars 2010

DEUX « PARADIS » DE LA VOITURE, DU BRUIT ET DU CONSTRUIT

Si seulement quand on chassait le naturel, il revenait au galop !

L'avion est posé depuis une vingtaine de minutes quand j'arrive à la douane. Regard crispé et peu avenant. Coup d'œil sur le passeport et le visa. Pas de questions. Quelques instants plus tard, le taxi roule sur l'autoroute au milieu d'une campagne reconstruite. Alignements d'arbres, puis rapidement de cités qui se succèdent. Le flux des voitures se densifie et les autoroutes s'entremêlent. Paradis du pétrole, du béton et du bruit.

L'avion est posé depuis une vingtaine de minutes quand j'arrive à la douane. Regard fixe et autoritaire. Pas question de plaisanter et de tergiverser. Coup d'œil sur mon passeport, pas besoin de visa. Quelques instants plus tard, le taxi est directement happé dans le flux continu. Parler de flux est inapproprié, vue l'absence de vitesse. L'horizon est rythmé d'autoroutes, d'autoponts et de « mall ». Paradis de la voiture, du commerce et du bruit.

Marcher est toujours une entreprise risquée. L'ordre dans cette ville est dicté par le rapport de force : la voiture domine, et c'est aux vélos de les éviter ; les deux ont pour cible commune les piétons qui s'engagent à leurs risques et périls sur le macadam. Le piéton se cantonne donc dans les espaces qui lui sont réservés. Nuées de fourmis pressées, s'arrêtant parfois pour saisir une brochette, une soupe ou un journal.

Marcher est une activité suspecte. Personne ne marche dans cette ville : on y roule, c'est tout. Quand on s'extrait de sa voiture, c'est pour s'engouffrer dans un bureau, un bar, un restaurant ou un magasin. Les quelques piétons se dépêchent de ne plus marcher, et en sont presque à s'excuser d'être là, pouvant gêner par leur présence l'empire mécanique.

Pour affirmer sa modernité, Pékin a rasé sans état d'âme l'essentiel de son passé. N'ont été épargnés que la cité impériale, quelques jardins et un ilot de « hutongs ». Les grandes avenues et leurs chapelets de cités climatisées ont envahi l'espace, se propageant du centre à la périphérie, périphérie qui s'étend sans fin d'anneau circulaire en anneau circulaire.

Los Angeles est née moderne, et, n'ayant pas de passé, n'a rien eu à raser. Elle étale les étoiles de sa superbe en les imprimant sur les trottoirs d'Hollywood boulevard. Les grandes avenues et leurs chapelets de lotissements dessinent l'espace, se propageant comme un tapis qui se déroule, toujours plus loin.

Au-delà des différences, ces deux mégapoles si distantes dans l'espace physique et culturel se regardent et se jaugent par dessus le Pacifique, comme deux piliers jumeaux de notre modernité actuelle.

22 mars 2010

« LES SCIENCES HUMAINES SONT DES SCIENCES SANS OBJET »

Quand la science en arrive à nier la vie…

Promenade aléatoire et personnelle au sein de « La Barbarie », livre écrit en 1987 par le philosophe français Michel Henry (*)

Vie, conscience et culture…
« La conscience est toujours conscience de quelque chose, elle révèle autre chose qu'elle-même. »
« En son savoir propre, au contraire, la vie ne révèle rien d'autre, aucune altérité, aucune objectivité, rien qui soit différent d'elle, rien qui lui soit étranger. » 
« L'être originel de la vie et de la science elle-même en tant que mode de vie, en tant que pathos, n'est pas, il advient comme l'incessante venue en soi de la vie, comme ce qui, ne cessant de se sentir et de s'éprouver soi-même, ne cesse de s'éprouver de telle façon et ainsi de se modifier de la façon dont se modifie le Souffrir primitif qui constitue la possibilité de toute épreuve. » 
« La vérité originelle étant soi-même son propre critère et disant elle-même, ce qu'elle est, se passe de toute « interprétation » et a fortiori de toute discussion. »
« La culture est l'ensemble des entreprises et des pratiques dans lesquelles s'exprime la surabondance de la vie, toutes elles ont pour motivation la « charge », le « trop » qui dispose intérieurement la subjectivité vivante comme une force prête à se prodiguer et contrainte, sous la charge, de la faire. » 
« Toute culture est la libération d'une énergie, les formes de cette culture sont les modes concrets de cette libération. » 

Science, objectivité et instrumentalisation
« Ce qu'est la vie, au contraire, la science n'en a aucune idée, elle ne s'en préoccupe nullement, elle n'a aucun rapport avec elle et n'en aura jamais. Car il n'est d'accès à la vie qu'à l'intérieur de la vie et par elle, s'il est vrai que seule la vie se rapporte à soi, dans l'Affectivité de son auto-affection. »
« L'objectivisme du projet scientifique implique l'établissement des idéalités en lesquelles le donné se prête à un traitement mathématique. » 
« Tout ce qui peut être fait par la science doit être fait par elle et pour elle, puisqu'il n'y a rien d'autre qu'elle et que la réalité qu'elle connaît, à savoir la réalité objective, dont la technique est l'auto-réalisation. » 
« Négativement la présupposition de la science, c'est qu'il n'y a rien d'autre que l'être extérieur, que la vérité, c'est cette extériorité comme telle, soit, dans la perspective et le langage du savant, l' « objectivité ». »
« Ce n'est donc pas seulement la culture scientifique, c'est l'élimination voulue et prescrite par elle de tous les autres modèles spirituels qui constitue le trait décisif de la culture moderne. »

Sciences humaines, mathématisation et vie
« Dans le cas des sciences humaines au contraire, la mise hors jeu de la subjectivité ne signifie rien de moins que l'exclusion de ce qui en l'homme constitue son essence propre. »
« La physique et les sciences qui lui sont liées conservent cette référence principielle à une nature abstraite qu'elles prennent pour la nature réelle. Mais que peut bien laisser subsister, dans le cas des sciences humaines, à titre de référence ou de thème possible, cette élimination radicale de la subjectivité. En un sens : rien. C'est pourquoi nous disons d'abord que ces sciences sont sans objet. »
« Ce n'est pas en effet le travail vivant et réel qu'on mesure, dont on produit une expression idéale rigoureuse, c'est seulement son double représentatif irréel, soit le travail objectif. Pas même celui-ci, à vrai dire, mais seulement le temps pendant lequel il dure. »
« Cette mesure-là (mathématique du temps) ne mesure rien, ne sait rien du travail effectif, du travail vivant de ceux qui travaillent : ils sont restés huit heures à l'usine, dans leur bureau, mais qu'y ont-ils fait ? »

Science, objectivité et art
« La composition esthétique n'est assurément pas cette sorte de palette de couleurs qu'est devenue la toile sous l'effet des coups de pinceau ou de couteau de l'artiste, mais elle n'est possible qu'à partir d'elle. »
« C'est précisément la méconnaissance du statut ontologique de l'œuvre d'art par le savoir scientifique et par l'esthétique scientifique (qui en prolonge la visée objectiviste) qui conduit une telle « esthétique » à confondre l'œuvre avec son support, à s'imaginer que l'authenticité de la première se recouvre rigoureusement avec celle du second et que, si le support a été refait, l'œuvre originale n'existe plus. »
« Que se passe-t-il ? En raison de son progrès théorique indéfini, la science offre aujourd'hui la possibilité, grâce à diverses méthodes comparatives, de dater un matériau de manière rigoureuse et, par conséquent, de discerner dans un œuvre restaurée ce qui est original et ce qui ne l'est pas. (…) Ce qui importe dans ce monastère byzantin qui se tient devant nous, c'est ce qui en lui peut être rendu objectif de cette façon et à cette fin, ce qui peut être établi scientifiquement, à savoir notamment la discrimination des ajouts, raccords et autres repeints apportés à l'œuvre primitive – et les coups de marteau des démolisseurs qui font dégringoler systématiquement ces adjonctions expriment très exactement ce que le science a à dire au sujet du monastère de Daphni, ils sont la conséquence rigoureuse de son savoir et de son vouloir. »

Université, apprentissage et savoir…
« Il y a toujours à apprendre. Il n'y a aucune raison de quitter l'Université. »
« Mais l'apprentissage ou l'enseignement qui ont rendu l'individu apte à l'exercer se sont interrompus à ce stade de qualification qui était requis. L'individu a quitté l'Université pour entrer dans la vie active. Son activité du même coup subit une mutation essentielle, cessant d'être prise dans un progrès autonome et indéfini de perfectionnement pour se conformer à des modèles arrêtés. »
« Les sciences ne parlent jamais de l'homme ou, ce qui revient au même, elles en parlent toujours en tant qu'autre que lui-même, en tant qu'atomes, molécules, neurones, chaînes d'acides, processus biologiques, physiologiques, etc. Les « lettres » au contraire édifient à leur manière, qui paraît souvent confuse, et même si elles n'ont pas une conscience claire, un savoir réel de l'homme dans son humanité transcendantale. »
« Le changement le plus spectaculaire concerne la philosophie, qui constituait la formation fondamentale, à raison de neuf heures par semaine, pour soixante ou soixante-dix pour cent des élèves des classes terminales et donc l'horaire a été réduit, pour l'ensemble de ces classes, à deux ou trois heures. »
« Le lecteur du Concept d'angoisse de Kierkegaard n'en sait-il pas sur la sexualité un peu plus que celui qui aurait parcouru la totalité des traités scientifiques passés et à venir sur le sujet, avec leur encombrement de statistiques, qui saurait que tant pour cent de jeunes Américains ont connu un rapport homosexuel avant tel âge et que « sept pour cent des Françaises font l'amour dans l'escalier » ? »

Fuite de soi, événementiel et médias…
« Le non-accomplissement de l'accroissement, pathétique comme lui, c'est donc l'ennui. « Je ne sais pas quoi faire » veut dire : à chaque instant la force est là, s'engageant dans son être – mais aucune des pratiques permettant la poursuite de cet engagement aucune des voies offertes par la culture. Il s'agit alors pour cette force qui ne s'accomplit pas de s'oublier en quelque sorte, elle et son pathos, et cela dans la fuite hors de soi – pour autant que dans cette extériorité quelque chose se lève devant le regard à chaque instant et le captive : l'image télévisée. »
« Ce qui est là maintenant, en cet instant qui retentit en même temps dans le monde entier, c'est justement ce monde tout entier, la totalité des événements, des personnes et des choses. Il faut donc choisir. Qu'est-ce qui dirige ce choix ? Sur le tout de la réalité les médias jettent une grille, ne retenant d'elle que ce qui correspond à cette grille. »
« Ces événements présentent un caractère commun : l'incohérence. Considéré isolément, chacun d'eux se résume à un incident ponctuel. Ni ses tenants ni ses aboutissants ne sont donnés avec lui. »
« Parce que la communication médiatique définissant l'existence médiatique envahit tout, les valeurs aussi sont désormais celles des médias. La liberté, la liberté fondamentale et essentielle, « la clef de voûte de toutes les autres », c'est la liberté de la presse, la liberté de l'information, c'est-à-dire en vérité la liberté des médias et ainsi de l'existence médiatique elle-même, la liberté sans limite d'abrutir, d'avilir, d'asservir. »

(*) Mille mercis à Paule Orsoni pour m'avoir conseillé cette lecture !

19 mars 2010

IL FAUT RETISSER LA CONFIANCE EN FRANCE

______ Éditorial du vendredi ________________________________________________________________

Rappel du patchwork de la semaine :
- Lundi : Où l'on voit que, dans nos systèmes complexes, la performance économique collective est directement liée au degré de confiance vis-à-vis des institutions et de ses concitoyens, et que, à ce jeu là, la France est très mal placée. 
- Mardi : Où l'on se rend compte qu'il ne sert à rien de promettre des récompenses, sauf dans les cas les plus simples. A nouveau, dans une situation complexe, c'est d'abord une affaire de confiance en soi.
- Mercredi : Où l'on apprend que notre mémoire nous raconte des histoires incomplètes et partiales, que la fin compte plus que le début, et qu'une belle histoire qui se termine mal ne laissera qu'une trace négative.
- Jeudi : Où les entreprises sont comme les individus à la fois fortes de leur passé et prisonnière de leur mémoire, qu'elles se construisent des interprétations au travers de leurs langages.

Depuis longtemps, on dit que les élections se gagnent ou se perdent dans les six derniers mois, et que tout ce qui s'est passé avant, n'a que peu d'importance. Et si ceci avait affaire avec ce jeu de la mémoire qui ne se souvenait que de la fin des histoires. C'est à la fois rassurant – cette capacité que nous avons d'oublier, ou plutôt de ne pas nous souvenir, est l'occasion de cicatriser des peines passées –, mais aussi inquiétant, car cela peut nous conduire à oublier nos erreurs passées et à les répéter sans fin.

Notamment notre erreur collective principale n'est elle pas dans notre difficulté à nous faire confiance les uns les autres ? N'est-ce pas ce qui est la cause de la surabondance des textes réglementaires, des contrôles de tous ordres, et de notre mal-être à vivre ensemble ? J'ai le souvenir d'un débat public que j'ai contribué à organiser pour le compte d'une entreprise cliente, et au cours duquel aucun des participants n'apportait un quelconque crédit à ce que disait cette entreprise. Comment avancer de façon constructive dans un tel contexte ?

Quand allons-nous commencer à construire cette confiance mutuelle et retisser la société ? C'est probablement à ce prix-là que nous pourrons retrouver une relation collective plus apaisée, plus productive et aussi plus heureuse…

18 mars 2010

TOUT EST AFFAIRE DE MÉMOIRE ET D’INTERPRÉTATIONS

Ce n'est pas gagné !

Il y a dix-huit mois, à l'occasion de la sortie de mon livre Neuromanagement, j'ai eu l'occasion dans une courte vidéo de préciser en quelques mots le rôle de la mémoire, et pourquoi ceci était valable tant pour qu'un individu que pour une entreprise.

En effet, l'entreprise, elle-aussi, se nourrit d'interprétations. Comme pour un individu, elles reposent sur la mémoire et des langages. Les langages sont essentiellement ceux des mots, mais pas seulement : chaque population technique a son propre langage qui est un de ses vecteurs d'efficacité. Les mots eux-mêmes dans une grande entreprise relèvent des langues multiples : même s'il existe toujours une langue dominante qui sert de support à la communication collective, cela suppose pour bon nombre un double effort de traduction. On a ainsi des langages multiples et donc autant de traductions qui sont des risques d'incompréhension et d'erreurs. Pour faire court, et m'exprimer en langage populaire : « Ce n'est pas gagné ! »…

17 mars 2010

NOTRE MÉMOIRE NOUS RACONTE DES HISTOIRES

Pourquoi mesurer la satisfaction client en temps réel ?

Quand Daniel Kahneman, prix Nobel d'Économie et spécialiste de l'exploration des conséquences des neurosciences, nous parle du bonheur, et de la différence entre l'expérience vécue et la mémoire que l'on en a, cela vaut la peine de l'écouter.

Vingt minutes passionnantes (en anglais, avec possibilité d'activer les sous-titres anglais), où il nous fait comprendre que ce qui est important ce sont les histoires que la mémoire nous raconte, qu'être heureux dans notre vie ou être heureux de notre vie ne sont pas identiques, que les dernières secondes d'une expérience vécue peuvent à elles-seules provoquer un souvenir globalement négatif…

Ne faudrait-il pas tenir compte de ces enseignements pour suivre la satisfaction des clients, et mieux comprendre pourquoi ils sont fidèles ou pas ?

16 mars 2010

POURQUOI LES RÉCOMPENSES SONT-ELLES CONTRE-PRODUCTIVES ?

La performance est affaire de confiance

Une autre conférence, tenue cette fois par Dan Pink, consultant, dans laquelle il parle de motivation.

Il insiste ainsi sur le décalage entre les pratiques managériales – on veut faire avancer mieux et plus vite par des récompenses – et ce que nous disent les études sociologiques – dans des situations complexes, les récompenses sont contre-productives : « Il y a une disparité entre ce que la science sait et ce que les entreprises font »

Et si la performance était plus une affaire de confiance que de récompense ? (voir aussi la conférence présentée hier)

(dans la video ci-dessous, vous pouvez activer des sous-titres en français)

15 mars 2010

COMMENT VIVRE LA COMPLEXITÉ SANS CONFIANCE ?

En France, nous nous méfions les uns des autres

Dans cette conférence tenue en décembre 2009 à l'École Normale Supérieure, Yann Algan, professeur à Sciences Po, montre que : 
- En France, nous avons un déficit de confiance tant vis-à-vis de nos institutions que de nos concitoyens : par exemple, nous sommes parmi les pays qui ont la plus forte défiance vis-à-vis de leur justice. Ou encore, une français sur cinq fait confiance spontanément à quelqu'un qui ne connait pas versus trois sur quatre dans les pays d'Europe du Nord
- Il y a un lien direct entre le niveau de confiance dans un pays et la performance économique : par exemple, plus le degré de confiance est élevé, plus le pourcentage d'investissement l'est aussi, ce qui « est d'autant plus fondamental dans nos économies d'innovation ». Ou encore, moins il y a de confiance, moins il est facile de créer une entreprise, car plus les contrôles sont tatillons et multiples…

Un peu plus de quinze minutes à écouter… et à méditer

12 mars 2010

PLUS COMPLÉMENTAIRES QUE DIFFÉRENTS, PLUS SOLIDAIRES QUE RIVAUX ?

______ Éditorial du vendredi ________________________________________________________________

Rappel du patchwork de la semaine :
- Lundi : Un homme seul ou un homme mort, A single man ou Dead Man ? Double glissade vers la mort. L'une lancinante et comme immobile. L'autre architecturée et comme compassée. Les deux sont inexorables. 
- Mardi : Bénarès ou Wall Street ? Aux deux bouts du monde, les uns se baignent dans les eaux du Gange, quand d'autres se plongent dans celles du dollar. Les flux de la foi et du mythe face aux flux de l'argent et de l'économie.
- Mercredi : Comment se sortir de la neige ? Quelle que soit l'énergie individuelle que l'on met pour faire face à une situation, sans support collectif, on est bien peu de choses… 
- Jeudi : Mosquée de Casablanca ou Mont Saint Michel ? Chacun face à sa mer est un cri des hommes vers Dieu. Comme un appel qui se répond au-delà du temps et de la distance.

Quand j'observe le monde dans lequel nous vivons et que nous contribuons à construire, quand je le parcours au hasard de mes itinérances, je nous vois comme fascinés par notre mort collective : à l'instar de Dead man, nous nous regardons détruire notre univers. Ce monde n'est pas notre environnement – comme ce mot est dangereux ! –, il n'est pas autour de nous, et nous ne sommes pas au centre : non, nous faisons partie de ce monde et nous ne pouvons nous abstraire de lui et le penser comme en dehors de nous.
Nous jouons de notre monde comme nous jouons à Wall Street : nous spéculons sur des futurs possibles, nous ergotons autour de prévisions chiffrées, nous échangeons des positions. Or, il faut comme à Bénarès comprendre que ce monde est notre Gange, que nous nageons dedans et qu'il est la source de tout.
Bien sûr, nous pouvons continuer encore pendant de longues années à nous croire chacun dans notre pays des Rambo capables isolément de nous extraire de cette « neige » qui nous bloque, nous pouvons chacun sur notre rive appeler notre Dieu à la rescousse, et penser ainsi gagner contre les autres. Mais la fin collective est alors certaine.
Ou nous pouvons sortir de notre jungle mentale et physique pour voir que nous sommes unis par le monde auquel chacun de nous appartient, et que nous sommes plus complémentaires que différents, plus solidaires que rivaux…

 

11 mars 2010

DIALOGUE À DISTANCE ENTRE DEUX CRIS DES HOMMES

La mer les regarde et les unit

Il est devant moi, immense. Insolite comme une anomalie posée là où il ne faut pas. Une pyramide de pierres, cherchant à s'extraire du sol et des remparts… Impossible d'y échapper. Comme un cri des hommes vers ce Dieu qui, peut-être, nous regarde.

Elle est devant moi, immense. Insolite comme un château de sable construit par un enfant de génie. Un geste vers le ciel, un jeté de brique et de marbre, un saut liant avenir et passé. Comme un cri des hommes vers ce Dieu qui, peut-être, nous juge.

A ses pieds, sont les marchands du temple, ceux que Jésus a honnis. Il faut avancer vite, ne pas regarder, passer le plus vite possible du regard lointain à celui de proximité. Se retrouver dans ces pièces étranges et envoutantes, cernées de vent et de mer, de passé et d'imaginaire. Rêver que l'on a été l'un de ces moines et regarder la mer se retirer.

A ses pieds, le vide et le creux. Inutile de se presser, on peut savourer l'approche, pas de boutiques à touristes, juste un espace où l'on peut perdre ce bruit qui nous habite de trop. Se retrouver devant ce mur énigmatique et envoutant, avec la ville tout autour qui bruisse, la musique des vagues qui s'en viennent taper au pied.

Depuis longtemps, j'aime me retrouver au Mont Saint Michel. Lieu magique, commerces païens à l'entrée, présence divine avant et après, beauté mystique, habitée bien que vide, et surtout là où elle est vide. Signature verticale qui émerge du sable et des vagues. Ma première rencontre a laissé en moi une cicatrice qui ne s'est jamais refermée et me ramène périodiquement sur le lieu de sa création.

Ce week-end, j'ai découvert la Grande Mosquée de Casablanca. Lieu magique, aucun commerce à l'entrée, présence divine avant et après, beauté brute, vide bien qu'habitée, et surtout là où il y foule. Signature verticale qui émerge de la ville et des hommes. Cette première rencontre a laissé en moi une cicatrice qui n'est pas près de se refermer et me ramènera à Casablanca.

Télescopage à distance entre ces deux cris des hommes, séparés par des siècles et des milliers de kilomètres. Et si chacun des deux en regardant sa mer, rêvait de pouvoir enfin voir l'autre…

10 mars 2010

EN TOUT PARISIEN, IL Y A UN MALADROIT QUI SOMMEILLE

IIl est parfois des voyages en Provence qui se transforment en randonnée neigeuse

7h50 TGV Gare de Lyon : Malgré – ou plus tôt à cause des informations météo –, j'ai décidé de confirmer mon voyage à Grignan. Occasion de le voir enfin nappé de neige.

10h 43 Arrivée à Montélimar : La neige est bien là. Étrange, comme un goût de Bourg Saint Maurice. Pour un peu, je chercherais le funiculaire allant aux Arcs. Mais non, c'est Moldu(*) que je cherche, elle qui m'attend pour m'emmener à Grignan. Retrouvailles après près de trois mois d'absence. Elle est bien là, fidèle et sage. Un arrêt pour des courses au Carrefour, un sandwich version italienne au McDo – et oui il y a maintenant un McDo au parmesan ! -, et me voilà en route pour Grignan.

13h Arrivée à Grignan : La route s'est passée sans problème. La neige n'est qu'un paysage, elle jalonne les côtés, parfois s'aventure sur la chaussée, mais si peu. Elle sait se faire discrète, elle n'est là que pour le plaisir des yeux. J'avance donc confiant. Traversée de Grignan, prise de la route de Taulignan. Montée, virage à droite, et vue alors sur la petite route qui va m'emmener jusqu'aux Tauliers. Un brin d'inquiétude alors : elle n'est vraiment pas dégagée… Mais je reste confiant, croyant à ma bonne étoile.

13h10 La non-arrivée aux Tauliers : Sur la petite route, je conduis un peu nerveusement. Il y a vraiment beaucoup de neige, et rien n'a été dégagé. Me vient alors l'idée que je pourrais avoir un problème et ne pas atteindre la maison. Et bingo ! Quelques instants plus tard, me voilà fiché dans la neige. Impossible d'avancer. La classe A est une voiture sympa, mais ce n'est pas vraiment un 4x4 : je ne m'étais jamais rendu compte jusqu'alors comme elle pouvait être basse. Elle s'était comme encastrée dans la neige. Impossible d'aller plus loin… en voiture.

13h30 La marche à pied : Pas d'autre solution que de finir à pied. Heureusement en partant de Paris, j'avais pris mes après-ski. Pas de problème, il ne restait qu'un kilomètre. Vision étrange. De la neige fraiche partout, aucune trace. Fantasme du skieur accompli : je suis le premier à marquer la neige. Descente vers la maison, bonjour à la truffière figée dans le blanc. La maison est froide, mais pas glaciale - elle est à 10°C environ -. Reste à s'occuper de la voiture qui bloque la route et accessoirement aux courses restées dans le coffre.

De 14h à 18h L'inutile parisien
: Comment quelqu'un – moi en l'occurrence – qui n'a aucune pratique de la neige et de la conduite automobile dans un tel milieu va chercher à libérer une voiture bloquée. Je ne vais pas entrer dans les détails de cette lutte qui, à part mon côté obstiné, n'est pas à verser dans la colonne des combats noblement gagnés. La neige était plus forte que moi. Sachez simplement que j'ai à l'occasion ruiné les tapis de sol amovibles de la voiture en les mettant sous les roues pour essayer de fournir une adhérence qui ne s'est finalement révélée que fictive. Que, pendant que j'étais parti à la recherche d'un secours quelconque en faisant le tour des maisons voisines, une voiture est arrivée manifestement un peu trop vite, et surprise par la présence de la mienne immobilisée en plein milieu, a choisi d'aller s'abandonner dans le champ voisin, plutôt que d'emboutir Moldu. Je le sais, car, quand je suis revenu bredouille, j'ai vu cette voiture abandonnée à proximité. Je me suis senti vaguement coupable, mais plus par incompétence que par malignité.

18h : La délivrance : Alors que depuis une heure, j'avais choisi courageusement d'abandonner l'idée d'aller en avant et m'évertuais d'essayer à reculer, j'entendis un bruit. Une pelle mécanique arrivait. C'est dans ces moments-là que l'on est content de payer des impôts locaux. En effet, c'était un employé municipal qui, consciencieusement, l'une après l'autre, nettoyait les routes de la commune. « Vous auriez dû appeler, je serais venu plus tôt, si j'avais su que vous étiez bloqué ». Quelques minutes plus tard, la voiture arrivait à la maison…

(*) Moldu est le surnom de ma voiture, par déférence à Harry Potter, car , comme pas mal d'entre vous, je ne suis qu'un moldu…

9 mars 2010

LES DEUX MECQUE

Aux deux bouts du même monde

L'eau semble couler comme paresseusement. Quelques indiens assis sur les marches improbables d'un gât regardent des buffles descendre doucement dans l'eau. Le brouhaha des ruelles résonne dans l'arrière-plan.

Les écrans de contrôle affichent de chiffres qui changent sans cesse. Quelques managers assis sur leur bureau regardent des hommes en chemise frapper frénétiquement sur des claviers. L'effervescence des rues ne parvient pas jusqu'à l'intérieur des salles de marché.

Le chant mélancolique et rythmé de Lali Baba ponctue les lumières qui se reflètent dans les eaux du Gange. En arrière-plan, des danseurs ondulent dans les odeurs de l'encens. Assis parmi les fidèles, je suis envoûté par la synchronicité du lieu, des voix et des mouvements.



Une chanson de Bruce Springsteen fournit le fond sonore aux conversations qui se propagent dans ce bar de Wall Street. En arrière-plan, les lumières des voitures rayent la vitrine. Accoudé au comptoir, je suis plongé dans l'effervescence de la nuit qui se réveille.



Des gurus qui en appellent à trouver le chemin d'un futur incertain, des temples où brûlent espérances et rêves, des charmeurs de serpents qui apprivoisent la mort potentielle en en faisant un spectacle, Bénarès est une Mecque fascinante.

Des experts qui affirment connaître l'évolution des cours, des banques où se consument les spéculations, des traders qui jouent sur la vie du monde, Wall Street est une Mecque fascinante.

Je regarde une fois de plus ce Gange qui borde Bénarès et lui donne son sens. Je finis par me décider : j'enlève mon tee-shirt et me plonge dans l'eau pour retrouver ceux qui sont plus proches de moi que différents. Il est des Mecque qui sont plus porteuses de sens que d'autres, et des eaux dans lesquelles il faut savoir ne pas nager. Celles du Gange ne sont pas les plus dangereuses…

8 mars 2010

LA MORT EST INÉVITABLEMENT AU RENDEZ-VOUS

Histoires d'hommes


Un jeune homme, William Blake, traverse tous les États-Unis dans un train. En même temps, le générique défile en contre-point du paysage. Dans ce symbole de la technologie humaine, il rejoint une ville improbable d'un Far West naissant.
Un homme, George Falconer, dans le milieu de sa vie enchaîne sur un rythme un peu compassé des gestes matinaux. En même temps, des images du passé surgissent en contre-point de son présent. De sa maison californienne sur-esthétisée, il se prépare à sortir.

De la rencontre de cette ville, William ressort blessé à mort. Poursuivi sans relâche pour ce meurtre qu'il n'avait pas voulu, il tente lentement de faire en sens inverse le chemin qu'il avait mécaniquement fait dans le générique. Glissant vers sa propre mort que l'on sent inévitable, il essaie de s'extraire de ce Far West qui n'était pas le sien.
Cette journée, George ne va pas la vivre, mais juste la parcourir. Hanté par un amour tué qui l'a laissé détruit, il traverse les moments et les lieux. Glissant vers sa propre mort que l'on sent inévitable, il prépare méthodiquement sa sortie de ce monde auquel il n'appartient déjà plus.

L'indien Nobody essaie bien de sauver William, en lui ouvrant les portes de cette nature dans laquelle il vit en osmose. Mais comment celui qui n'est que personne pourrait-il se mettre en travers d'une mort déjà programmée ? Alors les notes lancinantes de la musique de Neil Young viennent transpercer l'espace et finir le chemin de la balle qui avait blessé William. Et il s'en va glissant sur les eaux qui, doucement, emportent son corps …


Un des ses élèves, Kenny, essaie bien de sauver George, en faisant le don de sa beauté romantique et du futur potentiel émanant de son corps sortant de l'adolescence. Mais comment l'attraction de la jeunesse pourrait-elle stopper une mort déjà accomplie ? Alors, bien qu'en rangeant son revolver dans le tiroir, George ait finalement abandonné le projet de mourir, son corps en décide autrement. Et il tombe au pied de son lit, pendant que Kenny dort paisiblement.

A la beauté des paysages naturels filmés par Jim Jarmusch répond l'univers sur-construit de Tom Ford. Des deux films émane comme un vide dans lequel soit on se noie douloureusement, soit on tombe amoureusement. On peut s'en réveiller ensuite en baillant … ou en rêvant de nature et de bras réconfortants. La vision de la mort peut détruire ou faire renaître. C'est selon…


5 mars 2010

SE MÉTISSER POUR ÊTRE RICHES ENSEMBLE

______ Éditorial du vendredi ________________________________________________________________
Rappel du patchwork de la semaine :
- Lundi : Premier effet miroir entre le Prophète et Tetro. Parallélisme des chemins, ouvertures créées par des portes poussées, réponses inattendues et morts du père inévitable.
- Mardi : Deuxième effet miroir, cette fois entre le Bal de Laze et Mourir pour des idées. Où l’on voit que, dans le monde de l’incertitude, il est bien imprudent de vouloir mettre sa vie en jeu trop vite…
- Mercredi : Deux fois quatre femmes qui n’ont apparemment rien en commun et que tout oppose, celles de Desperate Houseviwes et celles de Sex and the city. Et pourtant quand on y regarde de plus près, les frontières sont floues et perméables.
- Jeudi : Finalement c’est le regard du littéraire Proust qui est plus scientifique que celui d’Asimov. Il est illusoire de croire que l’on pourra un jour prévoir le futur et exact que notre mémoire recompose constamment notre passé.

Voilà le début d’un jeu de miroirs. Pourquoi cela ?
Pour montrer que notre monde est fait de yin et de yang, de différences créatrices, d’écarts significatifs.
Avant l’humanité avait vécu cloisonnée, chaque nation restant enfermée chez elle. Les échanges se faisaient aux franges, les rapprochements à l’occasion des conflits.
Depuis un siècle, nous sommes devenus juxtaposés : sur nos territoires, cohabitent les origines, les cultures et les religions. Cette cohabitation est source de combats, de frictions et d’incompréhensions.
Demain, nous devons apprendre à dépasser ces différences, trouver nos points communs et aller vers le métissage. Alors nous pourrons être riches tous ensemble.

4 mars 2010

À LA RECHERCHE DU TEMPS PERDU OU D’UN FUTUR INCONNU

Le plus moderne n’est pas le plus scientifique
Proust part à la recherche du temps passé, quand Asimov part à celle du temps qui n’est pas arrivé. Quêtes symétriques et opposées.

Au travers d’un long retour en arrière, Proust nous faire replonger dans les détails de son enfance, puis nous fait cheminer dans les méandres de sa vie. Son récit est fait de rebonds multiples associant les odeurs, les bruits ou les couleurs. Il s’arrête souvent dans un passé immobile, n’en finissant plus de zoomer à l’intérieur d’un moment, ajoutant précision sur précision, fioriture sur fioriture. Comme dans les mathématiques fractales, nous tombons verticalement dans des structures autosimilaires. Comme si notre œil était vissé sur un microscope électronique, nous n’en finissons pas d’entrer plus au cœur de cet instant. Quand le récit reprend son cours, nous sommes presque surpris, de sentir le temps à nouveau s’écouler.
Au travers d’une longue plongée vers le futur, dans sa saga sur la Fondation, Asimov nous projette dans des mondes hypothétiques. Son récit est fait de fulgurances et de constantes accélérations. Nous suivons la progression de cette petite fondation créée au bout de l’empire galactique et son passage au travers des différents stades de développement d’une société. Asimov n’a pas le temps de s’arrêter dans de longues descriptions, les années et les siècles s’enchaînent à toute vitesse, et nous avons devant nous un film accéléré du futur. Quand parfois il prend le temps d’une précision, nous sommes interloqués de sentir le temps s’arrêter.

Proust nous fait découvrir que le passé n’est pas figé, mais un souvenir constamment composé et recomposé : notre mémoire est une matière vivante dans laquelle nous pouvons jouer. Source infinie de créativité.
Asimov nous fait croire que l’on peut prévoir le futur et agir au présent pour le modifier de façon certaine. Il imagine des psycho-historiens qui sont capables de savoir à l’avance que le monde va à sa perte et ce qu’il faut faire aujourd’hui pour que quelque chose advienne demain
Finalement le plus moderne des deux est le moins scientifique : Asimov est encore imprégné de la vision de Laplace qui pensait que nous saurions tout un jour. Or tous les développements scientifiques du siècle dernier - mécanique quantique, théorie de la relativité, et tout récemment mathématiques du chaos, biologie et neurosciences- nous ont montré que le futur était encore plus incertain que notre passé. Ainsi il est inutile de partir à la recherche d’un quelconque futur, car, tant qu’il n’est pas advenu, on ne peut pas savoir ce qu’il sera !

3 mars 2010

HISTOIRES DE FEMMES

De Wisteria Lane à New York

Quatre femmes attablées autour d’une table de salle à manger échangent sur les heurs et malheurs de vie de couple. Quatre autres attablées à la table d’un café font le point sur leurs dernières frasques amoureuses.
La première scène se passe à Fairview, la deuxième à New-York. Les premières sont les héroïnes de Desperate Houseviwes, les autres de Sex and The City.
Étonnant effet de miroir entre les deux séries.
La première se déroule dans le conformisme d’une banlieue américaine. Comme dans un huis clos élargi, on retrouve épisode après épisode, saison après saison, les mêmes couples prisonniers de leurs habitudes et de leurs conventions. Quelques apports externes – un couple qui emménage ou déménage, un meurtre suspecté et inexpliqué,… –  viennent apporter une apparence de diversité, mais ce n’est pas l’essentiel. L’important est dans le jeu sans fin qui les occupe, elles quatre et leurs époux.
La seconde se passe dans la folie de la vie new-yorkaise. Cette fois, tout bouge autour d’elles. Les amants et les aventures défilent dans un carrousel sans fin. Elles se disent à la recherche d’une stabilité qu’elles rejettent dès qu’elle se présente. Prises dans la bourrasque de leur vie et de leur ville, d’une nouvelle paire de chaussures à une nouvelle partie de jambes en l’air, elles courent sans cesse.
Si maintenant on zoome à l’intérieur de ces deux groupes féminins, les différences commencent à se gommer et les frontières deviennent floues : Gabrielle Solis, ancienne mannequin, rêve de shopping et semble être toujours à deux doigts de s’enfuir de Wisteria  Lane pour rejoindre une boutique branchée de New-York. Charlotte York a du mal à suivre le rythme débridé des trois autres, et on la sent pouvoir à tout moment se réfugier dans un pavillon confortable d’une quelconque banlieue bourgeoise.
Et finalement que l’on soit resté immobile dans Wisteria Lane ou que l’on ait couru dans les rues de New York, on finit toujours par rester au même endroit : toutes quatre se retrouvent sans cesse autour de la même table à ressasser les mêmes histoires.

Comme le miroir de ces deux séries, notre monde est fait de contrastes apparents, de proximités cachées, de métissages potentiels et de vaines agitations…

2 mars 2010

NE MOURRONS PAS TROP VITE ET POUR RIEN !

Difficile dans le flou d'être sûr de ses choix

La chanson « Le bal de Laze » a toujours été au Panthéon de mes chansons préférées. Michel Polnareff y dresse le tableau d'un jeune homme qui raconte son amour impossible pour la fille des châtelains dont il n'est que l'employé. Comme il n'avait pas pu supporter de la voir en épouser un autre, le soir des fiançailles, il avait tué le fiancé. La chanson se passe alors qu'il est en prison et va être pendu le lendemain. À la fin, il dit : « Ma dernière phrase sera pour qu'on me plaigne, puisqu'on va lui donner un autre fiancé et que je n' pourrai pas supprimer celui-là ». Beauté d'un amour romantique absolument désespéré.



Ceci me fait penser à cette autre chanson, cette fois de Georges Brassens, « Mourir pour des idées » : « Car, à forcer l'allure, il arrive qu'on meure pour des idées n'ayant plus cours le lendemain. Or, s'il est une chose amère, désolante, en rendant l'âme à Dieu c'est bien de constater qu'on a fait fausse route, qu'on s'est trompé d'idée. Mourrons pour des idées, d'accord, mais de mort lente »



Ainsi si les combats désespérés sont bien les plus beaux, ils n'en restent pas moins le plus souvent inefficaces et sans portée réelle. Dans l'incertitude qui nous baignent tous, prenons le temps de la réflexion et faisons attention à ne pas « mourir » trop vite et pour rien…

1 mars 2010

LA VIE N’APPORTE JAMAIS CE QUE L’ON CHERCHE

Télescopage entre Tetro et le Prophète ou quand Coppola répond à Audiard…


Deux jeunes hommes, sortis depuis peu du monde de l'adolescence, poussent une porte qui fera que leur vie ne sera plus jamais la même.

L'un la pousse volontairement : Bennie, échappé du domicile paternel, tout habillé du blanc de son uniforme de marin, pénétrant dans l'appartement de son frère. Ce frère, nettement plus âgé que lui, l'a abandonné brutalement, sans un mot, sans une explication, le laissant désemparé. Il le retrouve ici à Buenos Aires, au milieu des jeux du théâtre et de la musique. Est là aussi celle qui a recueilli son frère et peu à peu aider à se reconstruire.

L'autre la pousse involontairement : Malik, condamné à six ans de prison, habillé d'un jogging gris, propulsé dans un univers qu'il n'a pas choisi et qui lui est étranger. Muré dans son incapacité à lire ou écrire, il n'est que le jouet des événements et la victime de ceux qui, tout puissants, règnent. Il n'a d'autre choix que de se plier à cette loi, et de devenir une sorte de bonne du chef de clan corse.

Petit à petit, Bennie va se rapprocher de ce frère qui cherche à le garder à distance. Il était venu pour fuir son père et retrouver son frère. Entremêlé dans les fils de son passé, prisonnier d'une histoire qui est bien la sienne, mais à laquelle il ne peut rien, le voilà qui finira par trouver ce qu'il n'aurait jamais pouvoir imaginer trouver. Celui qui était son père au début en sera pour une deuxième mort…

Petit à petit, Malik va faire son chemin, décryptant instinctivement les règles de ce monde qui n'était pas le sien. Se fondant dans le paysage, retournant à son profit ce que les autres prennent pour sa faiblesse, le voilà qui finira par devenir le caïd. Celui qui était son protecteur au début sera sa victime.

Drôle de parallélisme entre deux résurrections : l'une en forme de rédemption, l'autre de damnation. L'un croyait savoir ce qu'il cherchait, l'autre ne cherchait rien. L'un perd définitivement le frère qu'il voulait pour y gagner un père auquel il ne croyait plus, l'autre s'insère dans la société au moment où celle-ci a voulu l'enfermer. Les deux en viennent à tuer leur père d'origine. Et à chaque fois, la vie vient apporter des réponses à des questions que l'on ne se posait pas…


PS : Sur Tetro, allez lire  "Garde le fil qui te lie à ton âme", et sur le Prophète "Un film initiatique total", deux excellents textes de la philosophe Paule Orsoni