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5 févr. 2016

RICHE DE LA CONFUSION

Compost
En moi, tout se télescope. 
Je ne suis un que par confusion, mélange, mixture.
Seule l’analyse abstraite sépare, ordonne, explique. 
En moi, il n’y a rien à part un melting pot, 
Je ne suis qu’un compost.
Mes terres de Provence sont indissociables de celles croisées en Inde,
Les murs en pierres sèches riment avec le jardin zen de Hampi,
Les ciels et les sols se réunissent.
La vie naît de ces percussions et ces dissolutions.
J'émerge de la diversité, des connexions et des échanges avec le reste du monde.

18 nov. 2014

LE « JE » N’EST PLUS VRAIMENT

Reinventing organizations (2)
Arrêtons-nous d’abord sur le sous-titre du livre qui pose bien à la fois le problème et l’ambition : « A guide to creating organizations by the next stage of human consciousness »
Oui nous sommes en train de vivre une rupture majeure : nos consciences individuelle et collective mutent. 
J’ai déjà eu l’occasion ici dans mon blog, ainsi que dans mes livres de détailler cette rupture. Je ne vais donc en reprendre maintenant que trois points qui sont essentiels.
D’abord nous comprenons de mieux en mieux nos mécanismes cérébraux, et les interactions entre le cerveau et le reste de notre corps. 
Nous en avions jusqu’à présent une vision relativement mécaniste. Pour simplifier, nous étions aux commandes de notre corps, avec au sommet notre cerveau et notre conscience. Si je faisais ceci ou cela, c’est parce que je l’avais décidé. Et si je l’avais décidé, c’était à l’issue d’un processus conscient et rationnel. L’éducation avait notamment pour but d’améliorer à la fois le moteur – notre cerveau – et sa capacité à commander vite et bien.
Freud et Jung avec la mise en évidence de l’inconscient et de la portée des rêves ont commencé au début du siècle dernier à ébranler ce bel édifice.
Grâce à l’essor récent des neurosciences et aux progrès multiples dans la compréhension de l’écosystème de notre corps, tout ceci vole en éclats.
La vision d’un cerveau conscient aux commandes cède le pas à une vision beaucoup plus complexe où notre identité et nos décisions émergent dynamiquement des interactions entre : 
- Nos processus conscients et non conscients : l’essentiel de notre énergie cérébrale est consommée par des processus non conscients, c’est-à-dire dont nous ne pouvons percevoir que les effets, sans pouvoir avoir accès à leurs mécanismes, ni les influencer volontairement, 
- Nos différents cerveaux : car oui nous avons bien un cerveau intestinal et il a son mot à dire dans nos processus mentaux !
- Notre corps et les milliards de microorganismes qui l’habitent : la flore intestinal a elle aussi son mot à dire, et selon son type nous ne serons pas exactement les mêmes,
Cerise sur le gâteau, notre mémoire n’est pas un ensemble stable de données auxquelles nous aurions facilement accès. Au contraire, c’est un système éclaté, et à chaque fois que l’on se souvient de quelque chose, le souvenir est incomplet et reconstruit.
Bref notre « je » est en construction constante, et nait d’une émergence collective. Le « Je » ni ne se décide, ni n’est aux commandes, il se vit et se constate.
(à suivre)

18 août 2014

QUI SUIS-JE ?

L’écosystème de notre corps (Best of - Réunion de billets parus entre 22/4 et 13/5/14)
Non seulement notre intestin est tapissé de neurones qui interagissent avec notre cerveau, mais il abrite des bactéries qui peuvent poursuivre leurs propres buts. Alors qui suis-je ?
Le 17 juin 2013, intrigué par la découverte de neurones tapissant notre paroi abdominale, j’écrivais sur mon blog un article intitulé « Penser avec les tripes  ».
En effet, fort d’une centaine de millions de neurones, soit près du double du cerveau d’un rat, ce cerveau local est un bel exemple de la puissance d’une intelligence décentralisée : il permet un traitement rapide, et ce sans solliciter notre cerveau principal, du processus clé et complexe de la digestion.
Je terminais en écrivant : « Les deux cerveaux sont-ils totalement indépendants ? Non, ils sont réunis par un nerf au joli nom, le nerf vague. Son rôle reste encore imprécis, mais, s’il assure une forme de synchronicité entre les deux, il n’entrave pas l’autonomie du cerveau abdominal.
Ce principe d’organisation n’est pas inintéressant pour réfléchir au management des entreprises, et la façon de développer de vrais processus décentralisés…
Décidément plus nous avançons dans la compréhension de nos mécanismes cérébraux, plus on s’écarte de la vision de Descartes, et de son célèbre « Je pense donc je suis »… à moins qu’il faille le réécrire avec un néologisme : « Je panse et je suis » !  »
La diffusion récente d’un documentaire sur Arte, « Le Ventre, notre deuxième cerveau  » vient enrichir et prolonger mes réflexions, et ce en droite ligne de ce que j’écrivais dans mon dernier livre, Les Radeaux de feu, à savoir l’importance des processus émergents et la complexité de la notion de « je » et d’individualité.
Il est donc nécessaire que je m’y arrête beaucoup plus longuement.
La pensée vient-elle de la panse ?
Nous avons donc un cerveau dans notre intestin. Étrange sensation, non ?
Mais ne serait-il pas plus exact de dire que nous étions un intestin intelligent qui s’est progressivement doté d’un cortex pour mieux survivre ? Encore plus étrange, non ?
Et pourtant c’est bien dans cet ordre que la vie a déroulé le ruban de son évolution.
Tout a commencé au début par des organismes qui n’étaient que des tubes digestifs : savoir à se nourrir du dehors, capter ce qui peut être transformer en énergie, se protéger de ce qui peut détruire. La peau de la vie est ce qui limite et qui permet les échanges.
Je digère donc je vis. Si le propre de l’homme est le rire, celui de la vie est la digestion, c’est-à-dire la capacité à manger l’autre…
Et ce n’est pas facile : comment trier dynamiquement dans le bain qui entoure ce qui est bon, et rejeter le reste ? Petit à petit, au fur et à mesure du développement, ce qui n’était que des cellules primaires est devenu des tubes digestifs intelligents. Des neurones sont venus tapisser les parois et l’intelligence est née.
Voilà donc l’origine des neurones : apprendre à digérer.
Aussi notre cerveau entérique – appellation scientifique du cerveau intestinal – est-il celui qui a précédé l’autre.
Certes, mais notre « vrai cerveau », ce cortex qui nous permet de penser, et de nous voir comme des « Je » indépendants et responsables, n’a rien à voir avec cette activité primaire : la pensée ne vient pas de la panse !
Est-ce si vrai ?
Apprendre à se saisir du lointain ou à s’en protéger
Pourquoi donc un cerveau autonome s’est-il développé ? Pourquoi progressivement des neurones se sont-ils développés loin des tubes digestifs ?
Pour piloter les sens qui ont émergé : la vue, l’ouïe, le toucher. Telle est la fonction primaire du nouveau cerveau qui a grandi loin du tube digestif : ce deuxième cerveau – car oui, le premier, c’est bien le cerveau intestinal ou entérique – est là pour mieux nourrir le corps qui l’héberge. L’œil est là pour repérer la proie, l’oreille pour l’entendre s’approcher, le membre pour mieux la saisir.
Il est là aussi pour mieux se protéger : l’œil est là pour identifier le prédateur, l’oreille pour entendre ce que l’on ne peut pas voir, le membre pour courir et se défendre.
Finalement ce deuxième cerveau n’est bien que la prolongation de la digestion. Il l’a perfectionnée, et permet de se saisir et se protéger d’un dehors lointain et distant, dont on peut se rapprocher et ingérer, ou qui peut surgir et nous attaquer.
Ce cerveau, petit à petit, a grossi : il contrôle les organes moteurs, assure le pilotage d’un organisme sans cesse plus complexe, et est le principal acteur de la survie. Oui, mais le cerveau primaire est toujours là, tapis dans les recoins des intestins, et sans lui, la vie ne serait pas possible.
Et qu’en est-il de notre cortex ? En quoi ce passé lointain nous concerne-t-il ? Sommes-nous réellement encore dépendants de cette origine ? Nos pensées sont-elles encore conditionnées par notre digestion ?
Le feu est le propre de l’homme
Un intestin sur pattes, avec des yeux et des oreilles… et donc doté d’un cerveau plus important que le cerveau originel, l’intestinal, pour gérer un système devenu complexe à déplacer et protéger, le tout pour accroître les chances de survie, et donc digérer. Voilà en quelque sorte un résumé brutal, et donc schématique, de ce qu’est un animal, et donc l’homme au moment de son apparition.
Alors que s’est-il passé qui nous a permis de nous doter d’un cortex tellement élaboré que nous nous trouvons capables de penser notre monde, écrire des poèmes… et faire la guerre à nos congénères au nom de possessions, le tout bien éloignée de la seule logique de survie et de digestion ?
Le feu. Nouvelle surprise énoncé au détour de ce documentaire : ce serait le feu qui a permis de décupler la performance de nos processus digestifs, et donc de libérer une quantité d’énergie devenue brutalement disponible.
En effet, cuire un aliment avant de l’ingérer, c’est le pré-digérer. L’homme avec l’invention du feu s’est donc trouvé doté d’un surplus d’énergie et de cellules – notamment nerveuses – capables de se développer pour d’autres finalités. Travailler moins en gagnant plus, en quelque sorte.
Nouveau résumé donc brutal : l’homme est devenu homme parce qu’il est un tube digestif plus performant grâce à l’invention du feu. Amusant, non ?
Au fur et à mesure, notre cerveau qui n’était qu’au service de son ancêtre originel, a pris son indépendance : le voilà devenu tellement développé que nous en sommes venus à oublier le cerveau intestinal, et la liaison qui demeure entre les deux.
Car oui, aujourd’hui encore, notre ventre contribue à nos pensées.
À quand une psychanalyse gastrique ?
Un cerveau entérique qui pilote la digestion, un cerveau central qui, déchargé de cette tâche essentielle mais locale, gère le complexe. Je digère en bas, je pense en haut. Entre les deux, un nerf vague relie les deux pour transmettre ce qui doit l’être.
Belle vision simpliste et mécanique du fonctionnement de notre corps… mais éloignée de la réalité…
D’abord parce que l’interaction entre les deux ne se fait pas que par le biais des voies dites normales.
Par exemple, la sérotonine qui est produite par le cerveau entérique pour piloter le processus de la digestion est aussi un des neurotransmetteurs utilisés par notre cortex. Aussi quand nos neurones intestinaux en produisent en excès, et qu’une partie vient se perdre dans notre sang, un peu de cette sérotonine vient influencer nos émotions : sans en être conscients, nous vivons sous l’influence de notre ventre.
Nous voilà donc avoir réellement la peur au ventre ! Comme quoi, nos mots ont anticipé ce que nous ne venons que de comprendre. Si les messages transmis par notre cerveau entérique n’atteignent pas notre conscience, ils agissent sur notre capacité à voir le monde : notre ventre contribue à notre inconscient. A quand une psychanalyse gastrique ?
Nous découvrons de plus en plus que le ventre et la tête partagent bon nombre de maladies. Ainsi la maladie de Parkinson et la dépression pourraient apparaître d’abord dans le cerveau intestinal.
Pourra-t-on demain les diagnostiquer préventivement simplement en prélevant un morceau d’intestin ? Ce serait un double bénéfice : savoir plus tôt, et sans avoir à faire une biopsie dangereuse du cerveau.
Le ventre, une fenêtre ouverte sur le cerveau, sur les maladies psychiatriques ?
Les parties et l’émergence d’un tout
Notre cerveau intestinal interagit donc avec notre cerveau principal, celui que pendant longtemps nous avons cru unique.
Finalement, une image pertinente pour imaginer le fonctionnement de notre corps est de le voir comme un monde de tubes, de fluides et de tuyaux, un réseau complexe au sein duquel des informations et des messages sont continûment échangés.
De ce réseau, selon des modalités qui nous dépassent et dont nous ne percevons encore que des bribes, émergent des propriétés. A nouveau donc, retour de l’émergence, elle qui est au cœur des réflexions de mon dernier livre, les Radeaux de feu.
Telle est bien d’ailleurs l’approche de la médecine chinoise qui pense globalement le corps. Elle le conçoit comme un ensemble de flux d’énergies reliés au reste de l’univers. En Occident, on analyse chaque élément ; en Chine, on s’intéresse au tout, aux relations entre les différentes parties du corps.
Deux approches plus complémentaires que contradictoires.
Le documentaire sur Arte qui a inspiré cette série d’articles sur l’écosystème de notre corps, présente alors l’acupuncture abdominale découverte en 1972 par le Docteur Bo Zhiyun, à Canton. Il est convaincu du rôle central du cordon ombilical, autour duquel s’est développé l’embryon, rôle central qui perdurerait ce même une fois le cordon coupé.
Plus étonnant grâce à un traitement par acupuncture abdominale, il arrive à traiter la dépression. Je pique le ventre, et mes soucis s’en vont, en quelque sorte. Troublant, non ?
Et pourtant, le plus troublant reste à venir.
Nous sommes un véhicule à bactéries
Notre identité et nos pensées ne naissent pas seulement de notre cortex, mais le cerveau intestinal y participe. Mais est-il le seul ?
Ne répondez pas trop vite oui, car les surprises ne sont finies, car notre intestin héberge une population d’hôtes : cent mille milliards de bactéries habitent notre tube digestif, soit mille fois plus que d’étoiles dans notre galaxie. C’est le microcosme le plus dense qui regroupe dix fois plus que de cellules que celles de notre corps.
Sensation bizarre d’imaginer cette population qui squatte notre intestin.
Échange de bons procédés, car, sans ces bactéries, la digestion ne serait pas possible : nous leur offrons le gîte et le couvert, et elles digèrent notre nourriture pour nous. Sans les deux kilos qu’elles représentent, nous ne survivrions pas.
Quand commence cette colonisation ? Dès notre naissance, c’est-à-dire dès que l’embryon quitte le milieu stérile et protégé de l’utérus de sa mère. Dès les premières minutes, les bactéries nous envahissent, et les premières occupantes contribuent à sélectionner les suivantes.
Nous voilà ainsi quasi immédiatement doté d’un microbiote intestinal, c’est-à-dire d’une population de micro-organismes vivant en accord avec nous.
Nous avions hérité de l’ADN de nos parents, et nous héritons, selon les hasards de la vie, du moment et de l’endroit où nous naissons de ceux, d’un ADN complémentaire infiniment plus vaste.
Nous sommes un véhicule à bactéries, et c’est pour notre bien.
Mais est-ce une simple cohabitation digestive ?
Digérer plus ou moins en fonction de son entérotype
Comme on peut séquencer notre ADN, c’est-à-dire avoir une photographie analytique de notre identité génétique, il est possible de séquencer l’ADN de notre microbiote, et d’analyser ses propriétés.
C’est à cette tâche apparemment herculéenne – n’oublions pas que notre microbiote intestinal comprend environ cent mille milliards de bactéries –, que notamment Dusko Ehrlich, chercheur à l’INRA, s’est attelé… et les premiers résultats ouvrent des perspectives sur un nouveau monde… qui est très probablement le nôtre.
Quelques exemples.
D’abord on a montré que tous les microbiotes intestinaux pouvaient être classés en trois groupes principaux, appelés entérotypes. Chacun d’entre nous est donc caractérisé non plus seulement par un groupe sanguin, mais aussi par un entérotype. Plus surprenant, l’appartenance à un groupe ne dépend ni de la race, ni de l’âge, ni du sexe.
Quelles sont les conséquences de cette appartenance ? Ils conditionnent notre capacité à plus ou moins bien transformer notre nourriture en énergie.
Ainsi, une bactérie vient d’être identifiée qui, selon sa présence chez la souris, fait que celle-ci grossit plus ou moins. Elle dialogue avec les cellules de la paroi intestinale de la souris, et active les gènes qui déclenchent le fait de brûler des graisses. Résultat : la souris stocke plus ou moins d’énergie.
Autre propriété des microbiotes : selon ses caractéristiques, nous avons des prédispositions à certaines maladies. Peut-être prochainement, pour avoir une action préventive, il suffira d’étudier la flore intestinale.
Un vaste monde donc la découverte ne fait que commencer.
Mais tant que l’on ne parle que de capacité à plus ou moins bien digérer, ou à stocker de l’énergie, rien de bien inquiétant. Cela ne concerne pas notre processus de décision et notre comportement.
Comment des organismes si petits, même en nombre gigantesque, pourraient-ils bien agir sur nos pensées et nos actes ? Quand même, nous ne sommes pas sous influence.
Là aussi, rien n’est certain.
Sous l’influence des bactéries qui nous habitent
Selon les bactéries qui nous habitent, selon notre flore intestinale, notre corps fonctionne plus ou moins bien. Mais nos pensées ? Est-ce que notre comportement dépend de ces hordes de micro-organismes qui vivent en nous ?
Pour commencer à répondre à cette question surprenante, des tests ont été réalisés sur des souris.
Prenons deux groupes de souris : certains sont agressives, d’autres ne le sont pas. Échangeons maintenant leurs microbiotes. Résultat : les calmes deviennent agressives, et réciproquement ! Une preuve que le microbiote influence le cerveau.
Serions-nous conditionnés par les bactéries qui nous habitent ?
Autre exemple d’action conditionnée chez la souris avec le cas de la toxoplasma : présente au sein d’une souris, elle peut générer une attitude suicidaire en poussant la souris à se laisser approcher par des chats, et ainsi à être mangée, ce pour le seul bénéfice de la toxoplasma. En effet, celle-ci se développant mieux dans l’organisme d’un chat a tout intérêt à ce que la souris soit mangée.
Et l’homme ? Sommes-nous aussi influencés par notre microbiotique intestinal ? Difficile de répondre à cette question, car comment isoler l’effet mental d’un probiotique, surtout car il est à chaque composé d’une multitude de molécules ?
Une étude publiée en mai 2013 par Kirsten Tillisch, du centre de neurobiologie du stress de Los Angeles, apporte une première réponse positive. Le test a porté sur soixante femmes auxquelles on a donné des yaourts avec ou sans probiotique. L’étude a montré que celles qui ont pris des probiotiques sont moins réactives aux images négatives et potentiellement menaçantes.
On modifie des yaourts… et en conséquence, on modifie ce qui se passe dans le cerveau ! Mais attention prudence car on ne connaît pas les effets secondaires. Les effets sont certains, mais largement encore imprécis.
Il semble donc bien une composante de notre cerveau vienne des bactéries qui nous habitent.
Nous aurions donc en quelque sorte trois cerveaux : deux liés à nos propres neurones, un grand et un petit, et un lié à l’intelligence de notre microbiote. Nous sommes aussi le résultat de qui vit en nous, et non pas seulement de notre ADN et de ce que nous avons vécu.
Le « je » émerge continûment de nos interactions avec le monde
Trois acteurs : deux cerveaux en propre – un venu du fond des âges et tapi dans les méandres de notre intestin, un doté d’un néocortex, qui fait de nous un homme –, et le microbiote intestinal – cent mille milliards de bactéries, depuis notre naissance, nous accompagnent et nous influencent. C’est de l’interaction de ces trois composantes que naissent nos décisions… et non pas seulement de ce que nous appelons notre conscience.
Qu’en aurait pensé Sigmund Freud s’il avait su que des bactéries agissaient sur nos émotions et nos choix ? A côté de la psychanalyse gastrique, que j’évoquais dans le cinquième billet de cette série, faut-il en appeler à une psychanalyse bactérienne ? Amusant. Je ne vois pas bien comment arriver à les faire parler de leurs rêves. Faut-il essayer de faire allonger les bactéries sur des divans ?
Plus sérieusement, notre identité est donc le fruit d’une triple histoire : une innée venue de notre passé et constituée de notre double cerveau initial, une acquise très vite après la naissance avec notre microbiote intestinal, et enfin une vécue qui forme et déforme nos émotions, notre mémoire et nos savoirs conscients.
Notre « je » est donc doublement perméable au monde extérieur : par les bactéries qui entrent et sortent, par les évènements qui se produisent et qui nous heurtent.
Nous baignons doublement dans les écosystèmes du monde, et le dehors nous pénètre continûment. La limite entre dehors et dedans devient floue.
Nous sommes des milliers de gènes, des milliards de neurones, des centaines de milliards de bactéries, et un nombre non calculable d’échanges d’informations et de messages.
De cela, le « je » émerge. Mais qui décide et pourquoi fait-on ceci plutôt que cela ?
Être le premier des pilotes de son corps, mais pas le seul
Qui décide ?
Est-ce moi qui, consciemment, choisit de faire ceci ou cela ? Quelle est la portée de l’influence du cerveau intestinal qui pèse sur mes émotions et modifie ma perception du monde et des risques ?
Jusqu’à quel point les bactéries qui sont présentes dans mon microbiote intestinal peuvent-elles me faire mener des buts qui servent leurs intérêts, ce voire au préjudice de ma propre survie ? Puis-je être une sorte de véhicule passif de micro-organismes qui me manipuleraient ?
Très probablement pas… mais je suis certainement influencé. Je repense à ces scènes cauchemardesques des films Alien où les humains se transforment en simple véhicule d’êtres qui les détruisent. Rien à craindre de tel.
Je repense aussi au livre de Richard Dawkins, Le Gène égoïste, publié en 1976, où il soutient la thèse que ce sont les gènes qui manipulent le vivant et son évolution. Comme il est expliqué dans Wikipedia, « en décrivant les gènes comme étant « égoïstes », l'auteur n'entend pas par là (comme il l'affirme sans équivoque dans le livre) qu'ils sont munis d'une volonté ou d'une intention propre, mais que leurs effets peuvent être décrits comme si ils l'étaient. Sa thèse est que les gènes qui se sont imposés dans les populations sont ceux qui provoquent des effets qui servent leurs intérêts propres (c'est-à-dire de continuer à se reproduire), et pas forcément les intérêts de l'individu même. Cette vision des choses explique l'altruisme au niveau des individus dans la nature, en particulier dans le cercle familial : quand un individu se sacrifie pour protéger la vie d'un membre de sa famille, il agit dans l'intérêt de ses propres gènes. »
Finalement la réalité est très certainement plus complexe, et est le résultat de tendances naturelles et compétitives : des gènes qui cherchent à survivre et à se propager, des êtres vivants multiples qui cherchent à élaborer un écosystème plus favorables pour eux, un néocortex qui analyse sous influence et fait des choix, des chocs aléatoires et imprévisibles qui organisent des télescopages entre tous les acteurs et toutes les actions.
De cet écosystème global et chaotique, émergent des trajectoires individuelles dont nous croyons être à l’origine, alors que nous n’en sommes qu’un des participants.
Comprenons et admettons que notre corps est constamment pénétré par le monde dans lequel il baigne, et que, si nous en sommes le premier des pilotes, nous n’en sommes pas le seul.

13 mai 2014

ÊTRE LE PREMIER DES PILOTES DE SON CORPS, MAIS PAS LE SEUL

L’écosystème de notre corps (11)
Qui décide ?
Est-ce moi qui, consciemment, choisit de faire ceci ou cela ? Quelle est la portée de l’influence du cerveau intestinal qui pèse sur mes émotions et modifie ma perception du monde et des risques ?
Jusqu’à quel point les bactéries qui sont présentes dans mon microbiote intestinal peuvent-elles me faire mener des buts qui servent leurs intérêts, ce voire au préjudice de ma propre survie ? Puis-je être une sorte de véhicule passif de micro-organismes qui me manipuleraient ?
Très probablement pas… mais je suis certainement influencé. Je repense à ces scènes cauchemardesques des films Alien où les humains se transforment en simple véhicule d’êtres qui les détruisent. Rien à craindre de tel.
Je repense aussi au livre de Richard Dawkins, Le Gène égoïste, publié en 1976, où il soutient la thèse que ce sont les gènes qui manipulent le vivant et son évolution. Comme il est expliqué dans Wikipedia, « en décrivant les gènes comme étant « égoïstes », l'auteur n'entend pas par là (comme il l'affirme sans équivoque dans le livre) qu'ils sont munis d'une volonté ou d'une intention propre, mais que leurs effets peuvent être décrits comme si ils l'étaient. Sa thèse est que les gènes qui se sont imposés dans les populations sont ceux qui provoquent des effets qui servent leurs intérêts propres (c'est-à-dire de continuer à se reproduire), et pas forcément les intérêts de l'individu même. Cette vision des choses explique l'altruisme au niveau des individus dans la nature, en particulier dans le cercle familial : quand un individu se sacrifie pour protéger la vie d'un membre de sa famille, il agit dans l'intérêt de ses propres gènes. »
Finalement la réalité est très certainement plus complexe, et est le résultat de tendances naturelles et compétitives : des gènes qui cherchent à survivre et à se propager, des êtres vivants multiples qui cherchent à élaborer un écosystème plus favorables pour eux, un néocortex qui analyse sous influence et fait des choix, des chocs aléatoires et imprévisibles qui organisent des télescopages entre tous les acteurs et toutes les actions.
De cet écosystème global et chaotique, émergent des trajectoires individuelles dont nous croyons être à l’origine, alors que nous n’en sommes qu’un des participants.
Comprenons et admettons que notre corps est constamment pénétré par le monde dans lequel il baigne, et que, si nous en sommes le premier des pilotes, nous n’en sommes pas le seul.

22 avr. 2014

LE VENTRE, NOTRE DEUXIÈME CERVEAU

L’écosystème de notre corps (1)
Le 17 juin 2013, intrigué par la découverte de neurones tapissant notre paroi abdominale, j’écrivais sur mon blog un article intitulé « Penser avec les tripes ».
En effet, fort d’une centaine de millions de neurones, soit près du double du cerveau d’un rat, ce cerveau local est un bel exemple de la puissance d’une intelligence décentralisée : il permet un traitement rapide, et ce sans solliciter notre cerveau principal, du processus clé et complexe de la digestion.
Je terminais en écrivant : « Les deux cerveaux sont-ils totalement indépendants ? Non, ils sont réunis par un nerf au joli nom, le nerf vague. Son rôle reste encore imprécis, mais, s’il assure une forme de synchronicité entre les deux, il n’entrave pas l’autonomie du cerveau abdominal.
Ce principe d’organisation n’est pas inintéressant pour réfléchir au management des entreprises, et la façon de développer de vrais processus décentralisés…
Décidément plus nous avançons dans la compréhension de nos mécanismes cérébraux, plus on s’écarte de la vision de Descartes, et de son célèbre « Je pense donc je suis »… à moins qu’il faille le réécrire avec un néologisme : « Je panse et je suis » ! »
La diffusion récente d’un documentaire sur Arte, « Le Ventre, notre deuxième cerveau » vient enrichir et prolonger mes réflexions, et ce en droite ligne de ce que j’écrivais dans mon dernier livre, Les Radeaux de feu, à savoir l’importance des processus émergents et la complexité de la notion de « je » et d’individualité.
Il était nécessaire donc que je m’y arrête. Tel est le propos des billets des jours à venir.

(à suivre)

18 déc. 2013

QUI EST LE « JE » QUI M’HABITE ?

L’individu humain : le futur anticipé (5)
Aussi comment puis-je dire « je » alors que bon nombre de mes actes échappe à ma volonté consciente ? Et comment puis-je avoir une sensation d’identité et de continuité, alors que tout se forme et se déforme sans cesse, que tout est bâti sur des sables mouvants ? Inutile d’imaginer me raccrocher à ma mémoire comme un quelconque absolu, puisqu’elle est faite de rocs et de sables mouvants.
Dire « je », c’est arriver à passer au travers de trois étapes : percevoir le temps présent, même si c’est au travers d’interprétations ; se souvenir, même si c’est à coups de déformations ; savoir que l’on s’en souvient, c’est-à-dire arriver à relier tous ces événements dans une trame temporelle et s’identifier à cette continuité élaborée.
Le défi est d’arriver à ce processus d’identification alors que nous ne percevons que la pointe de l’iceberg de nos processus mentaux : notre « soi », c’est-à-dire tout ce que le cerveau qui habite notre corps a conçu, trié et piloté, est beaucoup plus vaste que le « moi » que nous connaissons.  Aussi, où commence et finit notre identité ? Doit-elle s’arrêter au « je » conscient ? Ou, pouvons-nous être tenus pour responsables de tout ce que notre corps a fait, y compris en cachette de notre volonté effective ?
Francesco Varela va plus loin dans cette remise en perspective de la notion de « je », et le relie directement au « nous », en reliant l’identité individuelle et le collectif : « C'est ce que j'entends lorsque je parle d'un moi dénué de moi (nous pourrions aussi parler de moi virtuel) : une configuration globale et cohérente qui émerge grâce à de simples constituants locaux, qui semble avoir un centre alors qu'il n'y en a aucun, et qui est pourtant essentielle comme niveau d'interaction pour le comportement de l'ensemble. (…) D'un point de vue purement fonctionnaliste, on peut dire que « je » existe pour l’interaction avec autrui, pour créer la vie sociale. De ces articulations dérivent les propriétés émergentes de la vie sociale dont les « je » dépourvus de moi sont les constituants élémentaires. » (1)
(1) Francesco Varela, Quel savoir pour l’éthique, p.87 et 100
(extrait des Radeaux de feu)



16 mai 2013

LE SAVOIR-FAIRE ÉTHIQUE EST LA PRISE DE CONSCIENCE PROGRESSIVE ET DIRECTE DE LA VIRTUALITÉ DU MOI

Quel savoir pour l’éthique - Patchwork
Découverte ces derniers jours d’un livre lumineux, court, dense et dont la lecture me sera précieuse pour finaliser mon nouveau livre : Quel savoir pour l’Éthique de Francesco Varela. Inutile de vous précipiter sur votre librairie préférée, car il est malheureusement épuisé… à moins que vous n’en dénichiez un exemplaire préservé…
En voici déjà un patchwork à ma façon.
La pensée naît de l’action : la cognition énacte
Dans la démarche énactive, la réalité n'est pas un donné : elle dépend du sujet percevant, non pas parce qu'il la « construit » à son gré, mais parce que ce qui compte à titre de monde pertinent est inséparable de ce qui forme la structure du sujet percevant.
J'ai dit que les sciences de la cognition commençaient à comprendre deux choses importantes : 1) la perception n'est pas la récupération d'un monde prédéterminé, mais le guidage perceptif de l'action dans un monde inséparable de nos capacités sensori-motrices ; 2) les structures cognitives « supérieures » émergent aussi des schémas récurrents de l'action guidée par la perception. Ainsi, la cognition n'est pas affaire de représentations mais d'actions incarnées.
La sagesse ne s’apprend pas, elle est l’extension d’une vie attentive
La majeure partie de nos activités quotidiennes - travailler, bouger, parler, manger - ressortissent à un savoir-faire, et que seule une petite partie ressortit à une analyse délibérée et intentionnelle, propre aux savoirs. C'est pourtant la seconde catégorie que nous remarquons le plus facilement ; c'est donc elle qui a attiré l'attention des philosophes comme ·des scientifiques.
Le véritable expert agit à partir d'inclinations qui ont été étendues, et non de règles acceptées, et il échappe donc au fait évident que les réponses purement mécaniques ne sont pas assez structurées pour l'infinie variété des situations que nous devons affronter.
Chez Mencius, donc, l'interaction de la conscience intelligente, de l'attention et de l'extension explique comment l'on peut devenir véritablement vertueux même à partir de débuts modestes, et en même temps elle différencie le comportement véritablement éthique de celui de l'« honnête homme du village ».
La lumière ne peut pas ne pas éclairer
En fait, le wu-wei (« rien-faire ») désigne une expérience et un parcours d'apprentissage, et non une simple découverte intellectuelle. Il désigne l'acquisition d'une disposition où la distinction absolue entre le sujet et l'objet de l'action disparaît pour être remplacée par l'acquisition d'un savoir-faire où la spontanéité l'emporte sur la délibération. Comme dans tout savoir-faire véritable, il s'agit d'une action non duelle.
L'action sans intention n'est pas une action aléatoire ou purement spontanée. C'est une action qui, grâce à l'extension ou à l'application appropriées, est devenue un comportement incarné à la suite d'un long apprentissage.
Le « Je » est le fruit de l’histoire que nous nous racontons à nous-mêmes sur nous-mêmes
A ce point, la tension entre ce que la science affirme et notre propre expérience immédiate est tangible. S'il peut y avoir cognition sans le moi, pourquoi faisons-nous néanmoins l'expérience du moi ? Nous ne pouvons pas tout simplement évacuer l'expérience sans autre forme de procès.
C'est ce que j'entends lorsque je parle d'un moi dénué de moi (nous pourrions aussi parler de moi virtuel) : une configuration globale et cohérente qui émerge grâce à de simples constituants locaux, qui semble avoir un centre alors qu'il n'y en a aucun, et qui est pourtant essentielle comme niveau d'interaction pour le comportement de l'ensemble.
Nous pouvons concevoir notre sentiment d'un «je» personnel comme le récit interprétatif continuel de certains aspects des activités parallèles dans notre vie quotidienne.
Le « Je » n’a pas de sens sans le « nous »
D'un point de vue purement fonctionnaliste, on peut dire que « je » existe pour l’interaction avec autrui, pour créer la vie sociale. De ces articulations dérivent les propriétés émergentes de la vie sociale dont les « je » dépourvus de moi sont les constituants élémentaires.
Le savoir-faire éthique est la prise de conscience progressive et directe de la virtualité du moi.
C'est comme si on était né en sachant déjà jouer du violon, et que l'on devait faire de grands efforts afin de se débarrasser des habitudes qui nous empêchent de faire preuve de cette virtuosité. Ainsi, le véritable wu-wei du sage ne se développe pas : il se dévoile.

31 janv. 2013

LE FLOU DU DÉCIDEUR : QUI DÉCIDE ?

Toute décision est faussée (2)
Nous avons vu (ou plutôt lu !) hier que tout décision supposait : un sujet qui décide, la présence de plusieurs options, l’existence d’un objectif et d’une vision de la situation, et l’analyse de ces options par rapport à cet objectif et cette vision. Alors pourquoi puis-je affirmer que toute décision est faussée ?
Pour cela, je vais reprendre chacune des quatre composantes de la décision.
A tout seigneur, tout honneur, commençons par le sujet, celui qui décide… ou qui croît décider.
Comme je l’ai notamment expliqué, il y a une dizaine de jours, dans ma série d’articles, L’iceberg de l’inconscient (1), nous ne percevons que la surface de nos processus mentaux, et notre identité est beaucoup plus complexe qu’elle ne nous apparaît. Ainsi ce « je » qui est sujet de la décision, qui est-il ? Est-il réellement le même que celui qui a fait les analyses, a fixé les objectifs ? Sait-il pourquoi il préfère ceci ou cela ? Difficile de répondre brutalement par l’affirmative. Au mieux, je dirais : oui, peut-être et probablement… mais comment en être sûr ? Et même si les modifications sont mineures, peut-on affirmer qu’elles ne sont pas suffisantes pour engendrer des différences importantes ?
Or souvent, en entreprise, le sujet n’est pas unique, mais est un groupe, un comité, ou un tandem. Occasion d’indéterminations supplémentaires. Et parfois ces comités ne sont que des chambres d’enregistrement, où l’on apporte un cachet officiel à des décisions prises dans d’autres cénacles…
Mais je vous l’accorde, ce flou sur l’identité du sujet qui décide, n’est pas de nature à lui seul à entacher le processus de décision, et c’est insuffisant pour pouvoir affirmer que la décision est fausse. Disons que son attribution à un sujet donné est moins nette qu’il n’y paraît.
Il reste à examiner les trois autres composantes de la décision.

23 janv. 2013

LE « JE » EST CRÉATEUR D’INCERTITUDE

L’iceberg de l’inconscient (4)
Comment puis-je dire « je » alors que bon nombre de mes actes échappe à ma volonté consciente ? Comment puis-je avoir une sensation d’identité et de continuité, alors que tout se forme et se déforme sans cesse, que tout est bâti sur des sables mouvants ? Inutile d’imaginer me raccrocher à ma mémoire comme un quelconque absolu, puisqu’elle est faite de rocs et de sables mouvants. Aussi, comment puis-je dire « je » ?
Dire « je », c’est arriver à passer au travers de trois étapes : percevoir le temps présent, même si c’est au travers d’interprétations ; s’en souvenir, même si c’est à coups de déformations ; savoir que l’on s’en souvient, c’est-à-dire arriver à relier tous ces événements dans une trame temporelle et s’identifier à cette continuité élaborée.
Comme l’a écrit Joëlle Proust : « Prenons par exemple un souvenir comme « je me rappelle que j’ai visité le château de Versailles ». Il ne suffit pas que « je » dans « je me rappelle » et « je » dans « j’ai visité » se trouvent faire référence à la même personne ; il faut en outre que je sache qu’il s’agit bien de la même personne. (…) Pour être une personne, on doit au minimum être conscient de deux événements (d’avoir vu Versailles et de s’en souvenir) et de les rassembler dans la même expérience consciente présente concernant le même « je ». » 1
Le défi est d’arriver à ce processus d’identification alors que nous ne percevons que la pointe de l’iceberg de nos processus mentaux : notre « soi », c’est-à-dire tout ce que le cerveau qui habite notre corps a conçu, trié et piloté, est beaucoup plus vaste que le « moi », que nous connaissons.
Aussi, où commence et finit notre identité ? Doit-elle s’arrêter au « je » conscient ? Ou, pouvons-nous être tenus pour responsables de tout ce que mon corps a fait, y compris en cachette de notre volonté effective ? Vastes questions auxquelles je ne sais pas personnellement, quelle réponse apporter…
Quoi qu’il en soit, nous devons admettre ne connaître que la partie émergée de notre iceberg. Nous sommes et serons toujours des inconnus pour nous-mêmes. Aussi, nous devons apprendre à vivre avec ces terres inaccessibles qui nous habitent. Il n’y a pas d’autre issue.
Autre conséquence, il est bien illusoire de croire que le cerveau humain est capable de réduire l’incertitude qui grandit avec le monde. Au contraire, il est, lui-même, comme tout ce qui habite l’univers et s’y développe, un facteur d’accélération de l’incertitude !
(1) Joëlle Proust, La nature de la volonté

22 janv. 2013

LE MOI S’INVENTE DES HISTOIRES

L’iceberg de l’inconscient (3)
C’est bien d’un iceberg qu’il s’agit : l’essentiel de l’énergie consommée par le cerveau est appelée « l’énergie sombre », représenterait 80% du total et serait consommée en continu, même quand notre cerveau est en repos.
Enfin, si jamais nous sommes confrontés à un événement inexplicable, nous n’hésiterons pas à réinventer un passé qui n’existe pas :
- Si la raison de notre comportement est liée à une information subliminale, inaccessible à notre conscience, nous trouverons une autre explication.
- Si nous croyons avoir fait un choix, nous construisons des raisons pour l’expliquer.
Siri Hustvedt, une poétesse et essayiste, a vécu une histoire exemplaire de recomposition du passé. Comme elle le relate, dans « La femme qui tremble », elle a un souvenir d’enfance très précis qui se déroule alors qu’elle avait quatre ans. Elle voit très bien du lieu exact où il s’est déroulé, lieu qui est celui de sa maison d’enfance. Sauf qu’elle s’est rendue compte dernièrement que cette maison n’avait pas encore été acquise par sa famille quand elle avait quatre ans.  Elle avait reconstruit une histoire simple, cohérente et facilement racontable.
Jung définit ainsi le moi : « J’entends par Moi un complexe de représentations formant, pour moi-même, le centre du champ conscienciel, et me paraissant posséder un haut degré de continuité et d’identité avec lui-même… Mais le Moi n’étant pas le centre du champ conscienciel ne se confond pas avec la psyché ; ce n’est qu’un complexe parmi d’autres. Il y a donc lieu de distinguer le Moi et le Soi, le Moi n’étant que le sujet de ma conscience, alors que le Soi est le sujet de la totalité de la psyché, y compris de l’inconscient. » 1
(à suivre)
(1) CG Jung, Types psychologiques

29 oct. 2012

LE « JE » SUR DES SABLES MOUVANTS

La mémoire, le transport des armoires et internet (5)
Or sans mémoire, il n’y a ni identité, ni personnalité, ni responsabilité. Comment me sentirais-je comptable de ce que j’ai fait si je ne m’en souvenais pas ? Mais comme ma mémoire est changeante et fluctuante, comme elle se déforme et se constitue sans cesse, comme elle est aussi peu solide que ne le sont des sables mouvants, comment puis-je dire « je » ?
De plus, ce « je » conscient, ce « je » qui s’exprime et qui est capable de revendiquer une identité, ce « je » qui sait qu’il est ici et qu’il était aussi celui qui écrivait, il y a un an, ce « je » qui est connu et reconnu par ses proches, ce « je » donc n’est que la partie émergée de mon cerveau. L’essentiel de ce qui se passe en moi me reste inaccessible, et je suis pour toujours largement mû par des processus inconscients. C’est ce que Jung appelait le Soi, ce qui recouvre la totalité de ce que nous sommes et va bien au-delà du moi que nous percevons.
Aussi, où commence et finit mon identité ? Doit-elle s’arrêter au « je » conscient ? Ou, puis-je être tenu pour responsable de tout ce que mon corps a fait, y compris en cachette de ma volonté effective ? Vastes questions auxquelles je ne sais pas personnellement, quelle réponse apporter. Quoi qu’il en soit nous devons admettre ne connaître que la partie émergée de notre iceberg. Nous sommes et serons toujours des inconnus pour nous-mêmes. Apprenons à vivre avec ces terres inaccessibles qui nous habitent. Il n’y a pas d’autre issue.