Les candidats à l’élection présidentielle doivent quitter
la mathématisation du monde, et rejoindre le réel s'ils veulent être crédibles
et réellement changer les choses.
Tout le discours
collectif est, sauf de rares exceptions, de nature macroéconomique : on ne
parle que taux de croissance, PIB, taux d’inflation, taux de chômage, taux de
création d’entreprises, taux de défaillance, pourcentage d’entreprises
innovantes ou exportatrices, balance des paiements…
Or ce monde
macroéconomique n’est qu’un monde fictionnel, une construction de l’esprit, une
représentation du réel, une mathématisation des relations : je n’ai jamais
croisé dans un café un taux de croissance, ni pris un verre avec un PIB, ni, au
détour d’un carrefour, risqué d’écraser un pourcentage d’innovation quelconque,
ou encore discuté avec une balance des paiements…
Le monde réel est
celui des individus, de tous les êtres vivants et inanimés, de leurs relations
et interrelations, de ces structures locales ou globales qui vont de la
fourmilière à l’entreprise en passant par tous les écosystèmes et nos villes.
Ce monde qui est
celui que nous habitons, celui qui nous rend heureux ou malheureux, autonomes
ou dépendants, épanouis ou malades, a disparu du discours politique. Il n’est
plus qu’une abstraction décrite par des chiffres, des statistiques et des
moyennes.
De temps en temps,
à l’occasion d’une crise, il émerge dans le débat public : là pour une
émeute dans une banlieue, ici pour des salariés qui refusent la destruction de
leur outil de travail, et ailleurs, ailleurs pour des familles ne pouvant plus
se loger.
Et la vie
continue... si l'on peut dire...
Mais ce construit
théorique de la macroéconomie et des sciences dites sociales est de moins en
moins représentatif de notre monde. Pour ceux qui en doutent, qu’ils se posent
une question simple : si la macroéconomie et les sciences sociales étaient
exactes, pourquoi aurions-nous des crises à répétition ? Est-ce que leur
succession sans cesse renouvelée, voire même leur amplification, ne sont pas la
meilleure démonstration de l’absurdité de cette mathématisation du monde ?
Cet envahissement
du tout économique est récent, et a pris son essor essentiellement ces
dernières années. Charles-Henri Filippi, dans son dernier livre, Les 7 péchés du capital, écrit très bien ces dangers. Il y insiste sur
le danger de la « transformation de
la rationalité » en une « aptitude
à chiffrer toute chose. (…) La rationalité moderne par la simplicité même de sa
définition, juge toutes les activités à la même aune : quel bien-être
procurent-elles ? Au prix de quels moyens ? Le fait que tout devienne
ainsi mesurable et comparable étend l’économique qui, de champ particulier des
rapports sociaux, en devient l’interprète et la seule expression possible. »
Venant d’un
banquier, encore à la tête de la filiale française d’HSBC, une des plus grandes
banques mondiales, le propos prend tout son poids…
Cette
« maladie » a envahi non seulement les structures politiques, mais
aussi bon nombre de directions générales de grandes entreprises. C’est ce que
j’ai été amené à dénoncer à de multiples reprises, et singulièrement dans mon
livre, Les mers de l’incertitude :
on ne peut pas diriger efficacement à coup de tableurs excel et de prévisions
mathématiques !
Et rien ne change,
bien au contraire. Je suis frappé comme tous les programmes et les discours des
principaux candidats à l’élection présidentielle restent à ce niveau macroéconomique.
Leur entourage n’est constitué que des théoriciens de l’entreprise et de
l’économie. Se croyant comme des grands prêtres, ils me donnent l’impression de
croire que l’on peut changer le monde par incantation (voir On ne change pas l’économie par incantation)
Parfois ces
incantations vont dans le bon sens, comme par exemple l’appel de François
Bayrou à plus de rigueur et à développer la production française, mais elles
restent toujours théoriques et bien éloignées de la réalité de la vie. Comment
concrètement François Bayrou veut-il procéder et quel lien concret avec la vie
des entreprises ?
Quand comprendront-ils
que la macroéconomie n’est ni un outil d’explication, ni un outil de pilotage,
puisque la réalité se situe ailleurs, et qu’au mieux, elle ne fait que
constater, a posteriori, les évolutions en agglomérant les données
locales ?
Quand
descendront-ils de leur piédestal pour se pencher sur des sujets concrets comme
les délais de paiement et les modalités de transfert de propriété ?
Quand
reparleront-ils du territoire réel dans lequel se déroule l’économie, de nos villes,
nos banlieues et nos campagnes ?
Le Général de
Gaulle, lors de son retour au pouvoir en 1958, ne s’était pas contenté de
discours. Il avait lancé une politique nouvelle d’aménagement du territoire. Il
avait agi concrètement et physiquement en modifiant la géographie de nos
villes. Il avait lancé des actions industrielles structurantes.
En 2012, à l’ère de
l’incertitude et de la globalisation, il serait illusoire et dangereux de
vouloir copier à l’identique ce qui avait été fait plus de cinquante plus tôt.
Notamment imaginer que c’est l’État central qui peut inventer une stratégie
industrielle est une illusion.
Mais ce sont bien
ces questions concrètes qu’il faut se poser, et auxquelles il faut apporter des
réponses contemporaines : quelle nouvelle politique d’aménagement du
territoire compte-tenu de la position de la France, de nos ressources et de la
multiplicité des acteurs ? Quel rôle concret peut-jouer un État central et
comment le mettre en œuvre ?
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