11 mars 2022
TATOUAGE
7 mars 2022
BALLET DE MAINS
4 mars 2022
PORTES
(Extrait de mon livre Par hasard et pour rien)
25 févr. 2022
GRANDE MURAILLE
Avant mon retour en France, une dernière étape : la Grande Muraille. Envie de me confronter à la seule création humaine visible depuis l’espace. Une trace indélébile, aux antipodes de l’évanescence des tatouages aqueux.
Les empereurs ont uriné de la pierre pour marquer les limites de leur territoire. Définitivement. Matérialisant à jamais la bordure de leur empire, ils ont circonscrit le Pays du Milieu. La Chine a existé parce que tatouée. Sans cercle, sans bordure, pas de centre.
La première fonction de la Grande Muraille n’est pas de protéger la Chine, mais de la définir : elle commence là où l’on rencontre la Muraille, et finit si l’on s’en extrait. Comme la membrane d’une cellule. Mais une membrane voulue étanche et impénétrable. Une cellule coupée du dehors. (…)
Autour de moi, les cimes sont couronnées par un serpent de pierres qui court sur leurs crêtes. Hérissé de miradors, il domine le vide ambiant. Apparemment endormi, sentinelle depuis deux millénaires, caméléon habillé dans les tons des montagnes, il se fond dans le paysage. Un regard rapide ne prêterait pas attention à lui. Tapi, il guette de telles erreurs. Je ne les ferai pas. (…)
Je poursuis ma montée. Arrivé à un point d’où la vision est à trois cent soixante degrés, je m’arrête, saoulé par la force de la bise et la pureté de l’air.
Me reviennent les mots de Dominique A tirés de sa chanson Le Courage des Oiseaux :
« On imagine pourtant très bien voir un jour les raisons d'aimer perdues quelque part dans le temps. Mille tristesses découlent de l'instant. Alors, qui sait ce qui nous passe en tête ? Peut-être finissons-nous par nous lasser ? Si seulement nous avions le courage des oiseaux qui chantent dans le vent glacé ! »
Oui, si seulement, j’avais le courage des oiseaux qui chantent dans le vent glacé.
(Extrait de mon livre Par hasard et pour rien)
23 févr. 2022
TIAN’ANMEN
Devant, derrière, à droite, à gauche, une nuée de badauds en mal de selfies. Rien d’original : les smartphones ont rendu folle l’humanité. Chacun voit grâce au truchement d’un écran de poche, et accumule des milliers de photos que la plupart du temps il ne regardera pas ; chacun se complaît dans l’auto admiration de son faciès, ici se détachant sur un pont, là sur un château, ailleurs sur un plat de spaghettis ; chacun, au lieu d’être immergé dans la réalité de l’espace qu’il occupe, nourrit une discussion continue avec de prétendus amis que le plus souvent il ne rencontrera jamais.
Mao Tsé-Toung domine la scène et se prête à la futilité de ce jeu de bonne grâce : devenu star du numérique, avec un sourire à peine esquissé, il accepte de figurer aux côtés des centaines de Chinois qui mitraillent autour de moi.
Les toisant de haut, lui, il se souvient de la silhouette dérisoire du jeune étudiant qui, à ses pieds, s’était dressé face aux chars. Lui, il sait les rivières de sang qui ont entaché le sol de la place Tian’anmen.
Pour eux, il n’existe que le récit officiel. Pour eux, Mao est un grand-père sympathique, le premier empereur communiste, le guide suprême et attentionné. Pour eux, il n’y a aucune indécence à juxtaposer son propre portrait au sien. Au contraire, c’est un honneur et une joie. (…)
En contrechamp de la Cité Interdite, l’immensité massive et ennuyeuse du Palais de l’Assemblée du Peuple. Ambiance mussolinienne. En grand. En beaucoup plus grand.
Au milieu de la place, un jeune militaire raidi dans un garde-à-vous impeccable, visage creusé, nuque rasée. Seule sa tête bouge : un coup à gauche, un coup à droite, elle tourne et revient. Lentement, méthodiquement. Parfait métronome, il rythme le surplace du temps. Je ne suis plus qu’à quelques mètres de lui. Je le regarde, il ne me voit pas. Tic-tac, tic-tac, tic-tac.
(Extrait de mon livre Par hasard et pour rien)
21 févr. 2022
TENTATION (suite)
12 févr. 2022
DANS LE "TOY TRAIN" ENTRE DARJEELING ET KURSEONG
11 févr. 2022
HISTOIRE DE CHIENS
Chez nous, pas de tribu canine : nos chiens vivent avec leurs maîtresses ou maîtres respectifs. Séparément. Un par un. Du coup, ils sont rangés, parqués, lissés. Ce ne sont pas des hommes, mais plus vraiment des bêtes. Tellement loin des loups.
Ils font partie de la famille, partent en vacances avec elle, ont leurs produits diététiques et cosmétiques, leurs cliniques vétérinaires. Ils sont ordonnés. Pas de pagaille, pas d’aléas.
Ils ne vont chercher la balle que si nous leur lançons, et ne la ramènent qu’à celui qui l’a envoyée. Il ne manquerait plus qu’ils prennent l’initiative. Il n’y a que dans le sketch de Raymond Devos que le chien est le maître. Mais il faut dire qu’il parle. Alors…
Il y a une chose que nos chiens ne font pas : être ensemble. Avez-vous déjà vu un groupe de nos chiens sillonner les rues d’une de nos villes ? Comme une bande de copains partis en goguette. Non. Ou dans un parc, un chien demander à son maître d’aller jouer un moment avec un camarade rencontré opinément ? Non plus. Tout au plus, ils se reniflent de temps en temps, mais vite reviennent dans les jupes ou les pantalons de leurs maîtres.
Ainsi nos chiens vivent-ils indépendamment les uns des autres. Chacun dans sa niche, chacun avec son propriétaire.
À Darjeeling, rien de tel : aucun ne vit avec un humain. Il reste avec les siens. (…)
Jamais, je ne serai un chien en Europe. Jamais, je ne marcherai tenu en laisse. Jamais, je ne suivrai docilement les pas d’un qui ne sera pas mon égal. Jamais, je ne ramènerai une balle qui m’aura été lancée. Jamais, je ne me ferai acheter par une gamelle toujours remplie ou une niche douillette et confortable. Jamais en hiver, je ne porterai de manteau ridicule. Jamais, quiconque ne décidera pour moi.
Avec mes frères les chiens, libre et indépendant, je cours et aboie dans la nuit de Darjeeling.
(Extrait de mon livre Par hasard et pour rien)
10 févr. 2022
DARJEELING
9 févr. 2022
LIBERTÉ
« Il ignorait tout de la vieillesse, qui était pour lui une notion lointaine et abstraite ; tout ce qu'il savait de la vieillesse, c'est qu'elle est une période de la vie où l'âge adulte appartient déjà au passé ; où le destin est déjà achevé ; où l'homme n'a plus à redouter ce terrible inconnu qui s'appelle l'avenir ; où l'amour, quand nous le rencontrons, est ultime et certain. » (…)
Mais pourquoi Kundera qualifie-t-il de terrible, « l’inconnu qui s’appelle l’avenir » ? Pourquoi redouter ce qui est notre seule vraie source de liberté : sans l’incertitude liée à l’imprévisibilité du futur, chacun de nous serait prisonnier d’un scénario écrit à l’avance, et avec un bon logiciel, toute l’humanité pourrait être mise en boîte. Tant qu’il reste de l’inconnu, la vie est ouverte, inattendue et fantasque. Donc possible.
Non, ce qui est terrible, c’est l’inverse : l’idée qu’un « destin soit déjà achevé », que l’amour comme le reste devienne « ultime et certain ». (…)
Ne pas avoir accès à son passé n’est pas sans avantage : se souvenir, c’est la porte ouverte aux supplices, être l’otage de son passé, être identifié à celui que l’on était il y a un jour, un mois ou un an, éprouver le manque d’un moment chéri ou d’un être aimé, avoir besoin d’éviter celle ou celui qui nous a fait souffrir, rejeter un présent jugé fade au regard de ce que l’on a vécu avant.
Oublier, c’est être libre chaque matin, repartir d’une copie blanche, être perpétuellement neuf, une page vierge, prête à être imprimée par une nouvelle rencontre.
Grâce à ma mémoire de poisson rouge, je ne suis prisonnier ni de ce que j’ai fait, ni de qui j’ai rencontré, ni de qui je pourrais dépendre. Sans préjugés, sans regrets, sans amis, sans amours, je vis protégé des autres et des conséquences de mes actes.
Voilà donc comment j’ai vécu jusqu’à présent. En privilégiant liberté contre lien, futur contre passé.
(Extrait de mon livre Par hasard et pour rien)
7 févr. 2022
INTERVIEW
« Q. : Vous avez dit, réécrivant le titre d’un film de Sofia Coppola, que vous vouliez être "lost in connection". N’était-ce qu’un jeu de mots ?
R. : Non, ce n’était pas qu’un jeu de mots. Je cherchais à expliciter le cœur de ma démarche.
Dans ce film, Bill Murray incarne un acteur perdu dans un Japon qu’il ne comprend pas et ne veut pas comprendre. Pour se protéger de ce qu’il perçoit comme une agression, il ne quitte pas son hôtel, une cloche dans laquelle il s’enferme et s’isole. Séparé par les vitres qui l’entourent, immergé dans un luxe aseptisé, anonyme et international, il pourrait être n’importe où.
Coupé par sa langue et sa culture, il est "lost in translation", car, au lieu de vivre ce qui se passe, il veut le traduire. Il est emmuré – "en‑Murray" si j’osais –, dans ses habitudes, ses connaissances, son passé.
Pour entrer en relation, c’est l’inverse qu’il faut faire. L’accès au réel suppose le culot d’avoir abaissé préalablement ses protections, de s’être mis à nu, prêt à plonger dans l’instant tel qu’il est. Profondément. Sans repères, sans guide, sans plan, sans anticipation.
Aussi, avant de voyager, je ne lis rien, surtout pas, et suis ignorant de ce que je verrai, accomplirai, de ce que je ne devrai pas manquer. Pour ne pas inscrire mes pas dans ceux des autres et de la foule, ne pas vivre ce qui l’a déjà été, éviter les idées préconçues. La magie du direct, sans informations, sans filtre, sans accompagnateur. Seul. Découverte brute et abrupte.
Sans repères, assis sur le rebord d’un temple, ou accoudé au balcon d’un palais, ou immergé dans une forêt de bambous, des rêves m’envahissent, le réel s’estompe pour faire de la place à mon imaginaire foisonnant. Je le peuple de personnages, reconstruis les ruines et fais rejaillir l’eau des fontaines. Entouré de fantômes et de chants, absorbé par le réel ainsi revisité et complété, je suis intensément vivant.
Alors, "lost in connection", je crée. »
(Extrait de mon livre Par hasard et pour rien)
5 févr. 2022
MÉKONG ET PROUST
Assis dans un fauteuil pliant, à l’abri d’un parasol, face aux collines du Laos, je lis. La prose de Proust flue en moi.
Grâce à ses zooms sans cesse renouvelés, d’agrandissement en agrandissement, d’approfondissement en approfondissement, de détail en détail, de digression en digression, elle n’en finit pas de ralentir. L’avancée est verticale, une descente dans les profondeurs. De temps en temps, par inadvertance, par erreur, l’horloge de l’histoire avance. D’une minute.
Deux voyages synchrones, l’un d’eau, l’autre de mots. Rai Saeng Arun a été créé pour y lire Proust. Et réciproquement.
Si Proust avait connu ce lieu, jamais il n’aurait pu y partir à la recherche du temps perdu, car le temps y est dissous et n’existe simplement plus. Parce qu’il n’est pas un continuum, parce que Rai Saeng Arun est logé dans une discontinuité, entre deux particules, on s’y arrête indéfiniment, tout est suspendu, on existe sans vieillir.
Le but ultime de Proust et du Mékong est atteint : le mouvement n’est plus et on est dans un instant éternel.
Voilà pourquoi je reviens sans cesse à Rai Saeng Arun et que j’y lis et relis Proust : pour cesser de vivre. Ou plutôt, être un vivant arrêté.
Dans quelques mois, j’aurai quarante ans. Depuis ma première exposition, presque vingt ans se sont écoulés. Et rien n’a changé. Comme Proust ou le Mékong, j’avance le moins possible. Je saisis l’opportunité du moindre recoin pour m’y attarder. Si un détour est possible, je le prends.
Ma peinture évolue peu. De légères fluctuations dans le temps. Des vibrations ténues. Heureusement, c’est ce qui plaît et l’on me félicite pour la constance de mes créations et de mon talent. Face à l’instabilité généralisée et la maladie actuelle de la vitesse, c’est compris comme une sagesse. Alors que ce n’est que paresse et manque d’imagination. Malentendu.
(Extrait de mon livre Par hasard et pour rien)