19 juin 2015

PUZZLE

Enfants
Au cours de mes voyages, j’ai toujours aimé saisir des instantanés d’enfants.
Rencontres aléatoires et fortuites, au hasard de mes déambulations. 
Aucun de ces enfants ne se ressemble. Chacun a son histoire, sa culture. Aucun ne vient du même village, ni souvent du même pays.
Mais rapprochés ainsi, ils se répondent en écho. Toujours en groupe, ils sont. Une complicité joyeuse les anime, et les bras, volontiers, s’entremêlent.

Rien que pour le plaisir du souvenir et de leurs sourires,  ci-joint un kaléidoscope…

17 juin 2015

CHERCHER LA FACILITÉ EST NÉCESSAIRE, ET CE N’EST PAS SIMPLE !

Dur, dur de faire "facile"
« La grande stratégie est sans coup d’éclat, la grande victoire ne se voit pas. (...) Méditer la poussée des plantes : ni volontarisme, ni passivité ; mais, en secondant dans le processus de poussée, on tire parti des propensions à l’œuvre et les porte à leur plein régime. » (1)
L’action ne doit pas seulement être locale et cohérente avec la stratégie, elle doit aussi être efficace, c’est-à-dire tirer parti des situations, et s’inscrire dans la durée, ce qui suppose de chercher la facilité.
Je conçois que, pour nos esprits habitués à la pensée occidentale, parler de facilité peut sembler une provocation et un contresens : comment vouloir viser la facilité dans un monde incertain ? Mais si nous opposons facilité et incertitude, c’est parce que nous nous méprenons sur la notion de facilité, et que, pour nous, elle veut dire souvent paresse ou passivité, au mieux absence de volonté et d’effort. Nous sommes persuadés que chercher la facilité est facile…
Ce que nous aimons, forts de notre culture, c’est la transpiration et la difficulté : le manager méritant est celui qui part à l’escalade d’une montagne, si possible enneigée et escarpée, c’est le premier de cordée, celui qui apprécie se trouver en avant et aller à l’assaut des obstacles. Mais s’il part pied au plancher, au maximum de ses capacités, à l’assaut d’une falaise, comment fera-t-il quand des aléas et des difficultés imprévues surviendront ? S’il part à contre-courant ou à la limite de ce qu’il peut entreprendre, si, dès le départ, il n’a pas privilégié ce qui était le plus naturel, comment fera-t-il face à la nouveauté, au problème qui surgit sans qu’il l’attende ? Et si c’est toute l’entreprise qui est ainsi aux taquets, à la limite de ce qu’elle peut faire, comment réagira-t-elle face à une attaque non planifiée d’un concurrent, au retard d’un lancement d’un produit critique ou à la perte d’un client majeur ?
(1) François Jullien, Conférence sur l’efficacité
(extrait des Radeaux de feu)

15 juin 2015

LA CULTURE EST UN CIMENT QUI ÉMERGE LENTEMENT

Grandir sans changer
La culture naît d’un compost, et c’est ce qui fera de l’assemblage hétérogène d’hommes et de femmes d’origines et d’âge différents, une collectivité : ce compost en crée un autre. C’est elle qui permettra au groupe d’acquérir des propriétés nouvelles.
A titre d’exemple, j’aime bien ce que relate Kevin Kelly dans Out of Control. Imaginez le jeu suivant : prenez un groupe de personnes et demandez-leur de se mettre en cercle. Sur votre ordre, chacun doit plier ses jambes et s’asseoir sur les genoux de son prédécesseur. Si le groupe est soudé et synchrone, si chacun a confiance dans l’autre, le groupe devient une chaise collective autoporteuse. Si un seul manque, tout s’effondre. Une sorte de radeau de feu simplissime et primaire. Ainsi que Kelly l’écrit : « Toutes les causes sont des résultats, comme tous les genoux sont des sièges. Contrairement au sens commun, toutes les existences dépendent de l’existence consensuelle de toutes les autres. »
La culture est le point de référence qui permet des émergences synchrones, ces nouvelles propriétés circulaires. Impossible de savoir qui est à l’origine du résultat obtenu, car chacun en est la cause et la conséquence, le commencement et la fin. Comme dans les vols d’étourneaux, pas besoin de contrôleur central pour avoir la puissance du groupe et la capacité à prendre des initiatives individuelles. Simplement, c’est au dirigeant de faire en sorte que cette culture existe et soit vivante.
Alors, si l’entreprise grandit et se transforme sans changer, si les matriochkas stratégiques apportent une référence stable et permanente, si ceci se transforme en une culture diffusée et partagée, les individus feront société, des performances collectives insoupçonnées et imprévues naîtront, et des mouvements autonomes, émergeront la puissance, la souplesse et la résilience. Tel un fleuve, elle captera les eaux tout autour d’elles, fera des autres ses affluents, sortira de son lit s’il le faut, fera peut-être un méandre de plus ou de moins, sera chaque jour plus forte, et toujours se jettera dans sa mer, précisément au même endroit.

12 juin 2015

LIGNES DE VIE

Jeux de lignes
Les lignes sont des structures imprécises. Elles autorisent ou interdisent, se forment et déforment, ondulent ou rigidifient.
Elles sont aiguillages et mouvements. Vers la gauche ou la droite, c’est selon. Tel un train fou, nous suivons leur chemin. A quand la collision ?
Elles sont aussi empilements, pierres posées les unes sur les autres. Le temps a fait son œuvre, les bords se sont érodées, les pluies ont entaillé celle-là, préservé celle-ci.
Elles sont tissées ou non, horizontales ou verticales, colonnes ou grillages.
Nous vivons dans ces toiles d’araignées qui nous entravent ou capturent nos proies, c’est selon.
Ainsi vont nos vies : nous marchons sur le fil de ces lignes …

10 juin 2015

COMMENT L'ORÉAL CONSTRUIT UNE STRATÉGIE RÉSILIENTE EN UNIVERS INCERTAIN

Les Matriochkas d’une stratégie résiliente
Comment L'Oréal construit une stratégie stable et se renforce, tout en menant des actions immédiates changeantes et tirant parti de l'incertitude



(Extrait de l'interview de Robert Branche, par Vincent Neymon, sur Radio Notre Dame au cours de l'émission Grand Témoin)

8 juin 2015

TOUJOURS VISER LE MÊME POINT FIXE

Se renforcer en avançant toujours dans la même direction
Qu’il pleuve ou qu’il vente, que l’on modifie ses berges ou que l’on mette en place de nouveaux pompages, tout fleuve continue son cours imperturbablement jusqu’à la mer. Indifférent, ou presque à tout ce qui l’entoure, au fur et à mesure de sa progression, il se renforce.
Comme dans la théorie des mathématiques du chaos, la mer se comporte comme un attracteur qui attire à lui l’eau qui tombe tout autour : peu importe l’incertitude en amont, tout converge vers elle. Le couple fleuve-mer est un système structurellement stable, la mer est un point fixe pour le fleuve. Telle est la logique qui régit notre monde : derrière les aléas immédiats, au-delà des méandres et des hésitations, les structures fondamentales restent inchangées.
Il en est de même pour une entreprise : pour se renforcer tout au long de sa progression, elle doit viser un point fixe, une mer, et allier stabilité et adaptation aux événements et au terrain. Elle a commencé par hasard, intuition et volonté, mais un jour se pose la question du choix : comment trouver cette mer qui sera son point fixe, et fera d’elle un fleuve, celui dont les autres seront les affluents ?
Première question : de tels points fixes existent-ils ? Oui, car les processus chaotiques qui régissent notre monde, le rendent structurellement stable : la physique est toujours faite des mêmes solides, l’énergie est toujours là, et nos écosystèmes sociaux s’articulent toujours autour de la communication, la beauté, l’alimentation ou la sexualité. Ce sont ces déterminants que les entreprises doivent viser, ce sont parmi eux qu’elles doivent choisir leur mer.
Ainsi, quand vous demandez à L’Oréal de définir sa stratégie, il répond la beauté. De même Nestlé avec la nutrition et la santé, Saint-Gobain avec l’habitat, ou Air Liquide avec la gestion des gaz. Quand Steve Jobs explique pourquoi il a choisi le marché de la musique, il dit que c’est un besoin permanent et constant : pas d’inquiétude à avoir, il sera là encore demain. Quant à Google, il ne se définit pas comme le spécialiste des moteurs de recherche sur Internet, ni même comme visant à favoriser l’usage d’Internet. Non, en 2009, son PDG, Éric Schmidt disait : « Nous avons une mission et une stratégie, et la mission est…, vous savez, d’organiser l’information du monde. Et la stratégie est de le faire à travers l’innovation. »

5 juin 2015

LES DEUX FACES DE BÉNARÈS

Quand le territoire des hommes est celui de la nuit et de la fange…

Bénarès est une hydre à deux têtes, Jekyll et Hyde, deux mondes parallèles, juxtaposés et pourtant entremêlés, un côté lumineux, un côté obscur.
Au bord du Gange, c’est le pays des Dieux et de la lumière. Le soleil y est omniprésent et balaie la moindre marche, le moindre recoin. Aucun arbre, aucun abri pour s’en protéger, juste des berges en pierres, nues et sans artifice. Aucune ombre ne vient se déposer sur le serpent liquide. Rien pour se cacher de lui. Tel Caïn assujetti pour toujours au regard de Dieu, nous n’avons aucune chance de nous soustraire ici à celui du fleuve. Être au bord du Gange, c'est être entre les mains d’un géant, soumis à sa puissance et sa force.
Sa vigueur et son énergie, c’est avec calme qu’il les exprime. Son cours est lent et majestueux. Le long de son parcours, les rives se font respectueuses et silencieuses. Pas de cris, pas de voitures, pas de courses. Simplement des hommes, des femmes et des enfants qui marchent, prient, chantent, méditent, et, plus prosaïquement, se lavent ou lavent. Quelques animaux aussi, des buffles, des vaches et des chiens, s’y déplacent sans bruit. Sont-ils conscients de l’importance de ce qu’ils côtoient ?
A l’autre extrémité du monde, se trouve la rue. Elle serpente en hauteur, mimant sinistrement le cours du fleuve. Ici ce n’est plus de l’eau qui est charriée, mais des excréments. Ici, ce n’est plus la lumière qui règne, mais le noir éternel. Ici, ce n’est plus le pays des Dieux, mais celui des hommes. Étroite et sournoise, la rue se faufile en arrière-plan, comme si elle avait peur d'elle-même, coincée entre des maisons qui l'obstruent, encapuchonnée de toiles multiples, la protégeant de son ennemi, le jour. 
Elle est le règne du sale, de la cacophonie et des heurts. Des déchets de toutes sortes conchient le sol. La pluie, loin de la nettoyer, transforme le tout en un cloaque de boue innommable et répugnante. Les bruits qui résonnent et se télescopent, ne sont qu’accumulations de cris, de violences et de souffrances. Pour y avancer, les motos et les vélos se créent leur chemin, fendent la foule, taillent dans la jungle humaine et inhospitalière. Tel l'univers des hommes, celui de la fange. C'est là qu'ils vivent, travaillent et blasphèment.
Dans le noir de ce bourbier, les propos de Michel Serres prennent tout leur sens : « À l'imitation de certains animaux qui composent leur niche pour qu'elle demeure à eux, beaucoup d'hommes marquent et salissent, en les conchiant, les objets qui leur appartiennent pour qu'ils le deviennent. Cette origine stercoraire ou excrémentielle du droit de propriété me paraît une source culturelle de ce qu'on appelle, pollution, qui, loin de résulter, comme un accident, d'actes involontaires, révèle des intentions profondes et une motivation première. »
Régulièrement, ruptures dans cet égout vivant, des boyaux latéraux surgissent. Ils sont des voies qui descendent vers la lumière. Passerelles entre la noirceur des hommes et la beauté des Dieux, ils sont des appels à la conversion et à la foi. Pour rejoindre la vertu, il suffit de se laisser glisser. Il n’est besoin ni de lutter, ni de faire des efforts. Le salut n’est pas dans la douleur, mais dans la joie. Il est dans la compréhension que la nature des hommes est d’accepter de se soumettre à l’attraction des Dieux, et que le Gange, témoin infatigable de leur bonté infinie, attend tous ceux qui voudront s’y plonger.
Une fois ce paradis atteint, si la nostalgie vous assaille, si la fange quittée vous manque, si la chaleur animale vous fait défaut, alors il vous faudra escalader péniblement, marche après marche, le ghât, puis vous hisser dans le boyau, mètre après mètre. La lumière baissera petit à petit, jusqu’à s’éteindre, les bruits du monde vous envahiront progressivement, les odeurs vous nourriront. Vous ne serez plus soumis à la puissance des Dieux, mais à quel prix ? A celui d’accepter la plaie et la douleur des hommes.
Étrange métaphore que Bénarès, là où liberté rime avec bruit, nuit et violence, et soumission avec silence, lumière et calme. Il y est facile d’être croyant, et difficile d’être un homme. 

3 juin 2015

DANS L'INCERTITUDE, LE DÉFI N'EST PAS L'AGILITÉ, MAIS LA STABILITÉ !

Bouger en tous sens ne conduit nulle part
L’agilité est le mot à la mode du management contemporain. Mais, dans le Neuromonde incertain et tourbillonnant, est-ce, à la moindre brise, changer de cap plus vite que les autres ? Qui peut croire que la création de valeur naîtra de tels mouvements erratiques ?
Au contraire, la performance est dans la stabilité, et la capacité à maintenir son cap : arriver à construire dans la durée, sans être désarçonné par tout ce que l’on n’a pas pu prévoir. Tel un fleuve, modifier son cours en fonction des mouvements de terrain, du volume des pluies, des barrages imprévus, mais sans changer de destination.
Aussi si toutes les entreprises sont nées par hasard, intuition ou volonté, celles qui sont devenues des leaders mondiaux durables ont pris, à un moment, le temps de trouver leur mer : elles sont les fleuves qui attirent et structurent le cours des autres.
Ainsi L’Oréal ne cesse jamais de viser la beauté, reste centrée sur les cheveux, la peau et le parfum, développe des marques mondiales dédiées toujours aux mêmes circuits de distribution, tout en en allongeant sans cesse la liste, ne renonce pas à ses principes d’action, … avec au cœur, une réactivité extraordinaire, celle de l’énergie de la vie : les actes élaborent des produits, produits qui construisent des marques, marques qui rapprochent l’entreprise chaque jour un peu plus de sa mer.
L’entreprise est structurellement stable et changeante au quotidien : le chaos des initiatives apporte la résilience globale.
Attention enfin à s’être préparé au pire et organisé sur les scénarios les plus défavorables, car, dans les tourbillons du Neuromonde, seuls les paranoïaques optimistes survivent !
(extrait des Radeaux de feu)

1 juin 2015

ON COMMENCE PAR HASARD, ON RÉUSSIT PAR CHOIX

Savoir se focaliser sur ce qui est né et a commencé à grandir
Les débuts de toutes les entreprises - Facebook aussi bien que Air Liquide ou 3M - ne sont ni pensés a priori, ni le fruit d'une réflexion stratégique approfondie. Ce n'est que dans un 2ème temps, que se pose la question d'identifier pourquoi on est en train de réussir. Les bons Dirigeants sont donc ceux qui sont capables d'identifier ce qui est né par hasard, de se focaliser, puis de s'y tenir.

29 mai 2015

FRANCHIR DES PORTES POUR SE VOIR DU DEHORS

Des portes…
Voyager, c’est franchir sans cesse des portes… ou essayer.
Les portes délimitent et dessinent des espaces. Elles sont les trous des peaux de mondes successifs.
Fermées, elles interdisent l’accès, et cachent ce qui restera inconnu. Le mystère restera entier. Qu’y a-t-il derrière ? Occasion de découvertes futures.
Fermées, elles laissent place à l’imagination. Faut-il voir pour savoir ? Pourquoi ne pas laisser mon esprit voguer, et construire ce que je ne vois pas et ne connais pas…

Entrouvertes, elles appellent mes pas et me poussent à me glisser le long d’elles. Avancer vite de peur qu’elles ne se referment.
Souvent en Chine, elles sont garnies de petits plots. Sont-ce des pitons pour pouvoir ralentir cette glissade ? Dois-je m’encorder et freiner mon avancée ? 
Va-t-elle pivoter dès que je l’aurai franchie ? L’appel qu’elle émet vers moi est le chant des sirènes. Le jardin qui se dessine après elle sera ma prison…

D’autres, ne sont que trou. Pas de porte, pas de charnières. Aucun risque de me voir interdit le chemin de retour.
Entre porte et fenêtre, elles laissent à voir ce dehors qui peut devenir dedans à tout moment. Jeu de passe-passe. Le monde s’inverse à chaque franchissement.
Dès que je serai de l’autre côté, je sais que je me retournerai pour découvrir sous un angle nouveau, là où je suis.

Tel est le jeu du voyage. Franchir des portes pour regarder du dehors le pays qui est le mien, et ainsi le redécouvrir…

26 mai 2015

CONNEXION GLOBALE ET ACCÉLÉRATION DE L'INCERTITUDE

Soumis à toutes les incertitudes !
Pourquoi notre Neuromonde, c’est-à-dire un monde connecté et où "nous nous touchons" tous, génère-t-il une accélération de l'incertitude.

22 mai 2015

DANS LE FLOU DES APPARENCES ET DU SOUVENIR

Noël à Pékin (2004)
L’année 2004 se termine, et Pékin est doublement nappé de blanc : l’opacité moite de la brume répond à la neige qui tapisse tout.
La Cité Interdite ne l’est plus guère, devenue carrefour où les Chinois en mal de souvenirs s’y télescopent. 
Depuis la colline voisine, elle est une immensité figée. Les frontières entre ciel et sol, entre constructions et nuages s’estompent.
Face à la porte principale de cette Cité largement ouverte, vu de loin, le portrait de Mao sous lequel chacun doit passer, n’est plus qu'une vignette. 
Est-ce qu’avec l'érosion de temps, la Chine finira par s’éloigner de son dernier empereur ? Les statues de Staline ont, elles, été depuis longtemps déboulonnées.
Noyées dans l’immensité de la place Tiananmen, les silhouettes sont dérisoires, miroir de la petitesse des individus pris dans la masse des foules chinoises. 
Chacun marche en ignorant son voisin, et ce qui l’entoure…
Fin de nuit dans un cabaret. Le froid et la nuit ont disparu pour faire place à la chaleur des lumières.
La neige extérieure s’est fait perruque, et les apparences restent masquées, incertaines et trompeuses.
Jeu des apparences et des dissemblances, contraste dans cette Chine qui retrouve ce qu'elle a toujours été.
La bouche se tend vers cette bière – une Tsingtao bien sûr ! –, mais n’est-ce pas pour peut-être nous tromper ? 

20 mai 2015

LES ENCHEVÊTREMENTS QUI TISSENT NOTRE MONDE

L’entreprise au cœur de l’incertitude et des émergences
En marchant dans les rues de Paris ou de toute autre grande ville du monde, je suis frappé par la complexité sous-jacente qui permet à notre société de fonctionner : un enchevêtrement d’entreprises est nécessaire à son existence, et la production cahin-caha, au moins jusqu’à ces dernières années, de la croissance. C’est une toile finement tissée faite de sous-traitants et donneurs d’ordre, fournisseurs et clients, partenaires et compétiteurs, qui font que tout un chacun trouve les produits qu’il cherche. Regardez autour de vous et essayez donc de compter le nombre d’entreprises qui ont dû intervenir pour faire exister ce qui vous entoure et vous le rendre accessible : une voiture, un immeuble, un téléphone, un yaourt, un légume… Impossibles identification et comptage.
Il y a quelques siècles, c’était simple : nos villes étaient nées des mains de ceux qui les habitaient, et personne n’était bien éloigné de l’origine de ce qu’il trouvait dans son assiette, de l’objet qu’il saisissait ou du mur qui l’entourait. Encore à la fin du dix-neuvième siècle, il n’était pas difficile de démêler les enchevêtrements qui étaient sous-jacents à notre existence personnelle : les biens industriels étaient rares, et souvent complètement conçus et construits en un lieu unique ; l’industrie agro-alimentaire n’existait pas, ou presque ; les produits agricoles, sauf des exceptions comme le café ou le poivre, voyageaient peu. (…)
Parallèlement à l’élaboration progressive de ce tissu économique fait de codépendances et de coproductions, la notion même d’entreprise s’est compliquée au fur et à mesure de l’accroissement de leurs tailles et de l’apparition d’expertises internes : nées initialement autour d’un leader ou d’une équipe, à partir d’une idée ou d’un premier client, sur un territoire donné, à l’instar d’un corps vivant qui se démultiplie, elles sont parties à la conquête de nouveaux territoires, articulant petit à petit chaque jour davantage de ressources techniques, financières et humaines, internes comme externes, associant fournisseurs, autorités publiques et clients.
Leurs intérieurs sont devenus habités par une multitude de matriochkas qui se chevauchent et s’emboîtent, constituant autant d’unités d’appartenance : des équipes dans des ateliers, dans des usines, dans des filiales, dans des divisions ; des organisations marketing, à côté des structures industrielles, de recherche, financières,… ; des syndicats, des comités d’établissement, des comités d’entreprises, des comités de groupe ; des clubs sportifs, des réseaux d’anciens de la même école…

(extrait des Radeaux de feu)

18 mai 2015

LE LOINTAIN EST DEVENU NOTRE PROCHAIN

Vers la connexion globale
Il y a dix ou vingt ans, nous n’étions, chacun de nous, soumis qu’à l’incertitude de ce qui était autour de nous, à portée de notre vue et notre toucher. Nous savions que nous pouvions subir le décès imprévu d’un de nos proches, que le ticket de loterie que nous venions d’acheter pouvait être gagnant ou pas, qu’un client pouvait nous faire défaut, qu’une machine pouvait brutalement se casser, qu’il était imprudent d’affirmer qu’il ferait beau demain, etc.
Par contre, ce qui se passait dans le lointain, dans une autre ville, un autre pays, un autre continent, cela ne nous concernait pas. Nous pouvions regarder serein les informations, sans nous sentir impliqués, car cela n’avait pas de conséquences directes sur notre vie quotidienne, sur notre famille, sur notre emploi, sur notre entreprise, sur notre pays. Et si jamais des conséquences étaient possibles, puisque la vitesse de propagation des effets était suffisamment lente, nous avions le temps de mettre en place les actions correctives nécessaires.
Aussi, ce qui était lointain n’était pas incertain pour nous : il était prévisible, parce que distant. Le monde était partitionné, cloisonné, et nous en avions l’habitude. Nous étions protégés des incertitudes des autres. Certes le champ géographique de propagation des incertitudes s’était étendu au rythme du développement de l’énergie et des transports, mais jusqu’à ces dernières années, la vitesse de propagation restait limitée.
Trois phénomènes majeurs ont changé la donne :
- La croissance de la population humaine s’est brutalement accélérée : en moins de quarante ans, nous venons de passer de quatre milliards d’hommes à sept milliards, alors que nous n’étions qu’un milliard, il y a deux cents ans, et deux cent cinquante millions, il y a mille ans. Demain, en 2050, nous serons probablement neuf milliards. Nous sommes de plus en plus voisins, les uns des autres.

- L’impact de chacun de nous est démultiplié par tous les outils mis à notre disposition : avant, nos outils ne prolongeaient nos bras que de la longueur d’un morceau de bois – un marteau, une pelle, une pioche… Maintenant (…) nous sommes pris dans les mailles de l’effet de nos propres actes, et de ceux des autres : il y a de plus en plus une interaction dynamique entre l’objet sur lequel nous agissons et nous-mêmes. (…)
- Avec le déferlement des technologies de l’information, la partition du monde a volé en éclat : grâce à l’informatique, aux télécommunications et à l’internet tout se propage instantanément, et nous sommes directement et immédiatement exposés à toutes les incertitudes. S’appuyant sur ces réseaux, les entreprises ont globalisé leurs modalités d’actions, et bon nombre de produits sont le résultat d’un processus de fabrication faisant intervenir plusieurs pays, et souvent plusieurs continents.
(extrait des Radeaux de feu)

15 mai 2015

À HAMPI, ON DÉTRUIT LE PRÉSENT ET LA VIE POUR RETROUVER LE PASSÉ

 Effondrement
Sous les coups répétés des bulldozers, les murs s’effondraient. De nouvelles perspectives se dégageaient, des colonnades anciennes réapparaissaient, le vieux bazar renaissait de la destruction du nouveau. Hampi remontait le temps. On enlevait méthodiquement les peaux successivement accumulées pendant plus de cinq siècles. Comme un oignon, on le pelait. A la différence essentielle, que les peaux desséchées étaient à l’intérieur, et que c’était la vie qui était retirée. Petit à petit, la mort apparaissait. Les briques tombaient, les fresques étaient arrachées, le sang refluait. In fine, ressurgissait l’ossature du bazar depuis longtemps disparue : des colonnes brutes, des dalles à vif, des bouts de sculptures. Le travail de dizaines de générations était ôté sans considération.
Année après année, décennie après décennie, siècle après siècle, la sueur des commerçants avait fait vivre le village et le marché. Certes, on était loin de la splendeur des années quinze-cents, pourtant ils s’étaient tenus droit : contre toutes les adversités, malgré l’effondrement de leur royaume, ils avaient fait front et vécu debout. Avec honneur et détermination, tout au long des années, Hampi avait fait de la résistance : le bazar en était resté un. Chaque matin, il riait des cris des marchands, il hurlait des enfants tentant d’arrêter les chalands, il vibrait de discussions infinies. Tel coin était connu pour ses épices, tel autre pour ses tissus. Les étalages de légumes et fruits rivalisaient entre eux. Les yeux ne savaient pas sur quoi se poser.
C’était cette histoire et cette lutte qui se trouvaient balayées d’un revers de bulldozer. Chacune des maisons détruites était imprégnée d’une sueur légitime, aujourd’hui bafouée et méprisée. Chaque mur abattu était un membre arraché. Chaque portique retrouvé l’était au prix du sang et du meurtre.
Demain que verrait-on ? Une galerie froide et esthétique mimant un passé révolu. Des allées redevenues anciennes, et à ce titre perçues authentiques, réservées à des touristes en mal de photographies. Une beauté théorique, probablement sublime, mais glaciale comme les couloirs d’un musée.
Les habitants regardaient, figés, leur vie disparaître. Pour eux, ce n’était pas leur passé que l’on retrouvait, c’était leur présent et leurs racines que l’on détruisait. Ils n’avaient cure de voir revenir les fantômes d’ancêtres trop lointains pour être aimés et connus. Non, le retour au bazar des origines ne signifiait rien pour eux, à part souffrance et douleur.
Le bulldozer voisin réussit à ébranler le toit, qui s’affaissa dans un nuage de poussières. Sur le côté, des Indiens s’affairaient à récupérer ce qui pouvait l’être : les uns empilaient dans une remorque, des briques ; d’autres s’étaient spécialisés dans le tri des pierres ; plus loin, on en voyait qui finissaient de détruire à la masse des armatures en béton pour en extraire les ferrures.
Le soleil baissait à l’horizon, donnant à la scène des allures de fin du monde. Tels les rats d’un festin abandonné, ils cherchaient à en extirper un morceau suffisant pour survivre, ne serait-ce qu’un moment de plus. Sauf qu’il ne s’agissait pas de rats, mais d’hommes, et que de festin, il n’en avait jamais été question, juste de la démolition de leurs vies et de leurs modestes richesses.
(Ces photos ont été prises à Hampi en août 2012)

13 mai 2015

PRIS DANS LES MAILLES DE NOS INTERDÉPENDANCES

Notre monde : le Neuromonde
Au printemps 2010, une nouvelle défraya la chronique et fit la une de tous les journaux : un volcan au nom quasiment imprononçable – du moins pour ceux qui n’étaient pas islandais –, l'Eyjafjöll était entré en éruption. Était-ce à cause du nombre de morts qu’il avait provoqué ? Non, rien de tel. Juste des coulées de lave dans une zone quasiment désertique. Était-ce parce que cette éruption présentait des caractéristiques exceptionnelles ? Non plus, juste une éruption volcanique banale dans son déroulement.
Simplement ensuite un enchaînement malheureux et lourd de conséquences : un peu de fonte des glaces, quelques gaz volcaniques, et beaucoup de cendres expédiées dans les cieux. Là, ces dernières, poussées par des vents malicieux, deviennent un nuage qui dérive vers l’Europe continentale et se met juste sur le chemin des vols aériens internationaux. Résultat : une congestion massive du transport aérien au cœur du commerce mondial. Nous avons frisé l’embolie économique à cause de ce caillot volcanique.
Cet accident est dans son déroulement un bel exemple de l’aspect devenu réticulaire de notre monde : nous sommes pris dans nos interdépendances collectives. Le moindre phénomène peut avoir des répercussions d’un bout à l’autre de la planète. Un peu comme si nous étions pris dans une immense toile d’araignée : une vibration sur l’une des parties de la toile se propage de partout.
Interdépendance, toile, connexions. Jamais le collectif n’avait atteint cette dimension. Cette propagation peut être physique comme dans le cas du nuage de cendres islandais, mais le plus souvent, elle est informationnelle. Alors, la transmission est instantanée, car elle s’effectue à la vitesse de la lumière.
À croire que la planète est dotée d’un réseau de neurones qui soudent tous les pays. Finalement, l’image qui me vient est celle d’un Neuromonde, c’est-à-dire d’un monde parcouru constamment par des impulsions se propageant sans cesse dans ce réseau.
À côté de celui-ci, les fourmilières ne représentent rien : quelle est la puissance de trois cents millions de fourmis occupant leur super-colonie à Hokkaido au Japon, face aux milliards d’hommes en train d’être connectés ?
Au cœur de l’explosion de ces réseaux, les entreprises. À la fois moteurs de cette évolution et portées par elles, elles sont en pleine mutation : nées au temps où le monde était partitionné, où, au-delà d’une certaine taille, les coûts de pilotage et de gestion administrative étaient supérieurs aux gains, elles deviennent globales, et sont parcourues par les courants du Neuromonde. D’une certaine façon, elles en constituent l’ossature.
Avec cette intrication entre Neuromonde et méga-entreprises, les mailles des émergences, des matriochkas et de l’accroissement de l’incertitude se tricotent de plus en plus vite, de plus en plus finement, et nos radeaux de feu deviennent d’immenses vaisseaux numériques …
(extrait des Radeaux de feu)

11 mai 2015

LE MANAGEMENT EST UNE AFFAIRE DE JEUX DE MOTS

Vidéo « Les Radeaux de feu »
Nous pensons au travers de nos langages. Aussi les mots ne sont-ils pas seulement un enjeu pour la communication.

7 mai 2015

RUPTURE

Nouveau départ
Je ne sais que te dire, 
Ni par quoi commencer.
À quoi bon,
Au moment de partir,
T’assener un pourquoi ?
Le temps a glissé, 
La vie nous a écartés,
L’eau a coulé et nous a fissurés.
Je te regarde et ne te connais plus,
Tu me regardes et ne me comprends plus.
Ni larme, ni tension, 
Juste l’amertume d’un possible achevé.
Demain, tu ne seras plus là.
Demain, je ne serai plus là.
Le temps va glisser, 
Un peu plus.
La vie va éloigner,
Un peu plus,
Nous qui n’étions plus unis,
Et rapprocher d’autres qui s’ignorent encore.
Ainsi va la vie…

5 mai 2015

RÊVERIES…

Rencontres indiennes
Voilà ce que voyaient les femmes prisonnières du harem du palais de Amber. 
Cachées derrière la dentelle de pierre, elles ne pouvaient apercevoir que de loin l’effervescence de la cour.
La vie y devenait tableau, mise à distance, théorique et fictive. 
Deux mondes parallèles que des escaliers rejoignaient.
Aujourd’hui, Amber a dû abandonner ses prérogatives, et n’est plus qu’un musée que l’on visite. 
Aujourd’hui, tout un chacun peut passer de l’un à l’autre impunément. 
Nul besoin de se draper en femme pour y déambuler, ni d’être un prince.
Au loin, à une dizaine de kilomètres, bruisse la ville de Jaipur. 
Mais ici, rien de tel. Juste le calme, le passé perdu, et la rêverie…

4 mai 2015

POUR UN MANAGEMENT ADAPTÉ À L'INCERTITUDE

Vidéo « Les Mers de l'incertitude »
Les écoles d'ingénieurs comme les écoles de commerce forment trop les managers à apporter des solutions et à décider. 
Or, dans le monde de l'incertitude, le rôle d'un manager n'est plus tant de chercher à apporter des réponses, que de permettre que les meilleures émergent, de regarder sans a priori, lâcher prise, sentir ce qui attire et fédère