24 sept. 2009

DIFFICILE DE COMPRENDRE POURQUOI ON COMPREND

La compréhension émerge

http://www.cyrilalmeras.com/photos/maternite/femme-enceinte.html
Il y a quelques jours, j'écoutais distraitement Europe 1. J'ai souvent la radio qui fonctionne en arrière-plan. Mon oreille « mentale » fut arrêtée par le propos suivant (comme je le cite de mémoire, ce ne sont pas les mots exacts, mais l'idée était bien celle-là) : « Avec un temps de grossesse de neuf mois, comment les hommes et les femmes auraient-ils pu aux temps préhistoriques relier le fait de faire l'amour un jour J avec la naissance neuf mois plus tard ? Le test de grossesse n'existait pas ! Pour eux, cela devait rester mystérieux. Il s'écoule en effet plusieurs semaines avant qu'une femme puisse réellement voir qu'elle est enceinte.»

Amusant non, cette question : comment avons-nous pu comprendre que les enfants naissaient parce que nous avions fait l'amour. C'est évident pour nous aujourd'hui, du moins pour les adultes, mais cela n'a rien d'évident. Mettez-vous un instant dans la peau d'un homme ou d'une femme au temps de la préhistoire : vous faites l'amour avec un ou une partenaire. Puis vous vaquez à vos occupations quotidiennes : un peu de chasse, un peu de bois pour le feu, quelques silex à tailler, une ou deux peintures rupestres. Les jours passent. Un jour, disons deux mois plus tard, vous voyez votre ventre ou celui de votre partenaire grossir. Et là, vous allez vous dire : « Mince, je n'aurai pas dû faire l'amour, il y a deux mois. Cela va faire encore une bouche de plus à nourrir. » ? Vraiment ? Pourtant cela est arrivé : un jour, un homme ou une femme a fait le lien. Comment ? Mystère de la compréhension. Notre corps sait-il pour nous ? Y a-t-il transfert d'informations entre lui et le cerveau, cerveau qui n'est finalement qu'un morceau de ce corps ?

Impossible de parler de langage et de compréhension, sans donner, ne serait-ce qu'un instant la parole à Ludwig Wittgenstein, philosophe clé du début du siècle précédent : « La vache mâche du fourrage, et sa bouse sert ensuite d'engrais à la rose, donc la rose a des dents dans la gueule de l'animal. Il ne serait pas absurde de le dire, car on ne sait pas de prime abord où chercher les dents de la rose. » (Recherches Philosophiques 1953 - Gallimard 2004 p.311). J'aime particulièrement cette « démonstration » qui montre que l'on peut être un philosophe majeur, tout en étant accessible et en ayant de l'humour, et surtout qui est un exemple de raisonnement déviant.

Et pourtant, le raccourci est vrai : puisque la rose s'est nourrie grâce au fourrage, c'est bien qu'elle doit avoir des dents cachées, non ? Aucun d'entre nous ne ferait naturellement cette erreur de compréhension.

Autre exemple, toujours tiré de Wittgenstein (ibid p.61) : « Suppose qu'au lieu de dire à quelqu'un : "Apporte-moi le balai !", tu lui dises : "Apporte-moi le manche du balai avec la brosse qui y est fixée !". La réponse n'est-elle pas : "C'est le balai que tu veux ? Pourquoi donc t'exprimes-tu si bizarrement ?" Comprendra-t-il mieux la phrase sous la forme plus analysée ? »

En un résumé brutal : comprendre les mécanismes sur lesquels repose la compréhension est un art difficile !

Que peut-on en dire ?

Que la compréhension est un processus émergent. Elle est produite par le télescopage d'informations complémentaires et éventuellement simultanées. Notre perception est le résultat de processus de comparaison coopérative, faisant intervenir la forme, la couleur, la taille, la consistance, le mouvement, l'orientation, etc. (voir notamment L'inscription corporelle de l'esprit de Francisco Varela, 1993, p.212 à 232).

(à suivre)

2 commentaires:

DMF49 a dit…

Peut-on penser que l'être humain 'sait' comprendre, comme l'oiseau 'sait' voler ou le poisson 'sait' nager ? S'agit d'une sorte de 'ROM' implantée en chacun de nous, à charge ensuite de la faire fonctionner...
Dominique

Robert Branche a dit…

D'une certaine façon, oui, car l'oiseau n'a pas à apprendre à voler, simplement à le pratiquer. Il en est de même pour la pensée humaine : nous comprenons "naturellement" et nous devons apprendre à nous en servir.
Par contre, la compréhension est un processus beaucoup plus complexe à cerner. Autant nous pouvons progressivement modéliser comment un oiseau peut voler, autant la compréhension de la compréhension restera durablement inaccessible, ne serait-ce qu'à cause de la réflexivité (comment penser soi-même sur ce que l'on pense sans biais ?)