Quel savoir pour l’éthique - Patchwork
Découverte ces derniers jours d’un livre lumineux, court, dense et dont la lecture me sera précieuse pour finaliser mon nouveau livre : Quel savoir pour l’Éthique de Francesco Varela. Inutile de vous précipiter sur votre librairie préférée, car il est malheureusement épuisé… à moins que vous n’en dénichiez un exemplaire préservé…
En voici déjà un patchwork à ma façon.
La pensée naît de l’action : la cognition énacte
Dans la démarche énactive, la réalité n'est pas un donné : elle dépend du sujet percevant, non pas parce qu'il la « construit » à son gré, mais parce que ce qui compte à titre de monde pertinent est inséparable de ce qui forme la structure du sujet percevant.
J'ai dit que les sciences de la cognition commençaient à comprendre deux choses importantes : 1) la perception n'est pas la récupération d'un monde prédéterminé, mais le guidage perceptif de l'action dans un monde inséparable de nos capacités sensori-motrices ; 2) les structures cognitives « supérieures » émergent aussi des schémas récurrents de l'action guidée par la perception. Ainsi, la cognition n'est pas affaire de représentations mais d'actions incarnées.
La sagesse ne s’apprend pas, elle est l’extension d’une vie attentive
La majeure partie de nos activités quotidiennes - travailler, bouger, parler, manger - ressortissent à un savoir-faire, et que seule une petite partie ressortit à une analyse délibérée et intentionnelle, propre aux savoirs. C'est pourtant la seconde catégorie que nous remarquons le plus facilement ; c'est donc elle qui a attiré l'attention des philosophes comme ·des scientifiques.
Le véritable expert agit à partir d'inclinations qui ont été étendues, et non de règles acceptées, et il échappe donc au fait évident que les réponses purement mécaniques ne sont pas assez structurées pour l'infinie variété des situations que nous devons affronter.
Chez Mencius, donc, l'interaction de la conscience intelligente, de l'attention et de l'extension explique comment l'on peut devenir véritablement vertueux même à partir de débuts modestes, et en même temps elle différencie le comportement véritablement éthique de celui de l'« honnête homme du village ».
La lumière ne peut pas ne pas éclairer
En fait, le wu-wei (« rien-faire ») désigne une expérience et un parcours d'apprentissage, et non une simple découverte intellectuelle. Il désigne l'acquisition d'une disposition où la distinction absolue entre le sujet et l'objet de l'action disparaît pour être remplacée par l'acquisition d'un savoir-faire où la spontanéité l'emporte sur la délibération. Comme dans tout savoir-faire véritable, il s'agit d'une action non duelle.
L'action sans intention n'est pas une action aléatoire ou purement spontanée. C'est une action qui, grâce à l'extension ou à l'application appropriées, est devenue un comportement incarné à la suite d'un long apprentissage.
Le « Je » est le fruit de l’histoire que nous nous racontons à nous-mêmes sur nous-mêmes
A ce point, la tension entre ce que la science affirme et notre propre expérience immédiate est tangible. S'il peut y avoir cognition sans le moi, pourquoi faisons-nous néanmoins l'expérience du moi ? Nous ne pouvons pas tout simplement évacuer l'expérience sans autre forme de procès.
C'est ce que j'entends lorsque je parle d'un moi dénué de moi (nous pourrions aussi parler de moi virtuel) : une configuration globale et cohérente qui émerge grâce à de simples constituants locaux, qui semble avoir un centre alors qu'il n'y en a aucun, et qui est pourtant essentielle comme niveau d'interaction pour le comportement de l'ensemble.
Nous pouvons concevoir notre sentiment d'un «je» personnel comme le récit interprétatif continuel de certains aspects des activités parallèles dans notre vie quotidienne.
Le « Je » n’a pas de sens sans le « nous »
D'un point de vue purement fonctionnaliste, on peut dire que « je » existe pour l’interaction avec autrui, pour créer la vie sociale. De ces articulations dérivent les propriétés émergentes de la vie sociale dont les « je » dépourvus de moi sont les constituants élémentaires.
Le savoir-faire éthique est la prise de conscience progressive et directe de la virtualité du moi.
C'est comme si on était né en sachant déjà jouer du violon, et que l'on devait faire de grands efforts afin de se débarrasser des habitudes qui nous empêchent de faire preuve de cette virtuosité. Ainsi, le véritable wu-wei du sage ne se développe pas : il se dévoile.
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