Le management « par les mers » pour allier sens collectif et liberté individuelle
Depuis longtemps, et encore souvent aujourd'hui, on associe le bon dirigeant au premier de cordée. Celui qui sait emmener ses équipes vers des sommets de plus en plus hauts, de plus en plus difficiles. La vie est un combat qu'il faut délivrer chaque jour, une série d'épreuves. La récompense est dans le but, dans le fait d'arriver un jour au sommet. Le présent est dur, mais cela n'a pas d'importance, il n'est qu'un point de passage obligé.
A l'opposé, face à l'effondrement des repères, à la multiplicité des risques, à l'incapacité de diriger depuis la tête une entreprise, on en vient à penser que le bon dirigeant n'est qu'un animateur, celui qui va faciliter les choses, aider chacun à se révéler, laisser faire les courants naturels. La vie est un flux dont il faut suivre, en opportuniste, les aléas. La récompense est dans le présent, dans le fait de pouvoir saisir le bon mouvement. Le but n'a pas d'importance, il n'est seulement qu'un résultat.
Mon propos, tout au long de mon livre « Les mers de l'incertitude », est de montrer que je crois à une voie dialogique, c'est-à-dire comprenant les deux :
- Le dirigeant s'assure qu'un cap est fixé, ce qui va focaliser les initiatives individuelles, et donner un sens aux actions quotidiennes. C'est aussi ce qui va apporter une visibilité aux actionnaires et à ceux qui investissent dans l'entreprise. Comme tout est dans le brouillard, ce n'est pas un sommet qu'il vise, mais une mer, c'est-à-dire ce qui attire les courants et constitue ainsi un point de stabilité.
- Le dirigeant sait qu'il est illusoire et dangereux de planifier précisément comment rejoindre cette mer, que le pire peut survenir à tout moment, et que le succès ne dépendra que bien peu de lui, mais pour l'essentiel de la résultante des initiatives locales. Pour cela, il va maintenir du flou, promouvoir la confrontation et développer une écologie de l'action.
Cette approche dialogique est celle de « Diriger en lâchant prise » : diriger en choisissant la mer et en s'assurant que les conditions sont réunies pour l'atteindre ; lâcher prise en laissant chacun agir et en profitant des opportunités de l'incertitude. Au tandem « direction et lâcher prise », répond celui de « mer et incertitude ». Ceci suppose que dirigeants et actionnaires sentent l'entreprise, son écosystème et ses mers. Ceci n'est possible qu'avec de la stabilité, de la permanence et de la durée.
La direction donne le sens, le lâcher prise une forme de plaisir. Je retrouve là la définition du bonheur donnée par Tal Ben-Shahar, à savoir une « sensation globale de plaisir chargé de sens ».1
Ainsi, dans l'incertitude croissante qui emporte tout, manager efficacement, c'est finalement apporter cette forme de bonheur, cet équilibre de sens et de plaisir.
En contre-point de Jean-Paul Sartre qui écrivait : « Je préfère le désespoir à l'incertitude »2, je dirais plutôt qu'il n'y a pas d'espoir sans incertitude, et qu'elle est la condition du bonheur. Plutôt rassurant, non ?
(1) Tal Ben-Shahar, professeur de bonheur à l'Université de Harvard, L'apprentissage du bonheur, p.74
(2) Le Diable et le Bon Dieu
Extrait des Mers de l'incertitude
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