Histoire de caverne (Saison 3 – Épisode 2)
Grâce à Paulo, nous avions su que dans six mois, tous nos problèmes seraient résolus. Nous étions rassurés.
Trois mois s'étaient écoulés depuis et la situation ne s'arrangeait pas, loin de là.
A notre grande surprise, le mois dernier, un nouveau chariot était arrivé rempli de produits dont certains venaient vraiment simplifier la vie des femmes dans les cavernes : un liquide qui semblait brûler sans fin et apportait de la lumière dans les recoins cachés, des silex si tranchants que l'on pouvait découper des tranches incroyablement fines (en prime avec un silex, on avait même une recette originale appelée carpaccio de mammouth), des mini-chariots pour les enfants.
Ce dernier produit avait d'abord déclenché une vaste polémique, car, enfin, les enfants étaient là pour travailler, et non pas pour perdre leur temps à pousser des mini-chariots. Alors, Jordana et Isabella – avec le nouveau chariot, Isabella est venue rejoindre Jordana – s'étaient lancées dans une grande campagne d'explication sur l'importance du jeu et de l'éducation. Elles avaient réussi à réunir les quelques femmes influentes – même la femme de Jojo était venue… – et à les convaincre que les enfants n'étaient pas des bêtes de somme, mais le capital humain pour le futur.
Johnny avait vu rouge, vexé de voir sa suprématie d'inventeur en chef, ainsi bafoué. Il s'était enfermé dans son atelier avec toute son équipe (il avait maintenant une caverne dédiée à l'innovation avec quatre assistants). Quinze jours plus tard, il en était sorti le sourire aux lèvres :
« Leur liquide magique est démodé, j'ai trouvé mieux : voilà des bâtonnets qui peuvent brûler des heures, solution plus simple et moins chère. Leurs silex, certes, ils coupent bien la viande, mais les mains aussi : je lance le silex monté sur un morceau de bois. Meilleure prise en main et aucun risque de se couper. Pour les enfants, voilà un jeu complet qui utilise mes billes et les associe à une planche en bois : il faut viser pour mettre les billes dans les trous. »
Il avait fallu ensuite mettre en place la production en série de ces inventions, ce qui avait été plus compliqué que prévu.
Pendant ce temps, le commerce de J&I – tout le monde les appelait comme cela maintenant – s'était développé. Elle avait mis en place une série de relais, en utilisant un réseau de femmes qui organisait des ventes dans les cavernes. Ce système était très efficace et beaucoup moins onéreux que le nôtre : pour promouvoir nos produits, nous avions certes le réseau d'affichage et le journal « Ici la caverne », mais cela coutait très cher de graver toutes les pierres, sans parler de leur acheminement. De plus, la vente dans les cavernes apportait un crédit de confiance supplémentaire.
Aussi quand nous avons pu lancer nos nouveaux produits, nous avons dû faire une campagne massive de communication et baisser les prix. Résultat : oui, nous avions retrouvé les volumes, mais nous perdions de l'argent sur ces innovations. Ceci était compensé par la marge faite sur les anciens produits, mais pour combien de temps ? En effet, la part de ce fonds de catalogue baissait régulièrement, et nous étions obligés de baisser leur prix pour enrayer la baisse. Cercle vicieux infernal.
Bref, cela ne s'arrangeait pas. Or Paulo nous avait promis que tout s'arrangerait en six mois, et les six mois étaient maintenant écoulés
Il était plus que temps de réagir. Je me décidais à aller voir Paulo.
« Bravo pour tes prévisions : tout était merveilleux sur tes pierres, mais en réalité, non.
- D'abord ce ne sont pas des pierres, mais des tableurs, nuance.
- Des quoi ?
- Des tableurs : c'est ton fils Thomas qui a eu l'idée de les appeler ainsi. Il trouve que cela ressemble à des petites tables et que le fait de les appeler ainsi fait plus professionnel. Donc ce sont des tableurs, et plus des pierres.
- Peut-être mais cela ne change rien au fait que tu nous as tous trompés : les six mois se sont écoulés et rien ne s'est arrangé.
- Ce n'est pas de ma faute. Mes calculs étaient justes, mais il s'est passé quelque chose qui n'était pas prévu : je ne pouvais pas savoir qu'un nouveau chariot avec ces produits innovants allaient arriver. En plus, le chariot leur a aussi permis de mieux fournir le marché en augmentant leur stock. Enfin, elles ont créé ce réseau de ventes directes en caverne. Vraiment, je n'y suis pour rien. Mes prévisions étaient justes.
- Comment peux-tu affirmer qu'elles étaient justes, alors que ce qui s'est passé n'est pas ce que tu avais prévu ?
- Mais tu fais exprès de ne pas comprendre, je viens de t'expliquer que ce ne sont pas mes prévisions qui étaient fausses, mais ce sont ces maudites femmes qui se sont permis de faire autre chose. Je ne pouvais quand même pas deviner qu'elles seraient déloyales à ce point ! »
Je le regardais interloqué. Quel aplomb ! Inutile de continuer à discuter avec lui, cela ne servait à rien. Il valait mieux que je parle avec mon fils Thomas qui travaillait à temps plein avec lui.
« Alors, Thomas, qu'est-ce que c'est que ces tableurs ? Je crois qu'il vaudrait mieux dire que toi et Paulo vous êtes incapable de prévoir le futur, ce serait plus honnête, non ?
- Comme tu veux, papa. Mais ce serait dommage juste au moment où je viens de trouver pourquoi nous avions fait une erreur et où je m'apprêtais à t'expliquer comment tu allais pouvoir réussir. Voilà devant toi la nouvelle génération de tableur : le méta-tableur qui intègre tout ce que l'on ne peut pas prévoir. Révolutionnaire. »
Je le regardais, à la fois fier et rassuré…
(à suivre)
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