L’entreprise est une construction contingente (5)
De plus en plus de compétition pour la matière, de moins
en moins pour l’information (voir mon article précédent « La matière devient
rare, l’information surabondante »), et une entreprise et des hommes qui
sont de plus en plus hors sol, ou qui, du moins, ont une relation nouvelle et
distante avec le territoire et la géographie.
Historiquement
pourtant toutes les entreprises sont nées quelque part et sont le fruit et
l’expression de leur lieu de naissance : McDonald ou Coca-Cola n’auraient
pas pu émerger ailleurs qu’aux États-Unis, Sisheido qu’au Japon ou L’Oréal
qu’en France.
Mais depuis ces
dernières années, tout a changé sous l’effet de mutations concomitantes et
cumulatives.
Tout d’abord
l’internationalisation, puis la globalisation de leurs opérations. Il est bien
loin le temps où ces grandes entreprises avaient un état-major monoculturel et
n’était qu’une juxtaposition d’entreprises locales. Elles ont, chacune à sa
façon, entrepris un métissage qui, sans faire disparaître la réalité de leur
origine, l’enrichit des apports de chacun. Ainsi par exemple, si L’Oréal reste
différent d’un Procter & Gamble dans sa façon d’aborder un marché, de
s’organiser et de s’y développer, l’entreprise n’en est pas moins de plus en
plus chinoise en Chine, russe en Russie ou américaine aux USA… devenant par
là-même un être hybride, nouveau et complexe.
Ensuite chacun de
nous, chaque homme ou chaque femme qui participe à ces entreprises, nous avons
une relation différente avec le pays et le territoire où nous nous trouvons.
C’est ce qu’a notamment très nettement explicité Michel Serres dans ces
différents livres.
Comme il le
résumait dans une conférence tenue en janvier 2011 : « Avant, notre
adresse nous repérait dans l’espace. Aujourd’hui nos adresses sont le téléphone
portable et l’ordinateur, ce sont deux adresses qui ne sont plus repérées dans
l’espace. (…) On est dans un nouvel espace topologique où on est tous voisins.
Les nouvelles technologies n’ont pas raccourci les distances, il n’y a plus de
distance du tout. » L’essor récent des réseaux sociaux, et singulièrement
Facebook, invente de nouvelles appartenances, de nouveaux voisinages, de
nouvelles interactions.
Enfin ce brassage
des origines et des cultures n’est pas seulement organisationnel dans les
entreprises ou virtuel dans les réseaux, il est aussi de plus en plus physique
dans nos villes. Il suffit de marcher, les yeux ouverts, dans les rues de Paris
pour y constater la diversité qui y déambule. Toutes les races, toutes les
religions, toutes les cultures s’y télescopent… souvent non sans mal.
Comment dès lors
l’entreprise, qui est avant tout l’expression d’un mode d’organisation
collective des hommes, ne s’en trouverait pas changée… et en profondeur ?
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