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9 mars 2024

PHOTOSHOP CÉRÉBRAL

Je vois, entends, touche, sens, goûte.

Avec mes cinq sens,

Plongé dans le réel,

Je décide.

 

Du moins, je le crois.

 

Mais je ne vois rien, ni n’entends, touche, sens ou goûte.

Avec mes cinq sens,

Je nourris mes neurones.

Ni plus, ni moins.

 

Et mon cerveau se met au travail.

 

Fort de mon vécu, mes succès, mes échecs,

Il construit ce qui parait plausible, probable.

Des informations brutes, il élabore une interprétation.

Photoshop cérébral.

 

Et voilà ce que je vois, entends, touche, sens, goûte.

 

À partir de mes données sensorielles et de mon expérience,

J’anticipe et rêve le monde avant de le vivre.

Inconsciemment, au profond de moi-même,

Se crée une vision de ce qui devrait ou pourrait arriver.

 

Ainsi va ma vie.

8 mars 2024

DES JEUX DE MOTS QUI N’EN SONT PAS

Au travers de mes mots,
Je rêve, imagine, élabore des plans.
Langage, support de ma pensée.
Écrire pour dessiner en moi,
Et me parler à moi-même.

 

Au travers de nos mots,

Je t’écoute, m’exprime, échange.

Langage, support de notre communication.

Écrire pour dessiner en toi,

Et parler en toi-même.

 

Jamais tu n’auras pas accès à ce que je pense,

Juste à mes mots et au sens que tu leur donnes.

Et pourtant, nous nous parlons,

Et tentons de nous comprendre.

Imparfaitement, un peu, un peu plus…

 

Langage, affaire privée et bien collectif,

Source de relation intime et partagée ?

Imaginaire et échange,

Intelligibilité et malentendu.

Naissance des je et des nous.

 

Aussi les mots sont-ils trop sérieux pour en jouer !

28 mai 2019

ÊTRE IRRATIONNEL, C’EST NIER L’IMPORTANCE DES PROCESSUS CACHÉS OU INCONSCIENTS

La décision peut-elle être mise en équation ?
Pendant des années, Treca, un leader dans le domaine du matelas, s'est refusé à entrer dans le marché des matelas en latex. Pour lui, sorti du ressort, pas de salut. La Direction était arcboutée, et, malgré le développement du latex, refusait même d'en discuter. Bizarre, non ? 
Oui si l'on s'en tient à l'approche rationnelle, mais, si l'on prend le temps de connaître l'histoire de l'entreprise et le sens de son nom, on se donne une chance de comprendre ce qui se passait. Que veut dire Treca ? C'est un raccourci pour Tréfilerie Câblerie : l'entreprise était née autour de son activité de tréfilerie. Le ressort n'était pas seulement un « objet anonyme » qui était là pour assurer le confort des matelas, c'était la raison d'être de l'entreprise, la justification de son nom.
S'autoriser à étudier le marché du latex s'était risquer d'abandonner un jour le ressort, prendre le risque de « tuer son père ». Pas facile. Tout ceci était en arrière-plan, dissimulé dans l'inconscient collectif…
Au milieu des années 80, j’étais à la DATAR (Délégation à l'Aménagement du Territoire et à l'Action Régionale), au sein de la petite équipe ayant pour mission de contribuer à une meilleure répartition géographique des emplois en France. Lors du choix de la localisation d’une nouvelle usine, au-delà des critères logiques et connus, nous en avions identifié un caché : la localisation de la résidence secondaire du ou des décideurs. 
Que se passait-il ? En fait l'analyse rationnelle des localisations possibles conduisait la plupart du temps à plusieurs options possibles. Le choix entre elles allait dépendre de la grille de choix et de la pondération entre les différents éléments d'analyse. Or cette grille et cette pondération étaient très largement subjectives et ne pouvaient être déduites d'aucun manuel de management. A ce moment-là, le ou les dirigeants concernés repensaient qu'eux-mêmes, auraient à aller dans cette usine, et que, si elle n'était pas trop loin de leur maison de campagne, ce serait quand même pratique…
A son arrivée à la tête de cette grande entreprise, ce dirigeant expérimenté avait eu pour la première fois de sa carrière à faire face à un nouveau secteur d'activités. Pas facile de comprendre la logique de ce secteur : les enjeux technologiques étaient complexes, le jeu concurrentiel mouvant, le rythme des innovations très particulier. En fait, il avait été un peu perdu. Bien sûr, il avait cherché à apprendre le plus vite possible toutes ces nouvelles règles du jeu, mais il gardait une nostalgie du secteur qu'il venait de quitter. Un peu comme s'il regrettait une terre natale. 
Heureusement, son entreprise était prospère et avait à choisir un nouveau domaine d'activités. Rapidement, une évidence s'imposa à lui : le secteur qu'il avait quitté, celui qu'il connaissait si bien, était le bon. Une étude stratégique après, la décision était prise : son entreprise allait s'y développer. Cette décision étonna bon nombre d'analystes, car le lien entre ce nouveau domaine et les activités historiques de l'entreprise n'était pas évident. Mais la signature apposée au bas de l'étude stratégique était tellement convaincante…
Histoire de l'entreprise, attentes cachées des décideurs, histoire personnelle du dirigeant, autant de facteurs essentiels dans un processus de décision.
D’aucuns y verront un problème, une tendance contre laquelle il faut lutter. Personnellement, je ne crois pas, car cela montre que nous ne sommes pas face à des mécaniques anonymes et inhumaines. Simplement un facteur de complexité supplémentaire à prendre en compte.
Car, penser que l'on peut tout mettre en équation, ce n'est pas être rationnel : nier la réalité des processus cachés et inconscients, c'est être irrationnel.
Être rationnel, c'est faire face à la réalité des processus cachés et inconscients… et apprendre à en tirer parti.

16 déc. 2015

L’ARROSEUR ARROSÉ

Quand une entreprise ne sait plus ce qu'elle fait…
Pour faire face à des concurrents à bas coût, la Direction Générale d’une compagnie aérienne a lancé un vaste plan de réduction des dépenses dans l’ensemble de l’entreprise. Une équipe ad-hoc est constituée.
Sont notamment revues toutes les dépenses dans l’aéroport principal. Un audit met en évidence que le nombre de personnes affectées à la réception des bagages est excessif, le calcul reposant sur le nombre total de bagages traités par jour. La décision de diminuer le nombre de bagagistes est prise et est rapidement mise en œuvre.
En parallèle, une autre partie de cette grande entreprise qui a en charge de développer les ventes en Asie, et singulièrement au Japon, décide de promouvoir dans ce même aéroport une logique de hub : des correspondances très rapides vont permettre à des voyageurs venant du Japon de transiter efficacement et repartir vers une destination quelconque en Europe. Le temps de correspondance visé est de 30 minutes.
Or les vols depuis le Japon sont effectués dans des Boeing 747 et l’arrivée de ces vols a lieu à l’heure de pointe de l’aéroport : il y a donc à ce moment-là un très grand nombre de bagages à traiter. Aussi, compte tenu de la diminution du nombre de bagagistes, le temps moyen pour traiter un bagage monte à 45 minutes : en effet, le calcul d’optimisation fait pour la réduction des coûts a raisonné en moyenne journalière et n’a pas tenu compte de l’effet de pointe.
Ainsi la juxtaposition des deux décisions, optimisation du traitement des bagages et mise en place du hub, a fait que la plupart des voyageurs venant du Japon repartaient vers leurs destinations finales sans leurs bagages !
Le coût direct lié au traitement de tous les bagages en retard (intervention manuelle hors processus, frais d’acheminement jusqu’au client final incluant des taxis, indemnités,…) a été nettement supérieur à l’économie faite par la réduction du nombre de bagagistes : une estimation rapide de ce surcoût l’a évalué à dix fois l’économie initiale.
Et ce sans parler des dégâts faits à l’image de la compagnie auprès des clients mécontents, dégâts toujours difficilement chiffrables : l’incident a été tellement important que l’entreprise a failli être déréférencée par toutes les agences de voyages japonaises.
 (Extrait du livre Neuromanagement)

27 févr. 2015

L’OUBLI EST NÉCESSAIRE POUR AVANCER

Devons-nous brûler tous les protestants ? (billet paru le 31 mars 2011)
Il devient ou redevient « à la mode » en France de se replonger dans l’histoire et dans nos racines pour se définir. Certes l’idée est louable et apparemment sympathique. Mais que va-t-on y trouver ? N’est-ce pas le même risque que celui couru par Jeanne dans Incendies ? Les apôtres de la mémoire et des racines ne vont-ils pas mettre le feu à ce pays ? Ne vont-ils pas allumer l’incendie qui va rendre impossible tout vivre ensemble, tout vivre au futur ?
Suivons-les pour un temps et plongeons dans notre passé :
  • Faut-il, au nom des guerres de 14-18 et 39-44, rompre toute relation avec l’Allemagne ? 
  • Ou alors c’est la Grande Bretagne qui est l’ennemie ? La guerre de Cent ans n’est pas si loin, car pourquoi ne pas remonter jusque là ? Y a-t-il une limite au devoir de mémoire ?
  • Côté religion, faut-il se méfier des protestants ? Ils ne sont quand même pas de catholiques. Aurions-nous fait la guerre de religion pour rien ? Pourquoi aller faire une croisade en Lybie alors que l’on peut la faire chez nous ?
  • Inutile de parler des juifs, nous les avons maltraités à de multiples moments, aucune raison d’arrêter.
  • Et pourquoi ne pas non plus réhabiliter l’inquisition ?
  • Et les italiens ne sont-ils pas les héritiers de ces romains qui ont ridiculisé les Gaulois ?
  • Et pourquoi aider les Grecs alors qu’ils ont dominé le monde ? 
  • Et les Égyptiens, où sont donc leurs pharaons ?
Certes, j’exagère. Mais qui a commencé ? 
Qui nous parle de la France en nous parlant de son passé ? Qui a peur de ceux qui la rejoignent ? Qui croit que c’est dans son passé que la France trouvera et construira son avenir ? Qui prône le devoir de mémoire ?
Tout individu se construit sur une part d’oubli qui est la seule façon d’avancer, de pardonner et de penser au futur. Il en est de même avec les nations et les pays : la France ne sera généreuse et porteuse d’avenir que si elle ne se pense pas au passé  et ne cherche pas dans le futur le prolongement de ses origines. 
Méfions-nous des incendiaires qui pourraient réveiller des démons du passé…

25 févr. 2015

INCENDIES MET LE FEU AU DEVOIR DE LA MÉMOIRE

Comment vivre quand on sait que l’on est né d’un crime ? (billet paru le 30 mars 2011)
Un frère et une sœur, jeunes adultes à l’aube de leur vie, font face au notaire, employeur et ami de leur mère. Celle-ci vient de mourir, et ils écoutent la lecture du testament. Double choc : celui de la demande de leur mère de retrouver leur père, celle de la nouvelle de l’existence d’un frère qu’elle leur demande aussi de retrouver.
Leur père est un inconnu, lointain, quelque part dans ce Liban quitté par leur mère au moment de leur naissance. Ils le croyaient mort. Pourquoi aller à sa rencontre ? Pourquoi remettre en  cause l’équilibre de leur vie, ici ? Pourquoi quitter le Québec ?
Et puis ce frère, qu’est-ce que cela veut dire ? Pourquoi leur mère ne leur en a jamais parlé ? Quelle drôle d’idée, d’un seul coup, dans un testament, de lâcher la bombe de son existence !
Réaction symétrique et opposée entre le frère et la sœur. 
Simon, le frère est d’avis qu’il faut continuer comme avant. Surtout ne pas savoir, surtout ne rien changer. Il est bien là après tout. Rien n’est parfait, mais aucun drame apparent. Probablement des non-dits, des problèmes de-ci de-là, mais rien d’apparemment dramatique. Oui, sa mère avait son jardin secret. Oui, ils ont peut-être, et même certainement, un père quelque part au sud Liban, et un frère aussi. Et alors ? Simon ressent le danger de ce passé enfoui. C’est vrai que ce n’est pas très courageux. N’a-t-il pas tort de vouloir laisser inconnu ses origines ?
Jeanne, la sœur, n’a pas peur de ce passé. Elle, elle veut partir, va partir à sa recherche. Elle n’imagine de rester là comment avant. Maintenant qu’elle sait que ce passé inconnu existe, elle doit partir. Pourquoi ? Est-elle plus courageuse ? Est-elle plus insatisfaite de sa vie ici ? Allez savoir… La voilà sur le chemin de ses racines, de leurs racines, mettant ses pas dans ceux de sa mère. Elle découvre l’horreur de la guerre du Sud Liban et comment ses origines en dépendent. Elle va convaincre son frère de la rejoindre.
Je ne vais pas vous raconter le film et le chemin d’horreur de ses découvertes successives. A vous de les découvrir si vous ne l’avez pas vu.
Au terme de ce voyage, quelques questions se poseront : qui avait raison, celui qui voulait continuer comme si de rien n’était ou celle qui voulait savoir ? Comment vont-ils pouvoir vivre avec ce qu’ils ont appris ? Peut-on survivre quand on sait que l’on est né d’un crime ?
Incendies n’apporte pas de réponses. Denis Villeneuve l’a tourné comme un documentaire, pas de commentaires, pas d’explications, pas de jugements. Juste le choc de la succession des images, juste l’empilement des faits, lente plongée… sans fonds.
Il montre simplement que la remontée à la surface de certains faits venant du passé n’est pas toujours souhaitable. Comment vivre en effet sans oubli ? 
Ce qui est vrai pour un individu l’est aussi des sociétés : est-il toujours pertinent de vouloir se souvenir de tout ? Le devoir de mémoire n’est-il pas parfois à pondérer par la nécessité de l’oubli ? Que penser de la volonté de penser la France en la plongeant dans son passé ?

12 mai 2014

LE « JE » ÉMERGE CONTINÛMENT DE NOS INTERACTIONS AVEC LE MONDE

L’écosystème de notre corps (10)
Trois acteurs : deux cerveaux en propre – un venu du fond des âges et tapi dans les méandres de notre intestin, un doté d’un néocortex, qui fait de nous un homme –, et le microbiote intestinal – cent mille milliards de bactéries, depuis notre naissance, nous accompagnent et nous influencent. C’est de l’interaction de ces trois composantes que naissent nos décisions… et non pas seulement de ce que nous appelons notre conscience.
Qu’en aurait pensé Sigmund Freud s’il avait su que des bactéries agissaient sur nos émotions et nos choix ? A côté de la psychanalyse gastrique, que j’évoquais dans le cinquième billet de cette série, faut-il en appeler à une psychanalyse bactérienne ? Amusant. Je ne vois pas bien comment arriver à les faire parler de leurs rêves. Faut-il essayer de faire allonger les bactéries sur des divans ?
Plus sérieusement, notre identité est donc le fruit d’une triple histoire : une innée venue de notre passé et constituée de notre double cerveau initial, une acquise très vite après la naissance avec notre microbiote intestinal, et enfin une vécue qui forme et déforme nos émotions, notre mémoire et nos savoirs conscients.
Notre « je » est donc doublement perméable au monde extérieur : par les bactéries qui entrent et sortent, par les évènements qui se produisent et qui nous heurtent.
Nous baignons doublement dans les écosystèmes du monde, et le dehors nous pénètre continûment. La limite entre dehors et dedans devient floue.
Nous sommes des milliers de gènes, des milliards de neurones, des centaines de milliards de bactéries, et un nombre non calculable d’échanges d’informations et de messages.
De cela, le « je » émerge. Mais qui décide et pourquoi fait-on ceci plutôt que cela ? …
(à suivre)

7 mai 2014

SOUS L’INFLUENCE DES BACTÉRIES QUI NOUS HABITENT

L’écosystème de notre corps (9)
Selon les bactéries qui nous habitent, selon notre flore intestinale, notre corps fonctionne plus ou moins bien. Mais nos pensées ? Est-ce que notre comportement dépend de ces hordes de micro-organismes qui vivent en nous ?
Pour commencer à répondre à cette question surprenante, des tests ont été réalisés sur des souris.
Prenons deux groupes de souris : certains sont agressives, d’autres ne le sont pas. Échangeons maintenant leurs microbiotes. Résultat : les calmes deviennent agressives, et réciproquement ! Une preuve que le microbiote influence le cerveau.
Serions-nous conditionnés par les bactéries qui nous habitent ?
Autre exemple d’action conditionnée chez la souris avec le cas de la toxoplasma : présente au sein d’une souris, elle peut générer une attitude suicidaire en poussant la souris à se laisser approcher par des chats, et ainsi à être mangée, ce pour le seul bénéfice de la toxoplasma. En effet, celle-ci se développant mieux dans l’organisme d’un chat a tout intérêt à ce que la souris soit mangée.
Et l’homme ? Sommes-nous aussi influencés par notre microbiotique intestinal ? Difficile de répondre à cette question, car comment isoler l’effet mental d’un probiotique, surtout car il est à chaque composé d’une multitude de molécules ?
Une étude publiée en mai 2013 par Kirsten Tillisch, du centre de neurobiologie du stress de Los Angeles, apporte une première réponse positive. Le test a porté sur soixante femmes auxquelles on a donné des yaourts avec ou sans probiotique. L’étude a montré que celles qui ont pris des probiotiques sont moins réactives aux images négatives et potentiellement menaçantes.
On modifie des yaourts… et en conséquence, on modifie ce qui se passe dans le cerveau ! Mais attention prudence car on ne connaît pas les effets secondaires. Les effets sont certains, mais largement encore imprécis.
Il semble donc bien une composante de notre cerveau vienne des bactéries qui nous habitent.
Nous aurions donc en quelque sorte trois cerveaux : deux liés à nos propres neurones, un grand et un petit, et un lié à l’intelligence de notre microbiote. Nous sommes aussi le résultat de qui vit en nous, et non pas seulement de notre ADN et de ce que nous avons vécu…
(à suivre)

6 mai 2014

L'ENTÉROTYPE OU UNE FORME D'ADN INTESTINAL

L’écosystème de notre corps (8)
Comme on peut séquencer notre ADN, c’est-à-dire avoir une photographie analytique de notre identité génétique, il est possible de séquencer l’ADN de notre microbiote, et d’analyser ses propriétés.
C’est à cette tâche apparemment herculéenne – n’oublions pas que notre microbiote intestinal comprend environ cent mille milliards de bactéries –, que notamment Dusko Ehrlich, chercheur à l’INRA, s’est attelé… et les premiers résultats ouvrent des perspectives sur un nouveau monde… qui est très probablement le nôtre.
Quelques exemples.
D’abord on a montré que tous les microbiotes intestinaux pouvaient être classés en trois groupes principaux, appelés entérotypes. Chacun d’entre nous est donc caractérisé non plus seulement par un groupe sanguin, mais aussi par un entérotype. Plus surprenant, l’appartenance à un groupe ne dépend ni de la race, ni de l’âge, ni du sexe.
Quelles sont les conséquences de cette appartenance ? Ils conditionnent notre capacité à plus ou moins bien transformer notre nourriture en énergie.
Ainsi, une bactérie vient d’être identifiée qui, selon sa présence chez la souris, fait que celle-ci grossit plus ou moins. Elle dialogue avec les cellules de la paroi intestinale de la souris, et active les gènes qui déclenchent le fait de brûler des graisses. Résultat : la souris stocke plus ou moins d’énergie.
Autre propriété des microbiotes : selon ses caractéristiques, nous avons des prédispositions à certaines maladies. Peut-être prochainement, pour avoir une action préventive, il suffira d’étudier la flore intestinale.
Un vaste monde donc la découverte ne fait que commencer.
Mais tant que l’on ne parle que de capacité à plus ou moins bien digérer, ou à stocker de l’énergie, rien de bien inquiétant. Cela ne concerne pas notre processus de décision et notre comportement.
Comment des organismes si petits, même en nombre gigantesque, pourraient-ils bien agir sur nos pensées et nos actes ? Quand même, nous ne sommes pas sous influence.
Là aussi, rien n’est certain…
(à suivre)

5 mai 2014

NOUS SOMMES UN VÉHICULE À BACTÉRIES

L’écosystème de notre corps (7)
Notre identité et nos pensées ne naissent pas seulement de notre cortex, mais le cerveau intestinal y participe. Mais est-il le seul ?
Ne répondez pas trop vite oui, les surprises ne sont finies, car notre intestin héberge une population d’hôtes : cent mille milliards de bactéries habitent notre tube digestif, soit mille fois plus que d’étoiles dans notre galaxie. C’est le microcosme le plus dense qui regroupe dix fois plus que de cellules que celles de notre corps.
Sensation bizarre d’imaginer cette population qui squatte notre intestin.
Échange de bons procédés, car, sans ces bactéries, la digestion ne serait pas possible : nous leur offrons le gîte et le couvert, et elles digèrent notre nourriture pour nous. Sans les deux kilos qu’elles représentent, nous ne survivrions pas.
Quand commence cette colonisation ? Dès notre naissance, c’est-à-dire dès que l’embryon quitte le milieu stérile et protégé de l’utérus de sa mère. Dès les premières minutes, les bactéries nous envahissent, et les premières occupantes contribuent à sélectionner les suivantes.
Nous voilà ainsi quasi immédiatement doté d’un microbiote intestinal, c’est-à-dire d’une population de micro-organismes vivant en accord avec nous.
Nous avions hérité de l’ADN de nos parents, et nous héritons, selon les hasards de la vie, du moment et de l’endroit où nous naissons de ceux, d’un ADN complémentaire infiniment plus vaste.
Nous sommes un véhicule à bactéries, et c’est pour notre bien.
Mais est-ce une simple cohabitation digestive ?...
(à suivre)

30 avr. 2014

LES PARTIES ET L’ÉMERGENCE D’UN TOUT

L’écosystème de notre corps (6)
Notre cerveau intestinal interagit donc avec notre cerveau principal, celui que pendant longtemps nous avons cru unique.
Finalement, une image pertinente pour imaginer le fonctionnement de notre corps est de le voir comme un monde de tubes, de fluides et de tuyaux, un réseau complexe au sein duquel des informations et des messages sont continûment échangés.
De ce réseau, selon des modalités qui nous dépassent et dont nous ne percevons encore que des bribes, émergent des propriétés. A nouveau donc, retour de l’émergence, elle qui est au cœur des réflexions de mon dernier livre, les Radeaux de feu.
Telle est bien d’ailleurs l’approche de la médecine chinoise qui pense globalement le corps. Elle le conçoit comme un ensemble de flux d’énergies reliés au reste de l’univers. En Occident, on analyse chaque élément ; en Chine, on s’intéresse au tout, aux relations entre les différentes parties du corps.
Deux approches plus complémentaires que contradictoires.
Le documentaire sur Arte qui a inspiré cette série d’articles sur l’écosystème de notre corps, présente alors l’acupuncture abdominale découverte en 1972 par le Docteur Bo Zhiyun, à Canton. Il est convaincu du rôle central du cordon ombilical, autour duquel s’est développé l’embryon, rôle central qui perdurerait ce même une fois le cordon coupé.
Plus étonnant grâce à un traitement par acupuncture abdominale, il arrive à traiter la dépression. Je pique le ventre, et mes soucis s’en vont, en quelque sorte. Troublant, non ?
Et pourtant, le plus troublant reste à venir…
(à suivre)

29 avr. 2014

A QUAND UNE PSYCHANALYSE GASTRIQUE ?

L’écosystème de notre corps (5)
Un cerveau entérique qui pilote la digestion, un cerveau central qui, déchargé de cette tâche essentielle mais locale, gère le complexe. Je digère en bas, je pense en haut. Entre les deux, un nerf vague relie les deux pour transmettre ce qui doit l’être.
Belle vision simpliste et mécanique du fonctionnement de notre corps… mais éloignée de la réalité…
D’abord parce que l’interaction entre les deux ne se fait pas que par le biais des voies dites normales.
Par exemple, la sérotonine qui est produite par le cerveau entérique pour piloter le processus de la digestion est aussi un des neurotransmetteurs utilisés par notre cortex. Aussi quand nos neurones intestinaux en produisent en excès, et qu’une partie vient se perdre dans notre sang, un peu de cette sérotonine vient influencer nos émotions : sans en être conscients, nous vivons sous l’influence de notre ventre.
Nous voilà donc avoir réellement la peur au ventre ! Comme quoi, nos mots ont anticipé ce que nous ne venons que de comprendre. Si les messages transmis par notre cerveau entérique n’atteignent pas notre conscience, ils agissent sur notre capacité à voir le monde : notre ventre contribue à notre inconscient. A quand une psychanalyse gastrique ?
Nous découvrons de plus en plus que le ventre et la tête partagent bon nombre de maladies. Ainsi la maladie de Parkinson et la dépression pourraient apparaître d’abord dans le cerveau intestinal. Pourra-t-on demain les diagnostiquer préventivement simplement en prélevant un morceau d’intestin ? Ce serait un double bénéfice : savoir plus tôt, et sans avoir à faire une biopsie dangereuse du cerveau.
Le ventre, une fenêtre ouverte sur le cerveau, sur les maladies psychiatriques ?...
(à suivre)

28 avr. 2014

LE FEU EST LE PROPRE DE L’HOMME

L’écosystème de notre corps (4)
Un intestin sur pattes, avec des yeux et des oreilles… et donc doté d’un cerveau plus important que le cerveau originel, l’intestinal, pour gérer un système devenu complexe à déplacer et protéger, le tout pour accroître les chances de survie, et donc digérer. Voilà en quelque sorte un résumé brutal, et donc schématique, de ce qu’est un animal, et donc l’homme au moment de son apparition.
Alors que s’est-il passé qui nous a permis de nous doter d’un cortex tellement élaboré que nous nous trouvons capables de penser notre monde, écrire des poèmes… et faire la guerre à nos congénères au nom de possessions, le tout bien éloignée de la seule logique de survie et de digestion ?
Le feu. Nouvelle surprise énoncé au détour de ce documentaire : ce serait le feu qui a permis de décupler la performance de nos processus digestifs, et donc de libérer une quantité d’énergie devenue brutalement disponible.
En effet, cuire un aliment avant de l’ingérer, c’est le pré-digérer. L’homme avec l’invention du feu s’est donc trouvé doté d’un surplus d’énergie et de cellules – notamment nerveuses – capables de se développer pour d’autres finalités. Travailler moins en gagnant plus, en quelque sorte.
Nouveau résumé donc brutal : l’homme est devenu homme parce qu’il est un tube digestif plus performant grâce à l’invention du feu. Amusant, non ?
Au fur et à mesure, notre cerveau qui n’était qu’au service de son ancêtre originel, a pris son indépendance : le voilà devenu tellement développé que nous en sommes venus à oublier le cerveau intestinal, et la liaison qui demeure entre les deux.
Car oui, aujourd’hui encore, notre ventre contribue à nos pensées…
(à suivre)

23 avr. 2014

LA PENSÉE VIENT-ELLE DE LA PANSE ?

L’écosystème de notre corps (2)
Nous avons donc un cerveau dans notre intestin. Étrange sensation, non ?
Mais ne serait-il pas plus exact de dire que nous étions un intestin intelligent qui s’est progressivement doté d’un cortex pour mieux survivre ? Encore plus étrange, non ?
Et pourtant c’est bien dans cet ordre que la vie a déroulé le ruban de son évolution.
Tout a commencé au début par des organismes qui n’étaient que des tubes digestifs : savoir à se nourrir du dehors, capter ce qui peut être transformer en énergie, se protéger de ce qui peut détruire. La peau de la vie est ce qui limite et qui permet les échanges.
Je digère donc je vis. Si le propre de l’homme est le rire, celui de la vie est la digestion, c’est-à-dire la capacité à manger l’autre…
Et ce n’est pas facile : comment trier dynamiquement dans le bain qui entoure ce qui est bon, et rejeter le reste ? Petit à petit, au fur et à mesure du développement, ce qui n’était que des cellules primaires est devenu des tubes digestifs intelligents. Des neurones sont venus tapisser les parois et l’intelligence est née.
Voilà donc l’origine des neurones : apprendre à digérer.
Aussi notre cerveau entérique – appellation scientifique du cerveau intestinal – est-il celui qui a précédé l’autre.
Certes, mais notre « vrai » cerveau, ce cortex qui nous permet de penser, et de nous voir comme des « Je » indépendants et responsables, n’a rien à voir avec cette activité primaire : la pensée ne vient pas de la panse ! 
Est-ce si vrai ?
(à suivre)

22 avr. 2014

LE VENTRE, NOTRE DEUXIÈME CERVEAU

L’écosystème de notre corps (1)
Le 17 juin 2013, intrigué par la découverte de neurones tapissant notre paroi abdominale, j’écrivais sur mon blog un article intitulé « Penser avec les tripes ».
En effet, fort d’une centaine de millions de neurones, soit près du double du cerveau d’un rat, ce cerveau local est un bel exemple de la puissance d’une intelligence décentralisée : il permet un traitement rapide, et ce sans solliciter notre cerveau principal, du processus clé et complexe de la digestion.
Je terminais en écrivant : « Les deux cerveaux sont-ils totalement indépendants ? Non, ils sont réunis par un nerf au joli nom, le nerf vague. Son rôle reste encore imprécis, mais, s’il assure une forme de synchronicité entre les deux, il n’entrave pas l’autonomie du cerveau abdominal.
Ce principe d’organisation n’est pas inintéressant pour réfléchir au management des entreprises, et la façon de développer de vrais processus décentralisés…
Décidément plus nous avançons dans la compréhension de nos mécanismes cérébraux, plus on s’écarte de la vision de Descartes, et de son célèbre « Je pense donc je suis »… à moins qu’il faille le réécrire avec un néologisme : « Je panse et je suis » ! »
La diffusion récente d’un documentaire sur Arte, « Le Ventre, notre deuxième cerveau » vient enrichir et prolonger mes réflexions, et ce en droite ligne de ce que j’écrivais dans mon dernier livre, Les Radeaux de feu, à savoir l’importance des processus émergents et la complexité de la notion de « je » et d’individualité.
Il était nécessaire donc que je m’y arrête. Tel est le propos des billets des jours à venir.

(à suivre)

4 sept. 2013

PENSER AVEC LES TRIPES

Il n’y a qu’un pas entre la pensée et la panse
Que serions-nous sans la magie et la puissance de notre cerveau ? Celle-ci repose sur la centaine de milliards de neurones qui s’y trouvent, et sur le réseau incroyablement complexe de tous les points de contacts qui les relient, les plus de cent mille milliards de synapses.
À côté de cette machine centrale, en existe une autre, plus petite, plus limitée, mais essentielle : le cerveau abdominal. En effet, les parois de nos intestins sont tapissées d’une centaine de millions de neurones. Mille fois moins donc que notre cerveau principal, cela semble bien peu…
Donnons quelques éléments de comparaison : le cerveau d’un éléphant comprendrait vingt-trois milliards de neurones, celui d’un singe entre cinq à dix milliards de neurones, celui d’un chat un milliard, celui d’une pieuvre trois-cents millions, celui d’un rat une soixantaine de millions, celui d’une grenouille moins de vingt millions, celui d’une abeille un million et celui d’une fourmi deux-cent cinquante mille. (1)
Donc par rapport à cette échelle, notre cerveau abdominal se trouve entre le rat et la pieuvre… ou encore équivalent à cinq grenouilles travaillant en réseau. Peut-être est-ce pour cela que nous avons parfois des gargouillis gastriques : est-ce donc nos neurones intestinaux qui discutent entre eux ?
Ou aussi notre cerveau abdominal a la puissance de cent abeilles là encore mises en réseau, ou de quatre cents fourmis. Ressentons-nous des fourmillements internes ?
Mais la question n’est pas là, et il n’y a évidemment pas de comparaison entre la puissance de ce cerveau local, et celui qui pilote l’ensemble de notre corps, et est la source de nos processus conscients et inconscients.
À quoi donc sert-il, s’il ne contribue pas à nos pensées ?
À gérer localement le processus de digestion, et la complexité des échanges avec le système sanguin : comment digérer, que faut-il laisser passer, de quoi faut-il se protéger. Le fait que la gestion soit assurée localement et sans intervention du cerveau central, permet des actions ultrarapides, comme, par exemple, le déclenchement de vomissements. Cela allège aussi d’autant l’encombrement du système principal.
Les deux cerveaux sont-ils totalement indépendants ? Non, ils sont réunis par un nerf au joli nom, le nerf vague. Son rôle reste encore imprécis, mais, s’il assure une forme de synchronicité entre les deux, il n’entrave pas l’autonomie du cerveau abdominal.
Ce principe d’organisation n’est pas inintéressant pour réfléchir au management des entreprises, et la façon de développer de vrais processus décentralisés…
Décidément plus nous avançons dans la compréhension de nos mécanismes cérébraux, plus on s’écarte de la vision de Descartes, et de son célèbre « Je pense donc je suis »… à moins qu’il faille le réécrire avec un néologisme : « Je panse et je suis » !
(1) Source Wikipedia – List of animals by number of neurons

(Article paru le 17 juin 2013)

29 juil. 2013

L'ICEBERG DE L'INCONSCIENT

Qui suis-je ?
« Je pense, donc je suis » a affirmé Descartes il y a presque cinq cents ans. Quel chemin parcouru depuis, et quelle remise en cause tant de la notion de pensée, que celle d’identité ! En effet, ce « je » conscient, celui qui est capable non seulement de constater ce qu’il fait, mais pourquoi il le fait, n’est que la pointe immergée de l’iceberg de notre identité.
En effet, comme, par hypothèse, nous n’avons accès qu’à nos processus conscients, c’est-à-dire à ce que nous pouvons analyser, jusque tout dernièrement, nous ne nous sommes pas rendus compte qu’une bonne partie de ce qui nous sous-tend, nous est inaccessible, profondément caché dans les profondeurs de nos processus inconscients ou déformé par nos souvenirs et nos émotions.
Je ne parle pas là seulement des processus qui régissent l’équilibre de notre corps ou qui nous permettent de marcher ou nager sans y penser. Non, c’est bien la totalité de nos processus cognitifs qui sont en jeu, et nous ne sommes que « superficiellement » conscients : la plupart du temps n’avons accès qu’aux conséquences de choix inconscients qui ont été fait à l’insu de nous-mêmes, si ce « nous-mêmes » ne recouvre que notre conscience.
Voulez-vous quelques exemples pour vous montrer la taille de l’iceberg de nos processus inconscients ?
Un enfant croît désirer librement du lait
Voici quelques exemples pour vous montrer la taille de l’iceberg de nos processus inconscients :
- Si, bébé, vous avez dû attendre un biberon pendant plusieurs heures dans une pièce où tout était rouge, couleur que vous découvriez pour la première fois. Cette situation a laissé une trace indélébile avec laquelle vous vivez depuis : à chaque fois que vous voyez la couleur rouge, vous vous sentez mal à l’aise et ressentez une émotion négative violente. Et, comme vous n’avez aucun souvenir conscient de cette épisode initial, vous ne comprenez pas pourquoi.
- Notre mémoire n’est pas un système stable et figé : chaque souvenir est décomposé lors de son stockage initial, puis, à chaque rappel, reconstruit et modifié. Se souvenir, c’est un peu comme transporter un meuble en le démontant et en le remontant de façon incomplète et un peu inexacte. Ces souvenirs sont en plus colorés par les émotions ressenties alors.
- Il est dimanche matin, vous venez de vous réveiller. Comme votre planning est libre, que rien n’est prévu, vous devez décider de ce que vous allez faire de cette journée. Rapidement trois options s’imposent à vous, et c’est entre elles que vous choisissez. Pourtant le nombre réel des choix possibles était beaucoup plus vaste : vos processus inconscients ont fait un premier tri, et vous n’avez traité consciemment qu’un choix limité.
- Face à un jeu où il s’agit de trouver parmi quel tas il est plus intéressant de tirer des cartes, vous trouvez quelle est la bonne stratégie, avant d’être capable d’expliquer ce que vous faites. Ce n’est que plus tard que vous pourrez expliciter les raisons de votre choix.
- Face à un choix complexe et multicritères, ce n’est pas la décision consciente qui aboutit à un choix qui correspond le mieux à vos objectifs annoncés : c’est en faisant confiance à votre intuition que vous ferez le meilleur choix, ceci notamment à cause de la capacité des processus inconscients à traiter rapidement et de façon parallèle des données complexes.
- Notre système nerveux ne vous « donne à voir » de façon consciente, qu’une seule interprétation du monde à un instant donné, alors que d’autres réponses possibles ont aussi été traitées, et chacune avec un niveau de vraisemblance associée. Si l’on vous demande de fournir après un certain intervalle de temps, une deuxième réponse, la moyenne des deux réponses sera meilleure que chacune prise isolément, même si la deuxième est moins bonne que la première.
- Au-delà de la vision consciente, il y a ce qui a été baptisée « la vision aveugle » : des informations que vous ne savez pas avoir vus sont traitées et aboutissent à des prises de décision. Par exemple, vous pouvez désigner des objets que vous ne savez pas avoir vus, ou ressentir des émotions pour des visages dont vous n’avez aucun souvenir conscient.
Comme Spinoza l’a écrit, il y a longtemps : « C’est ainsi qu’un enfant croit désirer librement le lait, et un jeune garçon irrité vouloir la vengeance, ou un pusillanime, la fuite. »
Le moi s'invente des histoires
C’est bien d’un iceberg qu’il s’agit : l’essentiel de l’énergie consommée par le cerveau est appelée « l’énergie sombre », représenterait 80% du total et serait consommée en continu, même quand notre cerveau est en repos.
Enfin, si jamais nous sommes confrontés à un événement inexplicable, nous n’hésiterons pas à réinventer un passé qui n’existe pas :
- Si la raison de notre comportement est liée à une information subliminale, inaccessible à notre conscience, nous trouverons une autre explication.
- Si nous croyons avoir fait un choix, nous construisons des raisons pour l’expliquer.
Siri Hustvedt, une poétesse et essayiste, a vécu une histoire exemplaire de recomposition du passé. Comme elle le relate, dans « La femme qui tremble », elle a un souvenir d’enfance très précis qui se déroule alors qu’elle avait quatre ans. Elle voit très bien du lieu exact où il s’est déroulé, lieu qui est celui de sa maison d’enfance. Sauf qu’elle s’est rendue compte dernièrement que cette maison n’avait pas encore été acquise par sa famille quand elle avait quatre ans.  Elle avait reconstruit une histoire simple, cohérente et facilement racontable.
Jung définit ainsi le moi : « J’entends par Moi un complexe de représentations formant, pour moi-même, le centre du champ conscienciel, et me paraissant posséder un haut degré de continuité et d’identité avec lui-même… Mais le Moi n’étant pas le centre du champ conscienciel ne se confond pas avec la psyché ; ce n’est qu’un complexe parmi d’autres. Il y a donc lieu de distinguer le Moi et le Soi, le Moi n’étant que le sujet de ma conscience, alors que le Soi est le sujet de la totalité de la psyché, y compris de l’inconscient. » 1

Le "Je" créateur d'incertitude
Comment puis-je dire « je » alors que bon nombre de mes actes échappe à ma volonté consciente ? Comment puis-je avoir une sensation d’identité et de continuité, alors que tout se forme et se déforme sans cesse, que tout est bâti sur des sables mouvants ? Inutile d’imaginer me raccrocher à ma mémoire comme un quelconque absolu, puisqu’elle est faite de rocs et de sables mouvants. Aussi, comment puis-je dire « je » ?
Dire « je », c’est arriver à passer au travers de trois étapes : percevoir le temps présent, même si c’est au travers d’interprétations ; s’en souvenir, même si c’est à coups de déformations ; savoir que l’on s’en souvient, c’est-à-dire arriver à relier tous ces événements dans une trame temporelle et s’identifier à cette continuité élaborée.
Comme l’a écrit Joëlle Proust : « Prenons par exemple un souvenir comme « je me rappelle que j’ai visité le château de Versailles ». Il ne suffit pas que « je » dans « je me rappelle » et « je » dans « j’ai visité » se trouvent faire référence à la même personne ; il faut en outre que je sache qu’il s’agit bien de la même personne. (…) Pour être une personne, on doit au minimum être conscient de deux événements (d’avoir vu Versailles et de s’en souvenir) et de les rassembler dans la même expérience consciente présente concernant le même « je ». » 2
Le défi est d’arriver à ce processus d’identification alors que nous ne percevons que la pointe de l’iceberg de nos processus mentaux : notre « soi », c’est-à-dire tout ce que le cerveau qui habite notre corps a conçu, trié et piloté, est beaucoup plus vaste que le « moi », que nous connaissons.
Aussi, où commence et finit notre identité ? Doit-elle s’arrêter au « je » conscient ? Ou, pouvons-nous être tenus pour responsables de tout ce que mon corps a fait, y compris en cachette de notre volonté effective ? Vastes questions auxquelles je ne sais pas personnellement, quelle réponse apporter…
Quoi qu’il en soit, nous devons admettre ne connaître que la partie émergée de notre iceberg. Nous sommes et serons toujours des inconnus pour nous-mêmes. Aussi, nous devons apprendre à vivre avec ces terres inaccessibles qui nous habitent. Il n’y a pas d’autre issue.
Autre conséquence, il est bien illusoire de croire que le cerveau humain est capable de réduire l’incertitude qui grandit avec le monde. Au contraire, il est, lui-même, comme tout ce qui habite l’univers et s’y développe, un facteur d’accélération de l’incertitude !

(1) CG Jung, Types psychologiques
(2) Joëlle Proust, La nature de la volonté

(Article paru en 4 parties entre le 17 et le 21 janvier 2013)