« Il ignorait tout de la vieillesse, qui était pour lui une notion lointaine et abstraite ; tout ce qu'il savait de la vieillesse, c'est qu'elle est une période de la vie où l'âge adulte appartient déjà au passé ; où le destin est déjà achevé ; où l'homme n'a plus à redouter ce terrible inconnu qui s'appelle l'avenir ; où l'amour, quand nous le rencontrons, est ultime et certain. » (…)
Mais pourquoi Kundera qualifie-t-il de terrible, « l’inconnu qui
s’appelle l’avenir » ? Pourquoi redouter ce qui est notre seule vraie source de
liberté : sans l’incertitude liée à l’imprévisibilité du futur, chacun de nous
serait prisonnier d’un scénario écrit à l’avance, et avec un bon logiciel,
toute l’humanité pourrait être mise en boîte. Tant qu’il reste de l’inconnu, la
vie est ouverte, inattendue et fantasque. Donc possible.
Non, ce qui est terrible, c’est l’inverse : l’idée qu’un « destin soit
déjà achevé », que l’amour comme le reste devienne « ultime et certain ». (…)
Ne pas avoir accès à son passé n’est pas sans avantage : se souvenir,
c’est la porte ouverte aux supplices, être l’otage de son passé, être identifié
à celui que l’on était il y a un jour, un mois ou un an, éprouver le manque
d’un moment chéri ou d’un être aimé, avoir besoin d’éviter celle ou celui qui
nous a fait souffrir, rejeter un présent jugé fade au regard de ce que l’on a
vécu avant.
Oublier, c’est être libre chaque matin, repartir d’une copie blanche,
être perpétuellement neuf, une page vierge, prête à être imprimée par une
nouvelle rencontre.
Grâce à ma mémoire de poisson rouge, je ne suis prisonnier ni de ce que
j’ai fait, ni de qui j’ai rencontré, ni de qui je pourrais dépendre. Sans
préjugés, sans regrets, sans amis, sans amours, je vis protégé des autres et
des conséquences de mes actes.
Voilà donc comment j’ai vécu jusqu’à présent. En privilégiant liberté
contre lien, futur contre passé.
(Extrait
de mon livre Par hasard et pour rien)