26 mars 2009

APPRENONS À VIVRE SANS DIEU(X)

A-t-on besoin de "sous-traiter" la morale et la responsabilité à un Dieu ?

Le nombre des commentaires suscités par mes articles « Ciel, Dieu me parle ! » et « Ciel, je suis né par hasard et pour rien » m'incite à prolonger encore un peu mon propos.

Tout d'abord je vais vous demander de retourner pour un moment dans le corps de ce jeune devin que vous aviez abandonné au milieu du deuxième article. Que mes lectrices m'excusent par avance de leur demander de façon aussi peu cavalière de rejoindre la peau d'un homme – l'une d'elles, à juste titre, m'en a fait le reproche dans un commentaire –, mais qu'elles le prennent comme une expérience provisoire, et finalement toujours enrichissante. Je leur promets que, à l'occasion d'un prochain article, j'inciterai tous mes lecteurs à se mettre dans la peau d'une femme.

Nous voilà donc redevenu ce jeune devin. Rappel rapide (pour ceux qui ont perdu le fil, le plus simple serait d'aller relire l'article précédent) : nous sommes au temps des hommes préhistoriques, et, suite à la réception d'images mentales, tout le monde est persuadé que Dieu existe. Comme vous êtes plus malin que les autres, vous avez rapidement compris qu'il y avait une opportunité pour vous : vous vous êtes installé devin, c'est-à-dire comme le grand interprète de toutes ces images mentales.

Rapidement vous êtes débordé : l'ensemble de la tribu n'arrête pas de défiler devant vous, pour oui ou pour un non, ou plutôt pour la moindre image mentale qui surgit. Vous comprenez qu'il faut émettre des règles, des codes, un système prêt à l'emploi : une sorte de « do it yourself » qui va faire un pré-tri et ne vous laisser que les cas hors normes. Vous édictez donc ce vadémécum de l'image mentale, une sorte de pré-bible, un avant-avant testament. Pas question de perdre le revenu de votre expertise : vous « vendez » ce vadémécum au prix d'un sanglier, prix jugé astronomique, mais comme vous parlez au nom de Dieu, personne n'ose trop rien dire.

Pourtant vos efforts pour rationnaliser votre rôle de devin sont insuffisants : votre réputation se propage et de nouveaux « clients » viennent de tous les villages voisins. Vous voilà obligé de former des disciples qui vont vous représenter tout autour…

Bon j'arrête là, au moins pour aujourd'hui. Laissons donc ce devin à la mise en place de cette religion qui n'a pas encore de nom…

Retour à nous et à vous. Nous qui sommes nés par hasard et pour rien.

Tout d'abord un double commentaire sur le sens des mots « hasard » et « pour rien ».

J'emploie le mot hasard pour dire que notre existence – la vôtre, la mienne – n'est pas le résultat d'une volonté, ni d'un dessein. Nous existons simplement parce que nous étions une des évolutions possibles du vivant, et que c'est celle-là qui est advenue. Ni plus, ni moins. Donc oui, bien sûr, a posteriori, on peut reconstruire la chaîne de causalité qui nous a amené à exister. Mais a priori, on n'aurait pas pu la dessiner, ou plutôt dire que c'était celle-là qui allait se produire. Ce n'était qu'une parmi une quasi-infinité d'autres possibles.

J'ai vu à la lecture des commentaires suscités par mes articles précédents que vous êtes nombreux à ne pas accepter cette existence due au hasard. Comment un monde aussi sophistiqué pourrait-il exister sans un architecte, sans un plan ? Mais justement c'est parce qu'il est si compliqué qu'aucun architecte – même un dieu ou plusieurs dieux – n'auraient a priori pu le définir. Par contre, grâce aux nouvelles approches de l'auto-organisation et du chaos, nous pouvons imaginer comment il a pu émerger… de lui-même et par hasard…

Pour rien, maintenant. Cette fois, c'est le couplet de l'irresponsabilité qui ressort des commentaires. Comment, si nous sommes là pour rien, si personne n'attend rien de nous, pourrions-nous nous intéresser à notre prochain ? Si nous sommes nés par hasard et pour rien, alors c'est la loi du chacun pour soi, la loi de la jungle ?

Permettez-moi de retourner ce propos. Avez-vous besoin d'un Dieu qui vous dit ce qui est bien et mal ? Avez-vous besoin d'une loi du talion qui va venir punir celui qui s'écarte du bon chemin ? Avez-vous besoin ainsi de sous-traiter la morale à une autorité externe et immanente ?

Finalement, selon vous, heureusement qu'il y a ces devins avec leurs vadémécum qui nous disent ce que nous devons faire !

Non, mille fois non ! Je ne peux pas adhérer à cette morale de l'irresponsabilité. L'engagement au profit de mon voisin, au profit de celui qui est différent de moi, au profit de la vie, ne doit pas être un choix imposé ou prescrit, mais un choix gratuit et voulu.

A nouveau, le fait d'être né pour rien et pour personne n'est pas un fardeau, mais l'occasion d'un choix libre.

Maintenant sur l'existence de Dieu(x), je voudrais leur poser une simple question : qu'est ce que c'est que ce ou ces Dieux capables de concevoir un monde aussi compliqué que le nôtre et laisser se faire autant de meurtres, de massacres – parfois en leur(s) nom(s) –, d'épidémies ? Ces dieux ne m'intéressent pas. Ou ils sont tout puissants et ils sont incompétents. Ou ils ne le sont pas, et alors sont-ce des dieux ? Dans les deux cas, je n'ai qu'une recommandation, laissons-les tranquilles et vivons notre vie d'humains … sans eux…

Que chacun de nous soit simplement conscient qu'il est là parce que la vie lui a permis d'exister, et qu'il est une forme de maillon dans ce relais sans fin et sans but. Nous avons reçu la vie. A nous de la transmettre dans les meilleures conditions.

Comme Clint Eastwood dans Gran Torino (voir « le Tao de la force du creux »), faisons chacun la découverte que la force et la solidarité sont dans l'acceptation de notre faiblesse et non pas dans une arme quelconque … divine ou pas. Acceptons de vivre sans Dieu(x). Apprenons à vivre de ce manque de ce sens.

Nous serons alors forts parce que vulnérables.

Nous serons alors libres parce qu'inutiles.

Nous deviendrons alors vraiment solidaires parce que chacun se sentira simplement partie prenante de la vie.

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