30 avr. 2010

LE PLUS SIMPLE EST DE JOUER L’AVENIR À LA LOTERIE

______ Éditorial du vendredi ________________________________________________________________

Rappel du patchwork de la semaine :
- Lundi : Quand le nuage de cendres résonne comme un cygne noir. « Bel » exemple illustrant l'incertitude de notre Neuromonde. Chacun de nous va être de plus en plus soumis aux aléas de ce qui se passe près de lui… ou loin
- Mardi à Jeudi : Un miroir entre la réfection d'un mur à la chaux et l'effervescence de notre monde. Nous vivons collectivement – et cela rejaillit sur nos vies individuelles – dans une immédiateté difficilement compatible avec la réflexion et la compréhension. Nous sommes de plus en plus des individus ou des groupes juxtaposés sans liant et avec peu de sens et projet communs. Nous agissons souvent en contradiction avec l'avenir de notre planète, tout en le sachant de plus en plus. Rejointer un mur à la chaux, c'est savoir prendre son temps, remettre du liant, et ne le faire qu'avec des ingrédients naturels…

Nous sommes vendredi, le nuage de cendres n'est pas loin. Et pourtant, il est déjà oublié : les avions volent à nouveau, les vacanciers de la 2ème semaine ont gagné, ceux de la 1ère ont perdu à la loterie des cygnes noirs. Nous sommes passés à autre chose, au déficit de la Grèce qui redevient d'actualité, à la bourse qui s'en émeut, à un voyage présidentiel en Chine ou à une défaite lyonnaise en ligue des champions…

La roue de ce zapping mental continue de tourner inexorablement, sans répit…

Comment avons-nous la moindre chance de réfléchir individuellement et collectivement si nous acceptons ce zapping ? Est-il à ce point utopique d'imaginer que l'on prenne le temps de s'arrêter pour comprendre ?

Mais non ! Continuons à croire à notre bonne étoile et jouons notre avenir à la loterie…

29 avr. 2010

UN DIRIGEANT NE DOIT PAS ÊTRE UN SHOW MAN, MAIS UN “CHAUX MAN”

"CHAUX" TIME (3)

Bizarrement, je ressens de plus en plus ce travail à la chaux comme une métaphore pertinente pour approcher ce que doit être le rôle d'un dirigeant.

Lui aussi, il doit se préoccuper de trouver le bon liant, celui qui va venir assurer les bonnes liaisons, celui qui va donner force et cohésion à l'ensemble. Ce liant doit venir se fondre avec ce qui préexistait. 
Des mois ou des années plus tard, il doit être encore là, mais invisible, noyé dans la masse. Ce liant doit aussi laisser respirer, il ne doit pas constituer une chape de plomb, mais, comme la chaux sait laisser l'humidité, l'action du dirigeant doit fluidifier les échanges et non pas les contraindre. Un liant souple, perméable, naturel…

Lui aussi, il est confronté au rythme et au bon enchaînement des gestes. Au début de l'action, un maximum de fluidité est nécessaire, mais pas trop non plus : comme le mortier à la chaux, il doit avoir cette consistance pâteuse, mi-fluide mi-solide, qui va se glisser là où il faut. Puis il va falloir suivre le durcissement du mortier, l'effet des actions. Venir appuyer un peu là, enlever ce qui est en trop… Enfin, quand les choses seront en place, mais pas encore tout à fait figées, venir faire un dernier lissage.

Le métier d'un dirigeant n'est surtout pas de faire du spectacle, il ne doit pas être un show-man… mais je le vois bien être un « chaux-man ».

28 avr. 2010

LA CHAUX NE SUIT PAS LE RYTHME DU SHOW HABITUEL

"Chaux" time (2)

Je viens de passer une bonne partie de l'après-midi à reprendre à la chaux le mur Est du hangar de ma maison en Provence. En fait, j'ai commencé cela depuis quelques jours.

J'aime cette activité où l'on travaille à la fois sur l'apparence des choses – si le mélange de sables a été judicieusement fait, le mortier à la chaux se fond en une aquarelle qui vient souligner le contour des pierres –, et sur la solidité du mur – la chaux est d'abord là pour maintenir les pierres en place et les lier entre elles.

C'est aussi une matière naturelle que l'on mélange avec du sable et de l'eau. Du choix des sables dépendra l'apparence : comme un peintre joue de la palette de ses couleurs, je vais jouer de celle de mes sables. Plus ou moins fin, avec ou sans des particules colorées, jaune, blanc ou gris…

Ensuite la mise en œuvre d'un mortier à la chaux ne peut pas être accélérée, il faut en respecter les rythmes et les caprices.

D'abord l'application du mortier. A coups de truelle, on vient garnir les pierres de mortier. Au besoin, de ci de là, on met une pierre si le mur est trop dégarni. Puis environ une heure après, toujours avec la truelle, on écrase le mortier pour renforcer son adhérence et on enlève ce qui est en excès. On se sert aussi de ses doigts – un conseil : n'oubliez pas de porter des gants en caoutchouc si vous ne voulez pas voir votre peau disparaître au fur et à mesure que le mur se reconstruit. Un peu après – la durée n'est pas fixe. Elle est fonction de l'épaisseur de mortier mis et de la température extérieure. Il va falloir prendre le temps d'observer… –, avec une brosse métallique, on enlève tout le mortier qui recouvre les pierres et on creuse entre les pierres.

Rejointer un mur à la chaux est donc bien une activité qui joue sur l'apparence, mais qui sait dépasser l'immédiateté.

Un « chaux » time qui n'est plus un show-time.

J'ai comme l'impression que l'on devrait proposer des stages de mortier à la chaux à bon nombre de nos concitoyens…



(à suivre)

27 avr. 2010

NOUS VIBRONS COLLECTIVEMENT D’ÉMOTIONS INSTANTANÉES

"CHAUX" TIME (1)

Nous vivons de plus en plus dans un monde de l'immédiateté et de l'apparence :
- Comme j'ai déjà eu l'occasion de l'écrire à de multiples reprises, nous sommes dans l'instantanéité et nous avons un rapport maladif avec le temps. Nous avons peur de perdre du temps, alors que le temps est une des rares choses que l'on ne peut pas perdre (voir « Non, vous ne perdez jamais du temps ! »)
- Parallèlement, nous ne prenons plus le temps (eh oui, le temps est là à nouveau…) de réfléchir et de comprendre. Du coup, nous en restons aux apparences et à la surface des phénomènes. Nous ne sommes même plus victimes des modes, nous vivons au travers d'elles et grâce à elles.

Notre société devient ainsi un grand amplificateur des rumeurs, des opinions et des « on dit ». Mais comme nous sommes une société évoluée et sophistiquée, nous nous méfions des idées qui ne sont pas ni « scientifiquement » prouvées, ni « technologiquement » portées.
Mais si un modèle mathématique nous démontre que tel phénomène est en train de se produire, ou même risque de se produire…
Mais si Internet véhicule vers nous la nouvelle nouvelle, l'information brute sans intermédiaire ou le scoop venant de nulle part…


Alors tout le système média-politique s'emballe… et chacun d'entre nous le relaye sans problème.

Auparavant nous ne nous levions que pour faire des holàs dans des stades ; aujourd'hui le monde entier fait des holàs numériques.
Sans réfléchir, nous passons collectivement d'un tsunami thaïlandais à des cendres islandaises, d'une crise des subprimes au dernier incident amoureux de David Beckham. Nous nous émouvons d'un réchauffement climatique potentiellement à venir, tout en laissant mourir de faim ou du sida une partie de l'Afrique…

Je suis assis sur la terrasse de ma maison perdue dans la campagne provençale quand je tape ces lignes. Et j'ai dans les mains encore les traces de cette chaux que je viens d'appliquer au mur Est de mon hangar. 

« Chaux » time…

(à suivre)

26 avr. 2010

PLUS DE CHAOS, PLUS DE CYGNES NOIRS…

Le nuage de cendres n'est pas un accident sans lendemain

Retour sur le nuage de cendres islandais. Non pas par un quelconque acharnement, mais parce que je le crois très emblématique de plusieurs points clés de notre mode actuel.
Dans mon billet de la semaine dernière1, j'avais abordé le danger de se fier plus à la modélisation mathématique qu'à l'observation de ce qui se passe réellement.

Pourquoi d'abord cette approche par la modélisation ne peut pas fonctionner pour prévoir ce qui va se passer ? Parce que des phénomènes comme la propagation des particules suivent des lois de type chaotiques, et que, dans ce cas, la moindre erreur dans la connaissance des conditions initiales rend impossible l'élaboration de prévisions fiables2. Or il est impossible déjà de connaître précisément les émissions du volcan, alors comment pourrait-on les connaître exactement ?

Ce qui vient de se passer avec le nuage de cendres est très représentatif de la plupart des phénomènes qui sous-tendent la vie et l'évolution de notre monde. En effet, ils suivent pour la plupart des lois de type chaotique. Il est donc illusoire d'imaginer pouvoir modéliser leur évolution : comme nous ne pourrons jamais tout connaître exactement, nous devons accepter l'incertitude, et nous centrer plus sur l'observation que la prévision.

Ensuite ce nuage est un bel exemple de « cygne noir » 3, c'est-à-dire un événement hautement improbable et à effet majeur. Un volcan qui se réveille au cœur de l'Islande, loin de nous apparemment… et voilà l'Europe comme paralysée. Nous sommes devenus tellement connectés les uns les autres, notre monde est devenu tellement un Neuromonde4, nous sommes forts et en même temps tellement dépendants de la toile d'araignée de nos interrelations que tout problème se propage immédiatement.

Auparavant un cygne noir n'avait d'effet que localement, mais ce n'est plus le cas. Nous devons nous habituer à la multiplication des cygnes noirs, non pas parce qu'il va s'en produire davantage, mais parce que leur effet sera sensible pour tout un chacun. Avant nous n'étions sensibles qu'à ceux qui se produisaient dans notre voisinage immédiat. Maintenant nous sommes soumis aux effets de tous qui se produisent, quelque soit l'endroit où ils apparaissent, ou presque.

Plus la vie se développe, plus l'incertitude s'accroît : il est urgent que nous le comprenions et que nous adaptions en conséquence notre façon de penser et d'agir…



(1) Voir « Où sont les particules du nuage de cendres ? »
(2) Voir mes articles liés au Chaos
(3) Cette expression provient du livre de Nassim Nicholas Taieb. J'ai parlé de ce livre dans un billet de décembre 2008 « Résonances entre dérive naturelle, cygne noir et crise actuelle… »
(4) Voir mes articles sur le Neuromonde




23 avr. 2010

RÊVER, ESSAYER ET APPRENDRE

______ Éditorial du vendredi ________________________________________________________________

Rappel du patchwork de la semaine :
- Lundi : Jean-Louis Murat chante les yeux fermés, se protégeant de la foule pour chanter comme dans une bulle. Et pourtant progressivement la communication s'installe, la fusion est réelle. Certaines barrières réunissent autant qu'elles limitent…
- Mardi : Un héro sans passé, un autre qui n'existe que dans sa prolongation, Astérix et Largo Winch n'ont pas de projets pour le futur et se dressent tout deux au présent pour refuser l'inacceptable. 
- Mercredi : Comme notre présent n'est qu'un des possibles qui pouvaient exister, notre futur est plus libre que nous le pensons. Et si nous en profitions pour nous demander où nous voulons vraiment être ?
- Jeudi : Face à une situation nouvelle, faut-il s'appuyer sur son expertise et une modélisation mathématique, ou modestement observer ce qui se passe ? Pour la gestion des conséquences du nuage de cendres, on aurait probablement mieux fait de procéder plus tôt à des relevés réels…

Comment se construire en étant constamment plongé dans la mêlée ? Ne faut-il pas, comme Jean-Louis Murat, se mettre, au moins pour un moment, en retrait pour exister par soi-même et réfléchir ?
Peut-on lutter efficacement contre les injustices si l'on est préoccupé de son futur personnel ? Ne faut-il pas, comme Astérix ou Largo Winch, se lancer dans le combat sans vision de ce que l'on construit ?
Si nous sommes largement là par hasard, pourquoi l'accepter ? Ne faut-il pas penser notre futur collectif à partir de ce que nous voudrions qu'il soit ?
Comment comprendre l'inattendu en se réfugiant dans des modélisations hasardeuses ? Ne faut-il pas, pour aller vers ce futur rêvé, expérimenter, essayer et apprendre ?

22 avr. 2010

OÙ SONT LES PARTICULES DU NUAGE DE CENDRES ?

Qui est le plus fiable : celui qui prévoit ou celui qui constate ?

Un jour, à l'occasion d'une réunion que j'organisais pour une grande banque, j'ai trouvé la porte de la salle prévue fermée. J'ai alors appelé l'accueil qui détenait les clés pour qu'il vienne l'ouvrir. « Vous vous trompez, la salle est ouverte, fut la réponse que l'on me donna au téléphone. » 
En effet, la personne avait, devant elle, le registre précisant les salles ouvertes et les salles fermées. Or sur ce registre, ma salle était ouverte, donc il ne pouvait pas y avoir de problèmes. Il m'a fallu alors de longues minutes pour la convaincre que mon information était forcément meilleure que la sienne, puisque moi, je me trouvais face à la porte. Pour elle, son interprétation était forcément la bonne : elle était la spécialiste et je n'étais que de passage…

Pourquoi vous parler de cette anecdote qui date d'une vingtaine d'années et qui fut sans conséquences sérieuses ? Parce qu'elle m'est revenue à l'occasion du nuage de cendres volcaniques.
En effet, le dialogue – ou plutôt l'absence de dialogue – qui a eu lieu entre ceux qui avaient réellement volé dans le ciel français, et ceux qui, assis dans leur bureau, avaient devant eux le résultat de leurs modélisations mathématiques était du même acabit.
Fort de la puissance de leurs ordinateurs, des années d'expertise de la météorologie française et de leur intelligence collective, les spécialistes savaient qu'il était dangereux de faire voler des avions, et pour tout dire suicidaire. Pour eux, inutile d'aller voir ce qui se passait réellement dans le ciel, puisqu'ils savaient : la porte était ouverte puisque c'était écrit sur le registre. 
Ayant envoyé plusieurs avions dans les airs, n'ayant au retour mesuré aucune anomalie et ne trouvant même pas de particules, les compagnies aériennes constataient qu'il n'était pas dangereux de faire voler des avions. Pour elles, qu'importait ce que prévoyait les modèles, puisqu'elles voyaient qu'il n'y avait pas de particule : la porte était fermée puisqu'elles se trouvaient devant.

Tout ceci ne serait qu'une anecdote si, cette fois, les conséquences n'étaient pas si importantes : ciel aérien complètement bloqué ; perte des compagnies aériennes et, plus largement, de tout l'industrie du tourisme ; désorganisation des entreprises dépendantes du fret aérien ; de nombreuses personnes bloquées un peu partout dans le monde, dont certaines sans ressources pour faire face aux dépenses occasionnées… Excellent timing au moment où la reprise européenne était déjà plutôt atone…
On voit les dégâts d'une approche partant de l'expertise pour faire face à l'imprévu. Quand on se retrouve face à une situation inconnue et sans précédent, il est toujours dangereux de faire confiance à l'expertise passée et à la modélisation mathématique. Il est beaucoup plus efficace d'être modeste et sans a priori, et d'observer attentivement ce qui se passe. Comment se fait-il qu'il ait fallu tant de jours pour avoir des relevés réels des particules dans l'air ? Pourquoi ce sont des compagnies privées qui ont été les premières à faire des mesures ? Elles y avaient un intérêt direct – leur survie est en jeu -, mais pourquoi les pouvoirs publics se sont satisfaits des seules prévisions théoriques ?
Il ne s'agissait bien sûr pas de risquer la vie de pilotes – et a fortiori de passagers –, mais n'avons-nous pas de ballon-sonde et d'avions sans pilote – les drones ? Certes nous pouvions perdre quelques-uns de nos précieux drones, mais, vu le coût collectif du blocage aérien, cela aurait été rentable.

Mais il est vrai que l'on va me rétorquer que les drones sont déjà mobilisés pour la guerre en Irak et Afghanistan, et que le terrorisme d'Al-Qaïda est beaucoup plus dangereux que le terrorisme de la mathématisation du monde. Désolé, je retire tout ce que je viens d'écrire…


PS : Pour finir, on a inventé les corridors. Je suppose que l'on a construit tout autour des filets antiparticules, à moins qu'il suffise d'inscrire « interdit aux particules », les particules venant d'Islande étant probablement éduquées et disciplinées. Je propose que l'on garde collectivement en mémoire cette brillante percée conceptuelle, c'est une candidate pour un best of en fin d'année….




21 avr. 2010

CHOISIR OÙ L’ON EST

On est plus libre qu'on ne le croit

Il est une question que l'on oublie trop souvent de se poser : où voulons-nous vraiment être en ce moment ?
Pourquoi sommes-nous là où nous nous trouvons ? Rarement parce que nous l'avons voulu. Le plus souvent, c'est le résultat de notre passé, de notre histoire, du jeu des forces en place, d'une part de hasard aussi.
Pourquoi ne pas oublier pourquoi on est là pour revenir à une question simplement provocatrice : où ai-je envie d'être ? Pourquoi ne pas se poser la question à partir d'un futur rêvé ? Pourquoi ne pas partir de celui que nous voulons être ? Pourquoi ne pas choisir où l'on est et ce que l'on fait à partir d'un projet, et non pas d'une contrainte ?

Dans mon nouveau livre, « les Mers de l'incertitude », j'explique que, dans le monde de l'incertitude, les entreprises doivent penser à partir du futur et agir au présent en fonction de ce futur rêvé.
Ce qui est vrai pour une entreprise, l'est aussi pour un individu. Nous sommes plus libres que nous le croyons. Nos frontières et nos limites sont d'abord celles que nous nous créons. Ayons le culot d'agir à partir de nos rêves…

20 avr. 2010

ASTÉRIX ET LARGO WINCH, DEUX HÉROS FACE À L’INACCEPTABLE

A deux mille ans de distance, des combats se répondent

L'un est petit, teigneux, facilement irritable. Pour compagnons, il en a deux essentiels : l'un trottine à ses côtés, l'autre est toujours à la recherche d'une nourriture gargantuesque.
L'autre est grand, svelte, imperturbable. De compagnons, il n'en a pas vraiment : des amis en mal de trahison, des femmes qui font de la figuration.

Du père du premier, on ne sait rien. A croire qu'il a émergé dans son village, immaculé conception en quelque sorte. Il est né pour se battre, naturellement adulte, sans enfance, sans passé. Il n'a pas non plus vraiment de futur : il ne fait pas de projet, ne dresse pas de perspectives. Il est tout entier arrimé dans le présent.
Du père du second, on sait tout. Tout commence par ce père, et malgré son absence, tout tourne autour de lui. Le fils est certes le personnage central, mais il est d'abord l'héritier. Il est le fruit de son passé, de son enfance. Il n'a pas non plus de futur clair : il ne fait de projet qu'à quelques mois de là. Il est l'incarnation au présent d'une filiation passée.

Astérix se dresse face aux armées de César. Pourquoi ? Pour sa liberté, pour son besoin de protéger la vie de son village gaulois. Il ne cherche pas à construire, mais à défendre et protéger.
Largo Winch se dresse face aux rapaces du capitalisme mondial. Pourquoi ? Pour la mémoire de son père, pour le besoin de prouver que la moralité y est possible. Il ne cherche pas vraiment à construire, mais plutôt à maintenir l'empire de son père.

Tous deux sont des héros solitaires, qui ont le courage de se dresser pour refuser ce qui est inacceptable. Car en effet, le seul acte valable face à l'inacceptable est de ne pas l'accepter.

19 avr. 2010

ENFERMÉ EN LUI-MÊME, JEAN-LOUIS MURAT PEUT S’OUVRIR AUX AUTRES

Un soir au Bataclan…

Les yeux fermés, il chante. Comme s'il avait besoin de s'enfermer dans le seul monde de sa musique. Quand il jette un regard, c'est vers ses musiciens, comme nous excluant de sa création.
Pourtant la foule est là debout, se mettant en mouvement sous les flots du rock qui se déverse de la scène. Le son est âpre, rêche, carré. Inattendu venant de Jean-Louis Murat. Il a quitté le son habituel de son folk soft, de ses ballades. Il a des accents plus violents, plus brutaux. Souvent le son de sa guitare se fige dans une note qui se prolonge et se tord – un son comme celui de Neil Young –, à l'image de son visage fermé dans une douleur intérieure.
Les deux se font face ainsi, Murat emprisonné dans sa musique, le public progressivement fasciné par ce show. Bizarrement, la frontière des yeux fermés est de moins en moins une barrière. Une fusion progressive s'opère entre ceux qui écoutent et celui qui crée. Nous oscillons au rythme de sa guitare et de sa voix, il entre de plus en plus profondément dans ses mots et ses notes. Comme la peau d'une cellule qui sert à la limiter, mais aussi par laquelle elle respire et échange, le rideau de ses yeux clos le protège, mais aussi par lui il se fond en nous.
La magie s'installe, et le temps n'a plus pour rythme que celui de sa musique : Murat l'a dressé, et il accélère ou ralentit selon son bon plaisir. A la fin, toujours apparemment coupé de nous par l'absence de regard, la communication est parfaite. 
Comme quoi, on peut se comprendre sans parler, on peut se fondre sans se voir, échanger sans se regarder. Pour s'ouvrir, Murat a d'abord besoin de se fermer.
Ce concert était, il y a quelques jours au Bataclan à Paris.

16 avr. 2010

COMMENT SE DONNER LE TEMPS NÉCESSAIRE À LA TRANSFORMATION ET À LA CONFRONTATION ?

______ Éditorial du vendredi ________________________________________________________________

Rappel du patchwork de la semaine :
- Lundi : Parallèlement au passage au développement durable, il faut promouvoir le management durable, c'est-à-dire la meilleure prise en compte des effets dans la durée. En effet, la montée de l'incertitude et la pression croissante de la recherche de la rentabilité sont en train de promouvoir un management qui « consomme » les ressources disponibles de l'entreprise.
- Mardi : Dans les marchés de Delhi comme dans les 3J des Galeries Lafayette, la foule se presse. Plus de compétition et d'égoïsme de notre côté, plus d'effervescence et d'énergie de l'autre… 
- Mercredi : Ballade guidée par le philosophe Paul Virilio sur le temps et la vitesse. Depuis un siècle, le temps des machines est passé à la nanoseconde, celui de l'homme est resté le même et il y a un décalage entre la temporalité personnelle et celle de la société. Il est urgent de prendre le temps de repenser notre relation au temps et à la vitesse.
- Jeudi : Une entreprise est trop complexe, les points de vue trop multiples, les possibles trop nombreux pour qu'une seule personne puisse détenir la vérité et qu'il soit normal d'être immédiatement d'accord. Il faut promouvoir la confrontation pour approfondir la compréhension d'une situation et ajuster les points de vue.

Diriger dans la durée, repenser la vitesse et veiller à prendre en compte l'horloge humaine, accepter la partialité d'un point de vue et pousser à la confrontation, voilà bien trois thèmes majeurs pour le management dans l'incertitude.

Ce sont aussi, je crois, trois interpellations pour tous nos systèmes collectifs :
- Comment, comme je l'abordais dans mon éditorial de vendredi dernier, mettre de la stabilité dans nos systèmes politiques, alors qu'ils sont de plus en plus rythmés par la succession des échéances électorales ?
- Comment donner le temps aux hommes et aux femmes d'intégrer les transformations de notre monde pour ne pas se sentir balayés comme par un tsunami ?
- Comment faire des différences culturelles, religieuses ou raciales des opportunités d'enrichissements mutuels, au travers de confrontations et non pas de conflits ?

15 avr. 2010

PERSONNE NE PEUT SEUL PRÉTENDRE DÉTENIR LA VÉRITÉ

Il est normal de ne pas être immédiatement d'accord


"Notre monde est devenu trop complexe, trop incertain pour qu'une personne ou un groupe de personnes (un département technique, une force de vente, une usine, une expertise fonctionnelle,…) puissent penser avoir faire le tour d'un problème. Chacun ne détient qu'une part de vérité, qu'un point de vue.
La confrontation, c'est la mise en commun de ces différents points de vue pour construire une interprétation commune. Cette confrontation n'est pas spontanée, car chacun est pris dans ses certitudes, ses convictions et ses habitudes. Il n'est pas facile d'admettre que l'on ne détient qu'un des points de vue : 
- Un industriel comprendra difficilement pourquoi il est nécessaire de multiplier les références d'un produit et pensera toujours que le temps de la Ford T noire était le bon temps ; 
- Un homme de marketing sous-estimera souvent la difficulté de réaliser une performance technique dans la durée ; 
- Un vendeur pensera qu'il est toujours possible de fabriquer ce qu'il a vendu… 
Pour mieux appréhender le réel, mieux cerner une situation, il faut que chacun prenne conscience de la partialité de son point de vue et de l'incomplétude de ses interprétations. Si une autre personne, un autre service, une autre filiale a un point de vue différent, c'est normal : les analyses d'un même problème, faites depuis des endroits différents et à partir d'histoires distinctes, n'ont pas de raison d'aboutir spontanément aux mêmes conclusions.
Pour imager mon propos, il s'agit d'installer une culture « anti-termite » : il est très dangereux pour une entreprise de n'avoir qu'une collectivité de soldats obéissants. Chacun est porteur de connaissances techniques, d'informations venant de la concurrence, de retour clients, qui sont autant d'informations-clés que la solution retenue doit intégrer."


(Ce texte est un extrait de mon nouveau livre "Les mers de l'incertitude"  - p.136-137- à paraître fin mai)

14 avr. 2010

IL Y A UNE DISSOCIATION ENTRE LE TEMPS HUMAIN ET LE TEMPS DE L’INFORMATIQUE

Le temps n'a pas de vitesse

En 2008, Stéphane Paoli a réalisé un documentaire centré sur le philosophe français, Paul Virilio. Ce film intitulé « Penser la Vitesse » est une réflexion riche sur le temps (diffusé sur Arte et disponible sur Arte Vidéo).

En voici, un patchwork :
« Un original, une œuvre d'art intègrent de la durée. Avec un clic de souris, on peut copier tout en numérique et l'envoyer au monde entier. (…) Il faut faire de sa vie un original, c'est-à-dire une œuvre d'art. » (Joël de Rosnay)
« Le temps n'a pas de vitesse. (…) Ceci sous-entendrait que le temps se déplace par rapport à lui-même. (…) Ce qui accélère, c'est ce qui se passe dans le temps et pas le temps lui-même. » (Etienne Klein, physicien CEA)

« La vitesse, c'est la violence suprême. Avec une main, on peut caresser ou gifler. » (Paul Virilio)
« Le monde virtuel, c'est le sixième continent. C'est un substitut à la patrie. C'est une colonie de substitution. » (Paul Virilio)    
« On a une synchronisation des émotions, une mondialisation des affects en temps réel. (…) Une communauté d'émotions remplace les communautés d'intérêts. » (Paul Virilio)
« On est au bord du monde la totalité. Il va falloir gérer le tragique de la situation. (…) Le 20ème siècle m'apparait vraiment obsolète. (…) C'est tragique, mais pas triste. » (Paul Virilio et Enki Bilal)
« Un optimiste, c'est un homme qui voit une chance derrière chaque calamité. » (Winston Churchill)

« Avec l'informatique, on est passé à la nanoseconde, la picoseconde. Ce sont des temps plus rapides que le temps humain. (…) Il y a une dissociation entre la perception et la vitesse des échanges : c'est très aliénant. » (Jeremy Rifkin, Foundation on Economic Trends), 
« Plus la vitesse s'accroît, plus l'impatience aussi. On a de moins en moins d'attention et de concentration, on zappe, car on est distrait par la quantité de l'information permanente, le bruit. (…) Notre cerveau n'est pas multitâche. (…) Nous sommes moins concentrés, moins attentifs, moins introspectifs, moins prospectifs, toutes qualités nécessaires pour affronter ce monde complexe. » (Jeremy Rifkin)
« On ne peut pas s'ajuster à la vitesse et à la densité des échanges. On prend des drogues pour essayer de se réadapter (car la drogue accélère ou ralentit notre référentiel temporel). Il y a un décalage entre la temporalité personnelle et celle de la société. » (Jeremy Rifkin)
« Dieu est si efficace qu'il peut exiger quelque chose, et que ça arrive sans aucune durée, sans que le temps s'écoule. Instantanément. (…) Le niveau suprême d'efficacité, c'est optimiser le rendement dans un laps de temps si court qu'il n'y a plus de durée. (…) Ainsi on est constamment en vie. » (Jeremy Rifkin)

13 avr. 2010

DES FOULES QUI SE TÉLESCOPENT À DISTANCE

Delhi ou Paris ?

Petit à petit, je m'enfonce au milieu de la foule. Régulièrement il faut jouer des coudes pour avancer ou accéder à une devanture. Je suis envahi par un océan de couleurs, d'odeurs et de bruits. Au bout de quelques minutes, je ne sais plus très bien où je me trouve, ni dans quelle direction se trouve le Nord.
De rayon en rayon, j'avance. A la logique du monde extérieur, s'est substitué ce flot humain dans lequel je glisse, essayant parfois bien inutilement de me diriger. Une sorte d'hystérie collective s'est emparée de ceux qui étaient auparavant des individus et ne sont plus que des consommateurs englués dans la folie de l'achat.

Je me souviens de ce curry entraperçu, il y a quelques minutes : l'ocre et le parfum sont encore en moi. Je suis maintenant au milieu des jeans et des tee-shirts. Encore quelques minutes de navigation, je basculerai dans un autre univers fait d'encens ou de bois, de soie ou de fruits. Pourquoi chercher à prévoir ? Le charme du lieu est dans l'aléa des rencontres et des découvertes…
Je me souviens du cachemire entraperçu, il y a quelques minutes : sa douceur et sa couleur flottent en moi. Je suis maintenant au milieu des chemises et des cravates. Encore quelques minutes d'errance, je me retrouverai dans un monde de parfums ou de crèmes, de montres ou de bracelets. Inutile de prévoir. Le charme de la quête est dans l'imprévu des découvertes…

Voilà une heure que j'avance, perdu, dans le marché d'Old Delhi. Des yeux charmeurs se posent sur moi et me retiennent. Une tasse de thé offerte au fond d'une échoppe improbable, quelques mots échangés, des numéros de téléphone, et il m'indique comment sortir du dédale et retrouver ma route.
Voilà une heure que j'essaie en vain de trouver la bonne affaire aux 3J des Galeries Lafayette. Personne ne se regarde, illusoire de penser que quiconque pourrait s'intéresser à l'autre. Chacun est le rival de son voisin, celui qui pourrait acheter la dernière pièce restante.

Dans les marchés du vieux Delhi comme dans les 3J des Galeries Lafayette de Paris, il y a une foule compacte et acheteuse. Mais la plus civilisée des deux n'est pas forcément celle qui a le plus fort pouvoir d'achat. Une des foules exprime l'effervescence de la vie et du mélange. L'autre, la compétition et l'égoïsme. Télescopage virtuel à distance…

12 avr. 2010

POUR LA MISE EN PLACE D’UN « MANAGEMENT DURABLE »

Est-ce que les décisions prises aujourd'hui contribuent à créer de la valeur à terme ?

Le concept de « développement durable » est venu envahir – à juste titre – envahir notre espace commun de réflexion… et un peu – malheureusement pas assez ! – d'action. Pour simplifier, il est né de la prise de conscience que nos actions immédiates allaient conduire à une catastrophe à terme.

Selon la définition fournie dans Wikipedia, « Le développement durable (traduction de Sustainable development) est une nouvelle conception de l'intérêt public, appliqué à la croissance économique et reconsidéré à l'échelle mondiale afin de prendre en compte les aspects écologiques généraux d'une planète globalisée. Selon la définition proposée en 1987 par la Commission mondiale sur l'environnement et le développement dans le Rapport Brundtland, le développement durable est : « un développement qui répond aux besoins des générations du présent sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs. Deux concepts sont inhérents à cette notion : le concept de « besoins », et plus particulièrement des besoins essentiels des plus démunis à qui il convient d'accorder la plus grande priorité, et l'idée des limitations que l'état de nos techniques et de notre organisation sociale impose sur la capacité de l'environnement à répondre aux besoins actuels et à venir. »

Face à l'urgence de la crise écologique et sociale qui se manifeste désormais de manière mondialisée (changement climatique, raréfaction des ressources naturelles, écarts entre pays développés et pays en développement, perte drastique de biodiversité, croissance de la population mondiale, catastrophes naturelles et industrielles), le développement durable est une réponse de tous les acteurs (États, acteurs économiques, société civile) pour reconsidérer la croissance économique à l'échelle mondiale afin de prendre en compte les aspects environnementaux et sociaux du développement. »

Je crois que nous sommes un peu dans la même situation pour ce qui est du management des entreprises : plongé dans la montée de l'incertitude et la difficulté croissante d'anticiper, mis sous pression par la demande d'amélioration continue des résultats financiers, souvent de passage à la tête d'une entreprise dont il ne connait ni le passé, ni la culture, ni les hommes, le management est conduit de plus en plus à prendre des décisions qui ne contribuent plus vraiment à une création de valeur durable.

Il serait donc temps d'en appeler à la mise en place d'un « management durable » (ou sustainable management), c'est-à-dire une meilleure prise en compte des effets dans la durée.

Cette remarque qui est vraie pour les entreprises s'applique aussi plus globalement au système économique…

9 avr. 2010

COMMENT CONDUIRE UN CHANGEMENT DANS UN PAYS SANS STABILITÉ ?

______ Éditorial du vendredi ________________________________________________________________

Rappel du patchwork de la semaine :
- Lundi : Mon blog était en vacances pour laisser passer les cloches…
- Mardi : Malgré l'acceptation intellectuelle de l'incertitude, plusieurs comportements obsolètes perdurent : on continue à vouloir prévoir à coup de tableurs Excel ; de plan de productivité en plan de productivité, on rend les entreprises cassantes et anorexiques ; plus son expertise se développe, plus une entreprise risque de se déconnecter du réel.
- Mercredi : Le management dans l'incertitude suppose de penser à partir du futur - à partir de ces mers qui sont des attracteurs stables -, et d'apporter des solutions nouvelles et immédiates susceptibles de faciliter l'accès à cette « mer ». Il suppose aussi paradoxalement une permanence dans la mer visée et une grande stabilité de l'équipe de direction et de l'actionnariat. 
- Jeudi : Il y a un mois, celui qui allait être une des principales « victimes » des élections régionales était annoncé comme un candidat à Matignon. Incapacité de la presse à prendre du recul ou instabilité des carrières gouvernementales ?

Je reste « fasciné » par la capacité de nombre d'hommes politiques à venir occuper des responsabilités ministérielles pour lesquelles ils n'ont aucune expérience. Ou encore par la valse constante et régulière qui les voit échanger leurs portefeuilles. Il est vrai que cette valse est plutôt décroissante, ces dernières années.
Or ce qui est vrai pour les entreprises – l'accroissement de l'incertitude appelle à plus de stabilité du management et de l'actionnariat – est encore plus vrai pour un pays et une responsabilité ministérielle : comment imaginer qu'un homme politique pourra intégrer la complexité d'une fonction s'il ne fait qu'y passer ? Comment avoir une action stable et dans la durée quand les responsables changent constamment ? Comment croire que l'on peut entreprendre une action profonde et réelle quand on change d'orientation à tout moment ?
Le besoin de penser à partir du futur et d'apporter une cohérence à l'action dans la durée (« consistency » dirait les anglais) est loin d'être la règle courante dans toutes les entreprises, mais on le retrouve chez les meilleurs. Il est malheureusement terriblement absent dans le monde politique. Le rythme régulier des élections ne facilite pas cette approche, mais le comportement de la classe politique vient souvent amplifier ce handicap.
Quant aux trois comportements obsolètes - le danger des prévisions excel, la tendance à l'anorexie et l'aveuglement par l'expertise -, seul le premier se retrouve dans le gestion politique, mais fortement accru : on discute constamment d'indicateurs et de nombres qui ne correspondent à aucune réalité effective (par exemple le taux d'inflation n'est que le résultat d'un calcul et ne correspond à aucune situation réelle) et dont les anticipations sont constamment démenties (sans parler des cas où l'on tire des conclusions à partir de variations non statistiquement significatives).
On ne voit par contre pas vraiment la classe politique avoir une tendance excessive à la productivité. Quant à l’aveuglement par expertise, le risque couru par les politiques est plus la coupure du réel…


8 avr. 2010

ON PEUT SE PLACER… PRÈS DE LA SORTIE !

Heureusement que la presse est là pour nous éclairer

Les attentes chez le médecin sont souvent l'occasion de feuilleter des magazines que l'on n'ouvrirait pas autrement. Ainsi, la semaine dernière, je me suis trouvé parcourant le numéro 200 de Challenges, daté du 18 février 2010.
Je le lisais d'un regard légèrement distrait, sautant d'une page à un autre, d'un encart au suivant. D'un seul coup, je me suis retrouvé face à un de ces scoops journalistiques définitifs : « Xavier Darcos se place pour Matignon ».
Devant un tel assaut de lucidité et de pertinence de la prévision, j'ai lu en détail ce court article (voir la photo ci-contre). Qu'y apprenait-on ? Que Xavier Darcos « a peu de chances de l'emporter aux régionales en Aquitaine ». Ouf au moins une information exacte, mais était-ce vraiment une information ? A part cela, on nous dresse un tableau d'un homme déterminé à mener à bien la réforme des retraites, soutenu par le Président – à tel point que François Fillon en prendrait ombrage –, et futur candidat possible pour Matignon.
Voilà donc un article visionnaire au sujet de celui qui semble bien être la seule « victime » post-régionales.

Quand la presse nous aide à réfléchir sur ce qui advient…

7 avr. 2010

IL FAUT PARTIR DU FUTUR POUR TROUVER LES MERS QUI ATTIRENT LE COURS DES ÉVOLUTIONS

Un monde incertain (2ème partie)

(Suite de l'article paru dans la revue Sociétal)

1. Peut-on encore diriger ?
Faut-il renoncer à tout projet et se contenter de vivre au jour le jour comme on peut ? Faut-il juste s'abandonner aux forces instantanées pour en tirer parti ? Où va-t-on ? On verra bien, on ira là où on pourra. Mais alors comment donner un sens à l'action collective, comment attirer à soi les talents, motiver des investisseurs ? Comment ne pas imploser ?
Ou à l'inverse, doit-on renforcer la discipline collective autour d'un objectif fort et fédérateur, derrière un leader charismatique et tout puissant ? Faut-il viser une montagne et se lancer à son escalade ? Mais comment dans le brouillard savoir que c'est la bonne montagne, comment résister aux tempêtes et trouver le bon cap dans le flou environnant ?
Comment sortir de cette tenaille ? Comment concilier la poursuite d'un objectif collectif et l'adaptabilité aux aléas ? Peut-on marier force instantanée et création durable de valeur?
Oublions un moment ce problème et regardons la Seine couler sous le pont Mirabeau. Si nous cherchons à deviner où va la Seine en la regardant couler, ou en suivant son parcours, nous ne sommes pas prêts de trouver la bonne réponse : elle va fluctuer au hasard des méandres. Nous allons probablement rapidement jeter l'éponge en nous disant que la Seine n'en fait qu'à sa tête, qu'elle ne sait pas où elle va. 
En fait si, elle le sait très bien : c'est un fleuve, et, comme tous les fleuves, elle va se jeter dans une mer ou un océan. Comment exactement va-t-elle y aller ? Là, elle ne sait pas très bien, elle verra, elle s'adaptera. Elle avance et chemine, en tirant parti du terrain. Mais, quels que soient les aléas du trajet, on peut d'ores et déjà prévoir où elle va aller. Ce que l'on ne sait pas, c'est simplement à quelle vitesse et si le trajet fluctuera ou pas.
Quand une équipe de direction cherche à construire une stratégie en partant du présent, en imaginant qu'elle va pouvoir prévoir où vont les choses en observant ce qui s'est passé et se passe aujourd'hui, elle fait la même erreur que celui qui cherchait à deviner où allait la Seine depuis le pont Mirabeau. Si l'on prolonge les tendances immédiates, on aura trop d'imprécisions, trop d'aléas, on ne pourra même pas quantifier le taux d'erreur.

2. Une mer est un besoin fondamental et stable
Pour construire une stratégie, il faut d'abord oublier le présent et partir du futur en cherchant sa mer.
Qu'est ce qu'une mer ? Une mer est un besoin fondamental et stable qui, quels que soient les aléas, va structurer le fonctionnement de notre société à long terme, orienter les évolutions, et attirer vers lui les courants. Des exemples ? La beauté, la communication, les loisirs, le déplacement, l'alimentation, la sexualité, une caractéristique de la matière…
Vous trouvez mon propos bien général, peu opérationnel et trop vague ?
C'est pourtant bien ainsi que s'exprimait en juin 2009 Eric Schmidt, PDG de Google : « Google est peut-être au cœur de ce futur, mais il n'y a pas de grand plan. (…) Nous n'avons pas de plan à cinq ans, nous n'avons pas de plan à deux ans, nous n'avons pas de plan à un an. Nous avons une mission et une stratégie, et la mission est…, vous savez, d'organiser l'information du monde. Et la stratégie est de le faire à travers l'innovation. » Le choix fait par Google est bien une mer : quoiqu'il arrive dans le futur, ce besoin en information existera toujours. L'innovation est elle-aussi un moteur stable et durable : ce sont les technologies qui deviennent obsolètes, pas l'innovation.
Quand vous demandez à L'Oréal de définir sa stratégie, il répond la beauté, mer qu'il a précisée en ne s'intéressant qu'à la peau, au cheveu et au parfum. De même Nestlé avec la nutrition et la santé (mer aussi visée par Danone), Air Liquide avec le gaz, Saint Gobain avec l'habitat, Total avec l'énergie…

3. La mer doit être « facilement » accessible
Les stratèges chinois ont développé une apologie de la facilité. Ne nous trompons pas : cela ne veut pas dire qu'aucun effort, aucun travail ne seront nécessaires. Non, cela signifie que toute action pour être efficace doit prendre appui sur le potentiel de situation et la configuration du terrain, qu'elle doit être amplifiée et relayée par les forces naturelles. A l'inverse, il est inutile et illusoire de penser que l'on peut lutter contre le cours des choses.
Comme un fleuve, la mise en œuvre devra « couler de source », c'est-à-dire prendre appui sur la géographie de l'entreprise : les tendances de fonds de la situation actuelle ; les savoir-faire de l'entreprise, sa position, son histoire, ses hommes ; ceux de la concurrence actuelle et potentielle…
C'est ce qui va permettre de résister au mieux aux aléas du trajet et aux « cygnes noirs » qui peuvent survenir.
Il faut aussi que plusieurs chemins soient possibles, car c'est le seul moyen de pouvoir faire face aux imprévus : pour viser la beauté de la femme, L'Oréal multiplie les produits, les marques, les circuits de distribution. Cette redondance peut sembler une sous-optimisation ou un manque de productivité, elle est surtout une assurance contre les aléas : si le circuit des ventes via les pharmacies se développe plus vite que via les parfumeries, L'Oréal est là. Si c'est celui de la vente directe, L'Oréal est là encore.

4. L'avancée vers la mer commence aujourd'hui
Autant l'horizon à moyen et long terme est flou, car masqué par le jeu combiné des incertitudes environnantes, autant l'avenir immédiat est planifiable : les ressources de l'entreprise sont connues, tant qualitatives que quantitatives ; l'évolution du marché et des attentes des clients sont analysables ; les positions des concurrents le sont aussi. Il reste bien sûr des aléas, mais ils peuvent être cernés et probabilisés : on est en-deçà de l'horizon du flou, nous sommes dans l'horizon des plans d'action et du budget.
Comment cet horizon se raccorde-t-il avec celui du long terme ? Comment les plans d'actions se relient avec le chemin qui doit conduire à la mer ? C'est « simple » : ils doivent en constituer la première étape. A l'issue de ces plans d'actions, on doit s'être rapproché de la mer et/ou avoir conforté les chances de l'atteindre. Si ce n'est pas le cas, soit la mer n'est pas la bonne (dans un an, la mer restera au loin, à l'horizon, les concurrents, eux, auront bougé, et cette mer, on ne l'atteindra jamais), soit le plan d'actions n'est pas le bon !
De fait, il doit y avoir une articulation progressive partant des actions immédiates précises et détaillées, et allant vers le flou « total » : au fur et à mesure que l'on s'éloigne du présent, les actions sont moins précises, les ressources affectées moins définies, les options moins tranchées. A l'horizon intermédiaire, celui qui est l'horizon du flou, on a seulement une « idée » de l'entreprise telle qu'elle devrait se présenter et on a identifié les étapes que l'on voudrait avoir franchies.

5. On choisit sa mer pour la vie
La mer n'est pas un objectif que l'on se fixe pour les cinq ou dix à venir, c'est un horizon, situé à l'infini, qui va guider et apporter du sens aujourd'hui et demain : L'Oréal vise la beauté depuis les années 70, Air Liquide s'intéresse au gaz depuis plus de cent ans, et Google n'envisage pas de se centrer sur un autre thème que l'information.
Pourquoi une telle stabilité ? Parce que :
- C'est possible : une mer est un attracteur stable dans le chaos du monde, un besoin fondamental et stable qui, quels que soient les aléas, sera toujours là.
- C'est nécessaire : comme un fleuve se renforce au fur et à mesure qu'il progresse, une entreprise ne peut pas changer de mer sans « repartir de zéro ». Au début, une entreprise n'a qu'une intuition de la mer, c'est petit à petit qu'elle va développer une compréhension fine, créer des offres de mieux en mieux adaptées, développer des savoir-faire internes…
- C'est l'identité même de l'entreprise : c'est la mer qui donne le sens à l'action collective et soude les équipes internes. Changer de mer, ce n'est pas seulement changer de stratégie, c'est changer d'identité. Changer de mer, c'est risquer de ne pas être compris et suivi, de voir éventuellement même éclater l'entreprise.
Aussi ne choisit-on pas sa mer sur un coup de tête : cela doit être le résultat d'un processus long et approfondi. Souvent ce choix a été fait dès la naissance de l'entreprise et s'est trouvé progressivement confirmée par le renforcement de l'entreprise. Dans ce cas, on a choisi sa mer comme l'eau d'un fleuve : la source a imposé la mer.

*
* *
Un mot sur le management en guide de conclusion.
Plus les dirigeants changeront souvent d'entreprises, et les actionnaires seront volatils, plus les uns comme les autres voudront se protéger par des prévisions et des chiffres : ne pouvant comprendre en profondeur ce qui fait l'entreprise et ses marchés, n'ayant pas un accès personnel à son histoire, il leur sera difficile d'imaginer le futur. Dirigeants comme actionnaires croiront se protéger dans des tableaux et des certitudes, alors qu'ils ne sont que des lignes Maginot mentales. Quand ils verront que le futur n'est pas comme ce qui avait été prévu, souvent ils se réfugieront dans le court terme, coupant les ressources et les moyens qui auraient permis à l'entreprise de réussir.
Quelles sont les entreprises qui arrivent à créer de la valeur dans la durée ? Ce sont précisément celles qui ont une stabilité à la fois de leur management et de leur structure d'actionnaires. Situation qui est singulièrement celles des groupes familiaux : ils savent mieux éviter les modes, faire des paris gagnants sur le futur, s'y tenir et naviguer au mieux au jour le jour.
Ainsi paradoxalement, l'incertitude suppose la stabilité du management : la vie est faite d'ordre et de désordre, de yin et de yang. Être stable pour pouvoir se diriger et diriger. Être fort pour aimer l'incertitude, s'appuyer sur l'incertitude pour se renforcer.



(Tous ces éléments sont développés dans mon nouveau livre "Les mers de l'incertitude")

6 avr. 2010

DES APPROCHES MANAGÉRIALES DANGEREUSES ET OBSOLÈTES PERDURENT

Un monde incertain (1ère partie)

Le nouveau numéro de la revue trimestrielle Sociétal est centré sur le « Management de l'après-crise ou crise de l'après-management ». J'y participe au travers d'un article intitulé « Un monde incertain ». Compte-tenu de sa longueur, je le publie sur deux jours. En voici la première partie.

LE FLOU ET L'INCERTITUDE SONT DEVENUS LA RÈGLE
Tout le monde se sent débordé par l'incertitude : omniprésente autour de nous, elle en est venue à tout envahir. Quel que soit le journal que je saisisse, quelle que soit la radio que j'écoute, quelle que soit la télévision que je regarde, je suis certain d'y trouver des prévisions démenties, des reprises qui n'arrivent pas, des catastrophes et des succès inattendus. 
La crise économique déclenchée en septembre 2008 a rendu encore plus évidente cette propagation de l'incertitude.
Dans le même temps, nous continuons à rêver d'un monde sécurisant où, à l'image des livres de cuisine, on connaitrait la liste des ingrédients à réunir et le mode opératoire à suivre pour obtenir à coup sûr un résultat connu à l'avance et conforme à la photographie affichée.
Le monde des entreprises, loin d'être épargné, est au cœur et souvent à l'origine de cette tourmente. Qu'en est-il de sa capacité à prévoir ce qui va advenir ? Pour répondre brutalement, il n'en reste plus grand-chose :
- Il n'y a quasiment plus de certitudes, c'est-à-dire de situations dont on peut définir à l'avance l'évolution : la présence des boucles de rétroaction et la densité des interactions empêchent de prévoir de façon certaine ce qui va se passer.
- Il est même impossible, sauf à court terme, de probabiliser l'évolution. Au mieux, nous pouvons définir le monde des possibles : avoir une idée de ce qui est susceptible de se produire, élaguer en définissant des zones impossibles, préciser des chemins, mais sans savoir lequel sera suivi.
- L'horizon du court terme varie selon les pays et les secteurs, mais dans tous les cas, il se rapproche constamment. Il est de l'ordre de l'année, parfois beaucoup moins, rarement beaucoup plus. Au-delà, règne le flou.

POURTANT DES APPROCHES MANAGÉRIALES DANGEREUSES ET OBSOLÈTES PERDURENT
1. La maladie de la prévision Excel

Sous la pression de leur environnement et/ou de leur direction, les entreprises continuent à construire des business-plan peuplés de prévisions à trois ou cinq ans.
Or ceci est faux et dangereux.
Faux parce que :
- On est incapable de modéliser réellement la situation actuelle et de tenir compte de toutes les interdépendances.
- Ceci repose sur une modélisation mathématique du comportement des individus, modélisation le plus souvent contestable (*).
- La projection suppose que ce qui a sous-tendu l'évolution passée, sera vrai dans le futur. Or au mieux, il y aura de faibles déformations ; au pire, tout sera changé.
- Si, par chance, les lois passées restent encore valables, comme les évolutions complexes sont régies par des lois de type chaotique, la moindre erreur initiale générera des erreurs non quantifiables.

Dangereux parce que :

- Elle fait croire le problème résolu et baisser la vigilance : comme on imagine avoir maîtrisé le risque en l'ayant encadré dans des scénarios, on ne prête plus assez attention à ce qui se passe et émerge.
- Souvent les prévisions se retrouvent dans les budgets des années à venir : alors qu'elles ne sont que des construits imaginés, on va évaluer la performance d'une unité ou d'un manager sur sa capacité à les respecter, et non pas sur celle de tirer le meilleur parti de ce qui advient réellement.

2. L' « anorexic management »
Quand on évalue une performance, on met en regard les dépenses allouées et les résultats obtenus. Puis on cherche à comprimer les coûts en supprimant ceux qui sont les moins productifs.
Ceci présente deux risques majeurs :

- La mort comme résultat ultime de la règle magique des 80/20 : quoi que j'observe, je vais constater que 80% du résultat est obtenu avec 20% des efforts faits. Si l'on zoome, on constate que les derniers 5% ont un impact très faible. Alors arrive la question inévitable : pourquoi l'entreprise ne supprime-t-elle pas ces efforts qui ne sont pas rentables ? Si elle le fait et qu'un an plus tard, on mène la même étude, on identifiera à nouveau 5% d'efforts « inefficaces ». Que fait-on ? Coupe-t-on aussi ces efforts là ? Si oui, il n'y a aucune raison que cela s'arrête, et, on va par étapes vers le système le plus productif, le seul qui ne consomme aucune ressource inefficacement : la mort. C'est ce que l'on appelle aussi le « syndrome du wagon de queue » : quoique je fasse, il y en aura toujours un.
- La rigidité comme résultat de la cure d'amaigrissement : quand on mesure les résultats obtenus ou attendus, on n'est incapable par construction de prendre en compte ce qui n'est pas prévu. On va ainsi considérer comme non productif tout ce qui ne peut pas être relié à un bénéfice connu. L'application brutale et sans discernement de l'amélioration de la productivité va supprimer tout ce qui est flou et non-affecté, et rendre l'entreprise cassante : elle sera dépourvue des redondances et du flou indispensable à sa résilience.

Faut-il « jeter aux orties » toute approche de productivité et toute réflexion sur l'adéquation entre moyens et résultats ? Non, bien sûr, mais elle ne doit porter que sur la part « hors flou », et intégrer que ce qui est observé n'est que la partie émergée d'un iceberg. 

J'ai parfois l'impression que, comme pour les mannequins qui meublent les magazines de mode, on fait l'éloge de la maigreur excessive : il n'y a qu'un pas du lean management à l' « anorexic management » !

3. L'enfermement par l'expertise
Affirmer « Plus une entreprise est performante et expérimentée, moins elle comprendra ses clients » est apparemment une contrevérité. En effet, plus l'entreprise est performante, mieux elle connaîtra son marché, ses clients, sa concurrence. Certes, mais plus elle aura accumulé d'expériences, plus elle va se poser des questions selon sa logique. In fine, elle risque d'avoir un tel niveau d'expertise qu'elle est décalée par rapport à tous les autres, ses clients y compris.
Prenez l'exemple d'une banque dotée d'un système sophistiqué permettant de mesurer et de comparer le temps d'attente dans toutes ses agences, non seulement entre elles, mais vis-à-vis de la concurrence bancaire. Cet outil semble performant et pertinent, mais il présente un vice majeur : il compare la banque dans un référentiel qui n'est pas celui des clients. En effet, la plupart des clients n'ayant qu'un seul compte bancaire, n'ont pas la possibilité de comparer la performance de leur agence versus celle des concurrents. Par contre, comme, quand ils vont dans leur agence, ils sont le plus souvent en train de faire leurs courses, il compare l'agence aux autres commerces de la rue. Difficile quand on est un banquier chevronné de comprendre que l'on doit se comparer à une poissonnerie ou une crèmerie pour savoir si le client sera content ou mécontent !
Ainsi, plus l'entreprise est experte, moins elle parle le langage commun et plus elle peut se tromper. Plus l'incertitude se développe, plus ce risque est grand.
Ceci va souvent de pair avec le développement d'une forme d'arrogance issue de succès répétés et de la sensation d'être invulnérable. Au stade extrême, l'entreprise et ses collaborateurs vont devenirs « autistes » : forts de leur expérience, ils savent ce que veulent les clients, comment va évoluer le marché, quels sont les risques technologiques…
Pour comprendre ses clients, il faut d'abord faire le vide, oublier ce que l'on sait et ne mobiliser qu'a posteriori son expertise.

(à suivre)

(*) Voir notamment les travaux de Daniel Kahneman

2 avr. 2010

COMMENT POUVONS-NOUS CONSTRUIRE DES RÈGLES COMMUNES ?

______ Éditorial du vendredi________________________________________________________________

Rappel du patchwork de la semaine :
- Lundi : Comme tous les systèmes vivants, une entreprise se compose et se décompose sans cesse. Elle perdure et se développe au travers de ses transformations grâce à l'existence des règles qui la définissent. Sans la culture commune qui est le résultat de ces règles et de son histoire, elle ne serait qu'une juxtaposition d'individus et de systèmes…
- Mardi : Les statistiques présupposent que l'on peut mathématiser le monde et le comportement humain. La lecture du dernier livre de Florence Aubenas nous montre le décalage qu'il y a entre tous ces rapports d « experts » et la vie au quotidien. Quand comprendrons-nous qu'il faut redonner droit de cité à l'observation et à la compréhension ?
- Mercredi : A force d'ajuster les entreprises à leur situation actuelle, à force de tout optimiser et de supprimer ce qui n'est pas directement indispensable, on supprime le flou et les réserves, rendant ainsi les entreprises cassantes. Elles en deviennent d'autant plus vulnérables à un changement de leur environnement.
- Jeudi : Souvent nous rêvons d'un monde qui ressemble à celui des livres de cuisine, un monde dans lequel l'application de recettes et le choix des bons ingrédients vont garantir l'obtention du résultat. Mais dans ce monde de la certitude, où serait la place de la créativité, de l'intelligence et de la liberté ? Comment espérer sans incertitude ? 

Quand je regarde le fonctionnement de notre monde actuel, je vois surtout des juxtapositions et des télescopages, et bien peu un monde commun. Nous sommes encore bien loin d'habiter collectivement notre « Neuromonde », chaque nation, voire chaque « tribu » » restent dans sa logique. Comment arriver à construire ces règles communes, cette culture mondiale sans tomber dans le nivellement ou l'affrontement ? Tel est un de nos défis d'aujourd'hui. 
J'aime particulièrement l'approche que propose François Jullien dans « De l'universel, de l'uniforme, du commun et du dialogue entre les cultures ». Il y écrit ainsi : « Envisager les cultures sous l'angle « matériel », celui du contenu et des valeurs, aboutit nécessairement à un rapport de forces entre ces cultures... Soit j'impose mes valeurs aux autres, soit je leur cède... Ne pourrait-on cependant négocier ? Mais je crois justement que des valeurs ne se négocient pas... La solution, autrement dit, n'est pas dans le compromis, mais dans la compréhension. La tolérance entre valeurs culturelles, elle dont on ne cesse de dire aujourd'hui l'urgence entre les nations, ne doit pas venir de ce que chacun, personne ou civilisation, réduirait la prétention de ses propres valeurs ou modérerait son adhésion à leur égard, ou même « relativiserait » ses positions (pourquoi l'Europe marchanderait-t-elle tant soit peu sur la liberté ?)... Une telle tolérance ne peut venir que de l'intelligence partagée... Chacun s'ouvre également, par intelligence, à la conception de l'autre. »
Faire cela suppose de ne plus penser le monde à coup de statistiques, de calcul et de prévision, mais de passer du temps à s'observer et à se comprendre. Comme Florence Aubenas l'a fait à Ouistreham, nous devrions faire des plongées en profondeur et croisées pour nous comprendre les uns les autres. 
Cela suppose aussi de ne pas penser le monde à coup de rétroviseur : les nations qui structurent notre organisation collective sont le fruit du passé, et ne sont pas nécessairement adaptées à ce que sera notre futur.
En adaptant très précisément une entreprise à sa situation actuelle, on la fragilise et on la rend incapable d'évoluer. A trop ajuster chacun de nos pays à son passé et à ses contraintes actuelles, sommes-nous en train de préparer le futur collectif ? 
Enfin, arrêtons de faire confiance à de prétendus experts et à leurs recettes de cuisine – quelles qu'elles soient ! – : le futur de notre monde reste incertain et très largement entre nos mains.

C'est cette incertitude qui doit nous donner l'espoir : c'est parce que nous ne connaissons pas le futur que le meilleur est possible…