Emboîtements, émergences et incertitude (3)
Donc notre monde qui dérive depuis le big-bang, sous la loi de l’entropie
et du chaos. Chaque instant qui passe, le rend plus complexe, plus
imprévisible, et multiplie les possibles.
Possible, voilà bien un autre mot qui nous hante avec celui de
désordre : le champ des possibles, le désordre du monde… Mais comme le
désordre n’est qu’une affaire de point de vue, le champ des possibles
existe-t-il vraiment, ou n’est-il qu’un mirage ?
Partons donc nous promener dans la Bibliothèque de Babel imaginée par Jorge
Borges (1). Nous avons devant nous tous les livres susceptibles
d’être écrits, dans le passé comme dans le futur. Comment se peut-il ? Simple
et lumineux : les livres qui la composent, regroupent toutes les combinaisons
imaginables entre les lettres. Prenez toutes les lettres de l’alphabet, commencez
par celle que vous voulez, choisissez en une autre, une prise au hasard, et
continuez. Vous avez cette bibliothèque, et sa quasi infinité de livres, sur
une quasi infinité d’étagères, dans une quasi infinité d’alvéoles. Les bibliothécaires
s’y promènent, prenant en main, de temps en temps, un livre et s’extasiant
quand ils tombent sur une phrase qui a un sens. Car bien sûr dans cet océan des
combinaisons, il y en a d’abord qui n’ont aucun sens.
Dans la nouvelle, l’un des bibliothécaires disserte sur l’idée qu’il pourrait
y avoir un chemin, une façon de trouver les livres comprenant au moins des
paragraphes porteurs de significations. Mais comment le savoir à l’avance ?
Comment prévoir ce qui n’est pas advenu ? Comment dans le dédale de ce qui a
été imprimé, localiser à l’avance, ce qui, une fois le livre ouvert, fera que
c’est bien un livre, et non pas seulement une collection de lettres ?
Impossible et angoissant : tout livre potentiel est bien là quelque part, mais
où ? Pourtant : « Il suffit qu’un livre
soit concevable pour qu’il existe. Ce qui est impossible est seul exclu. (…)
Cette inutile et prolixe épître que j’écris existe déjà dans l’un des trente
volumes des cinq étagères de l’un des innombrables hexagones – et sa réfutation
aussi ».
Voilà donc bien le champ des possibles : devant nous se dessine tout ce
qui est susceptible d’exister, mais nous ne savons pas où il se trouve. Et à
chaque seconde qui s’écoule rend l’Univers plus vaste, plus complexe, des
nouvelles alvéoles se construisent, des nouvelles étagères sont fixées, et de
nouveaux livres posées. Le temps joue contre la volonté de se retrouver dans ce
labyrinthe infini.
Charles Pierce au mot de possible préférait celui de priméité (2),
c’est-à-dire d’une potentialité à être. Avec justesse et précision, il
distinguait cette secondéité qui était ce qui nous était accessible,
c’est-à-dire l’événement. En effet, rien de penser que quelque chose peut
exister, c’est le faire apparaître, car nous sommes nous-mêmes incarnés, et
notre pensée n’est jamais abstraction. Nous ne pouvons pas nous extraire de
l’analyse, nous ne pouvons pas penser en dehors du monde.
Aussi près que je me trouve du big-bang, le monde des priméités est déjà
immense et s’agrandit sans cesse. Par paresse et commodité, je vais continuer à
parler de possibles, mais soyons bien clair : parler de possible, ne veut en
aucun cas dire qu’il va advenir, mais simplement que rien ne l’interdit.
Car comme Henri Bergson l’a écrit : « C’est le réel qui fait le
possible, et non pas le possible qui devient réel. » (voir mon patchwork consacré à son livre « Le possible et le réel » )
(à suivre)
1 commentaire:
Pourriez-vous écrire en noir? C'est plus ergonomique. Merci.
Enregistrer un commentaire