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11 janv. 2011

« LE NOMBRE D’ATTRACTEURS POSSIBLES VERS LESQUELS LE SYSTÈME PEUT CONVERGER EST BEAUCOUP PLUS PETIT QUE LE NOMBRE DE MODÈLES ET DE CHEMINS POUR Y ARRIVER »

Quand biologie, philosophie et incertitude s'emmêlent…

Patchwork tiré du nouveau livre d'Henri Atlan (*), La philosophie dans l'éprouvette.

Vie, auto-organisation, redondance
« Détournant une phrase de Schrödinger dans son fameux livre Qu'est ce que la vie ? selon laquelle la vie se nourrit d'ordre, Heinz von Foerster avait déclaré : « la vie a aussi du désordre au menu ». »
« Je me suis rendu compte qu'on peut rendre compte de ce genre de phénomène de façon formelle en mettant en évidence le rôle du hasard et d'une redondance initiale dans la création d'information. Ainsi des phénomènes classiquement considérés comme source de désorganisation et de mort sont apparus comme parties intégrantes de processus caractéristiques du vivant. »
«  Aujourd'hui, on s'aperçoit que les réactions chimiques dont on croyait qu'elles étaient les plus déterministes s'effectuent avec une part non négligeable d'aléatoire qui joue un rôle important dans la création de la diversité développementale. »

Sous-détermination des modèles et incapacité à prévoir
« Au contraire, la difficulté vient de ce que nous disposons de trop de bons modèles sans que les observations disponibles permettent de décider si l'un est meilleur que les autres, et idéalement de les éliminer tous sauf un. Or ces modèles reposent sur des hypothèses différentes et conduisent à des prédictions différentes sur de nouvelles observations futures éventuelles. C'est ce que j'avais alors appelé la « sous-détermination des modèles par les observations ».
« Quand on a affaire à un système complexe naturel sur lequel on ne peut pas expérimenter, comme c'est le cas par exemple en géologie, en volcanologie et en climatologie, une énorme sous-détermination des modèles par les observations est inévitable. Ceci doit rendre très prudent dans l'interprétation des rapports avec la réalité de ces modèles pourtant bons et validés par les observations disponibles ; et réservé sur la croyance à accorder aux prédictions d'évolutions futures qui en sont déduites. En outre, cette sous-détermination est souvent intrinsèque au système étudié et pas seulement une insuffisance de la modélisation. C'est ce que l'on observe parfois en biologie quand il existe une grande redondance fonctionnelle »
« Tout cela doit inciter à la prudence. Il ne suffit pas d'avoir trouvé le bon modèle qui explique ce que l'on observe pour conclure que ce modèle est vrai, et pour croire que les extrapolations qu'on pourra faire à partir de lui pour l'avenir sont forcément exactes. »

Sous-détermination et convergence
« Le fait de parvenir assez rapidement à la même conclusion est un aspect positif de la sous-détermination des modèles par les observations qui devient ici la sous-détermination des motivations par les conclusions. Ceci peut s'appliquer de manière intuitive : plus on a affaire à une question particulière et plus le nombre de réponses possibles se réduit. À la limite, il n'y a que deux ou trois possibilités : oui, non, ou à certaines conditions. En revanche, le nombre de raisonnements possibles pour y parvenir est beaucoup plus important, chacun d'eux dépendant d'un ensemble différent d'axiomes, de principes, de croyances, de visions du monde. Autrement dit, comme j'ai pu l'observer en construisant des modèles de réseaux immunitaires, le nombre d'attracteurs possibles vers lesquels le système peut converger est beaucoup plus petit que le nombre de modèles et de chemins pour y arriver. »

Expertise et incertitude
« Il faut reconnaître que l'expertise scientifique en situation d'incertitude est difficile. Peu d'experts ont le courage d'annoncer qu'ils ne peuvent pas répondre à la demande même en probabilité. Ils cèdent le plus souvent à la tentation de donner tout de même une réponse, soit pour rassurer, soit pour mettre en garde. »
« Plutôt que de tenter de prévenir des risques globaux incertains par des mesures globales à l'efficacité tout aussi incertaine, mieux vaut résoudre les problèmes localement en corrigeant ce qui peut l'être et en s'adaptant à ce qui ne peut pas être évité à court terme, par des mesures d'urbanisation et éventuellement de déplacements de population si c'est nécessaire. Plutôt que « sauver la planète », sauver les populations dénutries et sans eau potable. »
« Lorsque (les experts scientifiques) se trouvent dans une situation d'incertitude, ils recourent alors aux statistiques ou aux modèles, c'est-à-dire à une forme de demi-mensonge sans trop insister sur les interprétations critiques des résultats. »

(*) Voir aussi « Ciel, Dieu me parle », le florilège que j'avais tiré de son livre « A tort et à raison »