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9 mai 2018

JOUER SUR LES MOTS EST UNE AFFAIRE SÉRIEUSE

Histoire de jeux de mots
À y bien réfléchir le management comme la vie, est d’abord une affaire de jeux de mots.
Sans les mots, en effet, impossible de penser, de dessiner des plans, d’échafauder des hypothèses… bref de réfléchir. Sans ces jeux de lettres assemblées, sans les images qu’ils projettent en nous dans le mystère de nos neurones, sans les souvenirs qu’ils rappellent ou qu’ils expriment – Marcel Proust avait certes d’abord besoin de la sensation de la madeleine, mais comment aurait-il pu comprendre ce qu’elle évoquait en lui, sans la médiation des mots qui se dessinèrent en lui, avant de s’écrire sur une feuille de papier ? –, nous ne serions qu’un animal de plus, bien incapable de se démarquer de ses congénères…
Sans les mots, aussi, impossible de communiquer, d’exprimer auprès des autres ce qui s’est construit en nous, d’obtenir un accord, un soutien ou un enrichissement, d’apprendre ce que l’on n’a pas vu, pas lu, pas pensé… bref de collaborer. Sans ces jeux de lettres assemblées, sans ces concepts projetés à l’extérieur de nos neurones, sans ces expériences reçues du dehors, sans ces ponts lancés vers ceux qui ne sont pas nous, nous n’aurions pas pu tisser la société humaine, et surpasser ainsi largement la puissance des fourmilières ou des ruches : l’émotion ressentie par Marcel Proust de se retrouver pour un moment dans la maison de tante Léonie serait restée à tout jamais une affaire privée et personne n’en aurait rien su…
Ainsi grandir, que ce soit en tant que personnalité individuelle ou collectivité, c’est largement apprendre à mieux se servir des mots. 
Bref, les mots, c’est du sérieux, et on ne doit laisser aux seuls humoristes l’art de jouer avec.
Alors jouer sur les mots est tout, sauf une plaisanterie !

16 févr. 2018

JE PENSE AU TRAVERS DE MES LANGAGES

C’est grâce à nos langages que nous interprétons le monde dans lequel nous vivons 
Nos langages ne sont pas seulement les langues que nous maitrisons. Ainsi les mathématiques ou le jeu d’échec sont aussi des langages : 
- Là où le profane ne voit que des assemblages de lettres, de chiffres et de symboles, le mathématicien lit le problème et architecture des solutions,
- Si l’on présente à ce joueur d’échec des pièces correspondant à une partie réellement jouée, il lit la configuration, la mémorise très rapidement, et pourra la reproduire sans se tromper. Si les pièces sont posées au hasard, il ne verra plus de configuration et aura autant de difficulté qu’un débutant à se souvenir de la localisation des pièces. 
- De même un Chinois, face à un texte écrit en mandarin, lit les caractères, là où je ne vois que des traits que je suis incapable de reproduire. Si ces caractères étaient des traits faits au hasard, il se retrouverait dans la même situation que moi.
Ainsi, chacun de nous détient un ensemble de langages – les langues que nous maitrisons, les expertises acquises, notre histoire familiale et personnelle –, et c’est grâce et à travers eux que nous sommes à même d’interpréter le monde dans lequel nous vivons et d’en extraire des informations et du sens. 
L’entreprise, elle aussi, se nourrit d’interprétations. Comme pour un individu, elles reposent sur des langages. Les langages sont essentiellement ceux des mots, mais pas seulement : chaque population technique a son propre langage qui est un de ses vecteurs d’efficacité. Les mots eux-mêmes dans une grande entreprise relèvent des langues multiples : même s’il existe toujours une langue dominante qui sert de support à la communication collective, cela suppose pour bon nombre un double effort de traduction.
Comment franchir ces obstacles en entreprise ? Un des leviers est la construction d’une culture commune, c’est-à-dire d’un langage commun. Ce langage repose sur un ensemble de signes verbaux et non verbaux qui sont des raccourcis permettant à chacun d’échanger et de construire une compréhension commune face à une situation donnée.

14 févr. 2018

IL EST IMPOSSIBLE DE SE COMPRENDRE… QUOIQUE…

Comment communiquer ?
Prenons un cas extrêmement simple : vous voulez parler, pour une raison ou une autre, d’une table. Vous employez le mot sans précaution particulière, sans y mettre aucun affect. Vous parlez « techniquement » d’une table. Vous êtes neutre et calme. 
Normal, non, puisque la table est un objet simple que tout le monde connaît. Aucun risque de ne pas être compris. Pas de problème, pas de raison de « se prendre la tête », n’est ce pas ?
Oui, mais il se trouve que celui à qui vous parlez a un père menuisier qui avait pour spécialité de faire des tables. Toute son enfance, votre interlocuteur l’a passée auprès de ce père, sa mère étant morte alors qu’il était très jeune. Un père castrateur, donneur de leçons et qui lui répétait tout le temps : « Tu vois, des tables comme celles-là, tu ne sauras jamais en faire. ». 
Quelques années plus tard, il s’était orienté vers une école d’ingénieur. Pour prouver à son père que, s’il ne pouvait pas faire des tables comme les siennes, il avait d’autres talents.
Tout cela est bien loin maintenant, puisqu’il a près de cinquante ans. Certes, mais son père vient de mourir. La semaine dernière. L’enterrement était hier.
Et vous êtes debout, face à lui, vous son supérieur hiérarchique. Et vous lui parler de table. Du coup, tout son passé lui revient. Il ne vous écoute plus. Il est ailleurs…
Évidemment cette histoire est caricaturale, et vous n’avez à peu près aucune chance de vous retrouver dans une situation aussi extrême. 
Mais à chaque fois que vous exprimez quelque chose – quoi que ce soit –, vous employez des mots qui, pour vous, correspondent au sens que vous voulez donner, à votre interprétation : vous parlez à partir de votre histoire et de votre vision du monde.
Votre interlocuteur, celui qui reçoit votre message, l’interprète lui à partir de son histoire, son expérience et l’ensemble de ses ressorts émotionnels propres.
Difficile de se comprendre… sauf si l’on a pris le temps de comprendre quel est celui à qui l’on s'adresse, ou que l’on arrive à construire une histoire qui parlera à tous. Une parabole comme dans la bible par exemple…
Me suis-je fait comprendre ? J

27 mars 2013

LES LANGAGES SONT LE PROPRE DE L’HOMME

Nous ne pouvons pas ne pas communiquer
Selon Rabelais, le rire est le propre de l’homme. Il est vrai que j’ai rarement vu des fourmis rire, mais comment être certain qu’elles ne vivent pas à leur échelle une forme d’humour ? Mais les singes semblent bien capables de se jouer des tours, et de s’en amuser. Donc il semble bien que le rire ne soit pas vraiment le propre de l’homme.
Par contre, je n’ai jamais entendu parler d’un animal qui ferait un numéro de chansonnier ou un stand-up, avec tous ses congénères assis et s’esclaffant de ses jeux de mots. Car, oui, le langage, avec toutes ses subtilités, tous les sens et les contresens qu’il véhicule, nous est bien spécifique : si les animaux communiquent entre eux, et sont capables à partir de cela de déclencher des comportements collectifs, ils n’emploient pas à proprement parler de langage, c’est-à-dire qu’ils ne sont pas capables de manipuler des symboles porteurs de sens et qui se substituent aux objets même, et les représentent.
Nous, humains, au fil de notre évolution, nous avons multiplié nos langages. Bien sûr d’abord ceux au travers desquels nous nous exprimons et lisons. Mais aussi une multitude de langages spécialisés, soit pour le jeu (comme les échecs, le bridge ou le go), soit pour les sciences ou la technique (les mathématiques, la physique, la chimie, l’architecture…), soit au sein de structures locales (les langues internes aux entreprises par exemple avec leur floraison d’acronymes).
D’ailleurs, sauf à nous isoler sur une île déserte, nous ne pouvons pas ne pas communiquer. En effet comme chacun de nos comportements a valeur de message, volontairement ou involontairement, nous nous exprimons sans cesse, et symétriquement nous sommes soumis au flux des autres :  « On ne peut pas ne pas avoir de comportement. Or, si l’on admet que, dans une interaction, tout comportement a la valeur d’un message, c’est-à-dire qu’il est une communication, il suit qu’on ne peut pas ne pas communiquer, qu’on le veuille ou non. Activité ou inactivité, parole ou silence, tout a valeur de message. De tels comportements influencent les autres, et les autres, en retour, ne peuvent pas ne pas réagir à ces communications, et de ce fait eux-mêmes communiquer. » 1
Bref, même si sous le coup d’une colère, nous pouvons nous écrier : « L’enfer, c’est les autres » 2, sans eux, nous sommes impuissants. Aussi les mots, c’est du sérieux, on ne doit laisser aux seuls humoristes l’art de jouer avec, et « lire après tout, est une façon de vivre à l’intérieur des mots d’autrui. » 3
(Article paru le 15 janvier 2013)
(1) P. Watzlawick, J. Helmick Beavin et Don D Jackson, Une logique de communication
(2) Jean-Paul Sartre, Huit Clos
(3) Siri Hustvedt, La femme qui tremble

15 janv. 2013

LES LANGAGES SONT LE PROPRE DE L’HOMME

Nous ne pouvons pas ne pas communiquer
Selon Rabelais, le rire est le propre de l’homme. Il est vrai que j’ai rarement vu des fourmis rire, mais comment être certain qu’elles ne vivent pas à leur échelle une forme d’humour ? Mais les singes semblent bien capables de se jouer des tours, et de s’en amuser. Donc il semble bien que le rire ne soit pas vraiment le propre de l’homme.
Par contre, je n’ai jamais entendu parler d’un animal qui ferait un numéro de chansonnier ou un stand-up, avec tous ses congénères assis et s’esclaffant de ses jeux de mots. Car, oui, le langage, avec toutes ses subtilités, tous les sens et les contresens qu’il véhicule, nous est bien spécifique : si les animaux communiquent entre eux, et sont capables à partir de cela de déclencher des comportements collectifs, ils n’emploient pas à proprement parler de langage, c’est-à-dire qu’ils ne sont pas capables de manipuler des symboles porteurs de sens et qui se substituent aux objets même, et les représentent.
Nous, humains, au fil de notre évolution, nous avons multiplié nos langages. Bien sûr d’abord ceux au travers desquels nous nous exprimons et lisons. Mais aussi une multitude de langages spécialisés, soit pour le jeu (comme les échecs, le bridge ou le go), soit pour les sciences ou la technique (les mathématiques, la physique, la chimie, l’architecture…), soit au sein de structures locales (les langues internes aux entreprises par exemple avec leur floraison d’acronymes).
D’ailleurs, sauf à nous isoler sur une île déserte, nous ne pouvons pas ne pas communiquer. En effet comme chacun de nos comportements a valeur de message, volontairement ou involontairement, nous nous exprimons sans cesse, et symétriquement nous sommes soumis au flux des autres :  « On ne peut pas ne pas avoir de comportement. Or, si l’on admet que, dans une interaction, tout comportement a la valeur d’un message, c’est-à-dire qu’il est une communication, il suit qu’on ne peut pas ne pas communiquer, qu’on le veuille ou non. Activité ou inactivité, parole ou silence, tout a valeur de message. De tels comportements influencent les autres, et les autres, en retour, ne peuvent pas ne pas réagir à ces communications, et de ce fait eux-mêmes communiquer. » 1
Bref, même si sous le coup d’une colère, nous pouvons nous écrier : « L’enfer, c’est les autres » 2, sans eux, nous sommes impuissants. Aussi les mots, c’est du sérieux, on ne doit laisser aux seuls humoristes l’art de jouer avec, et « lire après tout, est une façon de vivre à l’intérieur des mots d’autrui. » 3

(1) P. Watzlawick, J. Helmick Beavin et Don D Jackson, Une logique de communication
(2) Jean-Paul Sartre, Huit Clos
(3) Siri Hustvedt, La femme qui tremble

3 mai 2012

REPRÉSENTATIONS ET LANGAGES

Le monde animal bouge, collabore… et communique (6) : De la réponse automatique à la communication volontaire
Joëlle Proust dans son livre « Les animaux pensent-ils ? », nous emmène sur le chemin de la représentation et du langage.
Premier stade, celui de la réponse automatique, ce qu’elle appelle « Bien faire sans rien savoir ». Il en est ainsi du thermostat qui, tout en ne comprenant pas ce que peut vouloir dire le concept de température, sans même en fait la mesure, peut réagir à un changement de température, grâce un dispositif physique dont les modifications covarient avec l’environnement.
Au deuxième stade, émerge un premier degré d’extraction de l’information, la « protoreprésentation ». Qu’est-ce que cela caractérise ?  Un état neuronal qui, à la fois, sait lire une modification donnée du monde extérieur et agit en fonction de cette information acquise. On peut résumer cet état par la création d’un couple : je perçois, donc j’agis. Ce sont des conditionnements associatifs comme celui du retrait de la tête et du pied dans la coquille pour l’escargot. Autre exemple plus sophistiqué de ce même état : la capacité de l’araignée de réagir à une vibration de la toile. Dans ce cas, elle n’a pas mémorisé un seul type de vibration, mais tout un ensemble, ce qui va lui permettre de moduler sa réaction et de « comprendre » qui a été pris dans sa toile. Caractéristique donc de l’action face aux protoreprésentations : l’unité de temps et de lieu. On agit ici et maintenant. L’information n’est pas extraite, elle est simplement un déclencheur.
Le troisième stade est celui de la représentation. Quelle est la différence entre une protoreprésentation et une représentation ? Une protoreprésentation est liée à une situation donnée, elle est « immergée » dans ce cadre : l’araignée ne sait pas lire une vibration indépendamment de sa toile. A l’inverse, une représentation n’est pas liée à une situation donnée, elle est la capacité de renvoyer à un objet ou un événement donné indépendamment de ce qui apporte l’information : un animal devient capable de lire les régularités du monde, c’est-à-dire de repérer des constantes. Il pourra alors acquérir la capacité de répondre à ces régularités, et améliorer l’efficacité de ses réponses à des situations données. Il pourra aussi agir de façon différée, manipulant ainsi mentalement des représentations.
Comment maintenant aborder la question du langage ? Joëlle Proust identifie trois types de support :
1. Les indices : un indice est une information portée par un animal, et qui n’a pas la possibilité de le faire disparaître. L’apparition des plumages nuptiaux de la frégate est ainsi un indice qui informe les mâles qu’elle est disponible à l’accouplement.
2. Les traces ou les signes : bien que pouvant être effacés par l’émetteur, ils ne sont pas non plus contrôlés par eux ; ce sont donc des sources involontaires d’informations. Il en est ainsi par exemple des traces de pas, ou encore d’une transpiration exprimant une nervosité.
3. Les signaux : il s’agit là d’un processus ritualisé et volontaire de diffusion d’une information. La danse des abeilles leur permet ainsi d’indiquer l’intérêt de ce qu’elles ont trouvé, et dans quelle direction, cela se trouve.
Est-ce que les signaux forment un langage ? Par nécessairement. Il faut encore qu’une grammaire existe et que le sens naisse de la combinaison des signaux. On ne peut pas donc dire que les abeilles se parlent,  même si elles communiquent entre elles.
Les fourmis peuvent-elles discuter entre elles des doigts qu’elles rencontrent ?  Allez donc leur demander !
(à suivre)
(1) Voir les extraits que j’avais mis en ligne dans un article intitulé « Un chimpanzé peut-il, non seulement voir, mais penser qu’il voit quelque chose ? »

29 févr. 2012

RELIER MER VISÉE ET ACTION INDIVIDUELLE

Agir ici et maintenant - Le management par émergence (4)
Comme indiqué dans mon article d’hier, je vois six points nécessaires à des émergences efficaces : lien action/mer + paranoïa optimiste + facilité + flou + confrontation + rythme.
J’aborde aujourd’hui le premier : le lien entre action et mer (1).
Laisser les décisions émerger, et s’assurer qu’elles vont effectivement permettre de se rapprocher de la mer visée, suppose en effet que chacun soit capable de lier son action individuelle à l’avancée vers la mer.
Ceci suppose deux choses essentielles :
  • Que chacun sache quelle est la mer visée, et en quoi elle le concerne personnellement,
  • Qu’il soit capable de trier dynamiquement entre les opportunités d’action qui se présentent à lui, pour choisir celle qui lui apparaît la plus en relation avec la mer.
Ce double préalable à toute émergence efficace paraît trivial, mais je constate que bien peu d’entreprises le mettent réellement en œuvre.
En effet, il ne suffit pas :
  • De diffuser un document présentant la stratégie pour que chacun comprenne de quoi on parle, et surtout en quoi il peut contribuer à cette stratégie,
  • D’informer pour communiquer, de parler pour être compris, ou de dire pour être cru,
  • D’affirmer que chacun dispose de marges de manœuvre, pour qu’il les saisisse, et que son encadrement de proximité l’y incite,
Je ne dis pas non plus que c’est inatteignable, bien au contraire. Simplement, cela nécessite un effort et une action volontariste pour que cela se produise.
Certains vont penser qu’il est dangereux de laisser chacun choisir  ce qui lui apparaît le plus efficace. Je leur répondrais d’abord que l’inverse me semble encore plus dangereux : dans le monde de l’incertitude, l’action centralisée est inefficace, car inadaptée et trop peu réactive.
Ensuite cette prise d’initiative locale se fait dans le cadre des autres points sur lesquels je reviendrai dans les prochains articles, à savoir notamment la facilité (apprendre à privilégier le « geste naturel »), le flou (qui définit les marges de manœuvre), la confrontation (qui articule les points de vue et les actions), le rythme (qui structure la réflexion).
Je reviendrai enfin, dans quelques jours, une fois que j’aurais explicité les six points nécessaires à l’émergence efficace, sur comment il est possible de transformer réellement une entreprise.
Lundi donc la suite avec la « paranoïa optimiste »
(à suivre)
(1) Je rappelle que le mot « mer » image l’idée de ce futur durable que l’entreprise vise (voir notamment mon article Réfléchir à partir du futur pour se diriger dans l’incertitude)

29 mars 2011

ON NE PEUT PAS NE PAS COMMUNIQUER, MAIS QUE COMMUNIQUE-T-ON ?

Quand des chercheurs de Palo Alto appliquent des modèles logiques pour analyser la communication humaine
Patchwork tiré d’un livre publié en 1967 pour l’édition originale, UNE LOGIQUE DE COMMUNICATION de P. Watzlawick, J. Helmick Beavin et Don D Jackson
Fatale communication et communication fatale
« On ne peut pas ne pas avoir de comportement. Or, si l’on admet que, dans une interaction, tout comportement a la valeur d’un message, c’est-à-dire qu’il est une communication, il suit qu’on ne peut pas ne pas communiquer, qu’on le veuille ou non. Activité ou inactivité, parole ou silence, tout a valeur de message. De tels comportements influencent les autres, et les autres, en retour, ne peuvent pas ne pas réagir à ces communications, et de ce fait eux-mêmes communiquer. »
« Qu’est-ce que la communication analogique ? La réponse est relativement simple : pratiquement toute communication non-verbale. (…) Il faut y englober posture, gestuelle, mimique, inflexions de la voix, succession, rythme et intonation des mots, … (…) Toute communication a deux aspects : contenu et relation ; nous pouvons nous attendre à voir non seulement coexister, mais se compléter, les deux modes de communication dans tout message. (…) Chaque partenaire risque d’introduire, dans le processus de traduction, le type de digitalisation conforme à sa vision de la nature de la relation. ( …) Quelle signification digitale ont la pâleur, les tremblements, la transpiration et le bégaiement d’un individu soumis à un interrogatoire ? »
 « Soit un couple pris avec un problème conjugal. (…) Dépouillés de leurs éléments passagers et fortuits, leurs affrontements se réduisent à un échange monotone de messages de ce genre : « Je me replie parce que tu te montres hargneuse » et « Je suis hargneuse parce que tu te replies ». (…) Dans les Paradoxes de l’infini, Bolzano étudie différents types de suites (S) dont la plus simple est sans doute la suivante : S = a-a+a-a+a-a+a-a-… Selon les regroupements, S = (a-a) + (a-a) … = 0, ou S=a – (a-a) – (a-a)… =a, ou S=a-(a-a+a-a=a-a…)=a-S, donc S=a/2 (…) La nature d’une relation dépend de la ponctuation des séquences de communication entre les partenaires. »
Incomplétude, paradoxe et confiance
 « Il est facile de comprendre que les discordances dans la ponctuation des séquences de faits ont lieu toutes les fois que l’un au moins des partenaires, ne possède pas la même quantité d’information que l’autre, mais ne s’en doute pas. (…) D’une manière générale, c’est faire une supposition gratuite de croire que l’autre, non seulement possède la même quantité d’information que moi-même, mais encore qu’il doit en tirer les mêmes conclusions. »
 « Faites cadeau à votre fils Marvin de deux chemises de sport. La première fois qu’il en met une, regardez-le avec tristesse, et dites-lui d’un air pénétré : « Alors, et l’autre, elle en te plaît pas ? » »
« X sait si son chèque est valable ou non ; Y ne peut que lui faire confiance, ou au contraire se méfier systématiquement, car avant de porter le chèque à la banque, il ne saura pas s’il a eu raison ou non de l’accepter. A partir de ce moment-là, sa confiance ou sa méfiance seront remplacées par la certitude qui était celle de X au départ. Il n’y a dans la nature de la communication humaine aucun moyen de faire partager à autrui une information ou des perceptions que l’on est seul à connaître. Au mieux, l’autre peut faire confiance, ou se méfier, mais il ne peut jamais savoir. »
On ne peut pas sortir du cadre dans lequel on se trouve
« Le rat qui dirait : « J’ai bien dressé mon expérimentateur. Chaque fois que j’appuie sur le levier, il me donne à manger », refuserait d’admettre la ponctuation de la séquence que l’expérimentateur cherche à lui imposer. »
 « En ce sens, la situation de l’homme face à son mystérieux partenaire n’est pas foncièrement différente de celle du chien de Pavlov. Le chien apprend rapidement quel est le sens du cercle et de l’ellipse, et son monde vole en éclats quand brusquement l’expérimentateur détruit ce sens. Si nous scrutons notre expérience subjective, dans des situations comparables, nous découvrons que nous sommes enclins à supposer qu’un « expérimentateur » secret est à l’œuvre derrière les vicissitudes de notre vie. La perte ou l’absence d’un sens de la vie est peut-être le plus commun dénominateur de toutes les formes de détresse affective. »
« Gödel a pu montrer que dans ce système, ou un système équivalent, il est possible de construire une proposition, G, qui : 1° est démontrable d’après les prémisses et les axiomes du système, mais : 2° dit d’elle-même qu’elle est indémontrable. Ce qui signifie que si G est démontrée dans le système, son « indémontrabilité » (qui est ce qu’elle dit d’elle-même) pourrait également être démontrée. (…) Alors G est indécidable dans les termes du système. »
« Wittgenstein montre que nous ne pourrions connaître quelque chose sur le monde comme totalité que si nous pouvions en sortir ; mais si cela était possible, ce monde ne serait plus le tout du monde. (…) Car, comme il doit être plus qu’évident désormais, rien à l’intérieur d’un cadre ne permet de formuler quelque chose, ou même de poser des questions, sur ce cadre. (…) « Ce dont on ne peut parler, il faut le taire » (Ludwig Wittgenstein, Tractatus logico-philosophique) »

22 févr. 2011

UN CHIMPANZÉ PEUT-IL, NON SEULEMENT VOIR, MAIS PENSER QU’IL VOIT QUELQUE CHOSE ?

Quand une philosophe s’intéresse au monde animal
Joëlle Proust, dont je donnais hier un patchwork de son livre La nature de la volonté, mène des travaux sur les animaux, dont elle tire toute une série de réflexions passionnantes sur leur comportement, et leur capacité à penser. Une façon originale et efficace de revisiter en conséquence comment nous êtres humains pensons… Voici un patchwork tiré de son livre paru en 2010, Les animaux pensent-ils ?.
Y a-t-il une exception humaine ?
« La maîtrise du langage, la faculté d’apprendre et l’essor de la culture qui lui sont associés permettent à l’humanité de s’extraire de la lutte pour la survie, et d’échapper aux pressions évolutionnaires. (…) Cette représentation naïve est rarement explicitée ; elle forme un compromis entre la conviction centrale (nous ne sommes pas des animaux) et la reconnaissance que les hommes, en effet, sont porteurs de gènes et qu’ils sont les produits de l’évolution. La solution de cette contradiction consiste dans l’idée intuitive que la possession du langage et de la pensée, souvent attribués à l’origine divine des hommes, les élève au-dessus du règne animal et met un terme à l’évolution biologique des hommes. »
« Dès le Xe siècle av. J.C., les religions monothéistes chassent les croyances totémiques et les polythéismes qui divinisaient certains animaux. Dieu a créé l’homme à son image, a fait de lui le centre de sa création, et lui a donné une âme immortelle : l’attrait de ces idées est de permettre de se penser en opposition avec la nature, en particulier avec la nature animale. »

31 mai 2010

LANGAGE, INTERPRÉTATION, COMMUNICATION ET DÉCISION

Comment passe-t-on de l'observation à la compréhension et à la décision ?

Je poursuis la présentation de la première partie de mon livre avec des extraits sur les langages qui sont d'abord le moyen par lequel nous structurons notre pensée, avant d'être celui par lequel nous tentons de communiquer, puis sur la décision.

« Le premier langage est celui de notre langue et de ses mots. Mais ce n'est pas le seul qui peuple notre cerveau : les mathématiques ou le jeu d'échecs sont aussi des langages. Là où le profane ne voit que des assemblages de lettres, de chiffres et de symboles, le mathématicien lit le problème et architecture des solutions ; là où le débutant ne voit que des pièces juxtaposées sur un échiquier, le joueur averti voit des configurations avec lesquels il va construire des stratégies.
Ainsi, avec nos langages, nous lisons la situation présente et l'enrichissons de notre expérience tirée de notre passé. De tout ceci, naissent nos interprétations, mélanges du passé recomposé, du présent perçu et du futur imaginé, toutes intimement liées à chaque individu car elles reposent d'abord sur l'histoire personnelle (tant dans sa partie réellement vécue que dans tout l'imaginaire associé), sur les déformations de la mémoire et sur l'analyse de la situation présente, sans parler de la perception que chacun peut avoir du futur. On n'est donc pas près de pouvoir modéliser et prévoir des interprétations individuelles !

Qu'en est-il de la communication entre individus ? Pour faire court, communiquer est un objectif impossible ! Vous êtes surpris par ma formulation, vous pensez que j'exagère… Je ne crois vraiment pas. Quand vous voulez exprimer quelque chose, quoi que ce soit, vous employez des mots qui correspondent, pour vous, au sens que vous voulez donner. Pour cela, vous vous référez à votre mémoire et à la compréhension que vous avez de ce que vous voulez dire. Celui qui reçoit votre message, l'interprète, lui, à partir de son histoire, son expérience et l'ensemble de ses ressorts émotionnels propres. Les deux sont, sauf en cas d'histoire commune longue et dense, structurellement différents. Comment arrivons-nous alors à communiquer ? Par l'existence d'usages et de règles collectives qui ont construit progressivement des sens communs. Par des ajustements progressifs et aussi beaucoup grâce à la communication non verbale : celle-ci ne passe plus par les mots, mais sollicite essentiellement les neurones miroirs qui nous permettent de « lire l'autre »

(…) Supposons d'abord que nous sommes face au cas le plus simple : je suis seul à décider. Dans ce cas limite et un peu théorique, nous savons donc répondre à la question « qui décide ? ». La réponse est moi. Certes, mais comme nous l'avons vu précédemment, ma décision va reposer sur une interprétation, interprétation fonction de ma mémoire, de mon histoire et de ma perception de la situation. Comme je ne peux pas penser en dehors de mes propres langages, je ne peux pas être conscient des présupposés qu'ils induisent. En ce sens, je ne peux donc pas vraiment comprendre comment je décide.

De plus, comme ma mémoire et mon histoire se recomposent sans cesse, mon identité change continûment et de façon imprévisible : je ne peux pas savoir qui je serai vraiment demain, du moins pas assez précisément pour en déduire ce que je déciderai. Ainsi ce « moi » qui décide est-il constamment en évolution : je ne sais plus vraiment qui j'étais car ma mémoire fluctue, je ne sais pas vraiment qui je serai car cela dépendra ce qui va m'arriver. »1


(1) Extraits des Mers de l'incertitude p.40-41et 44-45