10 sept. 2012

COMMENT TRAVAILLER ENSEMBLE SANS POUVOIR SE COMPRENDRE ?

Personne ne voit, n’entend, ni ne dit la même chose (Neurosciences 25)
Nous ne voyons donc pas ce que regardent nos yeux, mais ce que notre cerveau en a pensé. Toute vision est une déconstruction des informations acquises par nos cellules oculaires, et une reconstruction mentale enrichie de significations, significations qui sont la résultante de ce qui est vu en ce moment, et de l’application de toute notre connaissance, innée et acquise, consciente et inconsciente.
Il en est évidemment de même dans la vie quotidienne d’une entreprise, et dans tous les échanges quotidiens qui la cimentent et la font vivre : il nous est impossible d’échanger des faits bruts, car nous n’avons jamais accès à eux. Quelles que que soient les situations, ce sont toujours des informations enrichies que nous communiquons :
-        enrichies, parce qu’extraites de leur contexte plus général, et toute extraction est l’expression d’un point de vue et d’un choix,
-       enrichies, parce que présentées dans un certain ordre, d’une certaine façon, et toute structure de présentation induit chez celui qui l’écoute un mode de raisonnement, et des inférences variables (voir Nous sommes très sensibles à l’énoncé du problème paru le 5 septembre dernier)
-        enrichies, parce que exprimées selon des modalités émotionnelles implicites ou explicites, et, sous l’effet de nos neurones miroirs, nous sommes susceptibles de percevoir au-delà des mots et d’entrer en une sorte de « communion » entre nous (1),
Comme pour la vue, cet enrichissement est largement inconscient et mobilise toute l’expérience de celui ou ceux qui présentent.
Et il en est de même pour ceux qui écoutent : ils enrichissent constamment ce qui leur est dit, en triant, créant des liens, rappelant des souvenirs, faisant des inférences. Notre ouïe n’est pas plus « naturelle » que notre vision : nous n’écoutons pas non plus ce que nous entendons…
Dans mes deux premiers livres, j’avais déjà attiré l’attention sur la difficulté de la communication, ce compte-tenu de la nécessaire médiation par les mots et les langages, mots et langages qui sont toujours personnels et sont le fruit de l’histoire de chacun (2).
Mais cette fois la difficulté est encore d’un autre ordre, puisqu’elle porte sur la nature même de notre cerveau : nous sommes structurellement incapables de voir la même chose et de comprendre la même chose.
Autant le savoir, non ?
C’est en effet à cette condition que la communication peut devenir possible, parce que l’on en connaît les limites et la relativité.
Ceci milite aussi encore davantage sur le développement de la confrontation, qui, seule, peut nous permettre de nous ajuster entre nous. Plus la situation est complexe, plus elle est nouvelle, plus elle est incertaine, et plus la confrontation est nécessaire.
Et en reprenant le suivi du cours de Stanislas Dehaene, nous allons voir que la confrontation, par sa capacité à promouvoir des échanges riches portant sur le niveau de confiance que chacun porte à ses affirmations, est source de progrès et de plus grande efficacité collective.
(à suivre)
(1) Voir Les Neurones Miroirs de Giacomo Rizzolatti et Corrado Sinigaglia :  « Nos comportements sociaux dépendent en grande partie de notre capacité de comprendre ce que les autres ont en tête et de nous adapter en conséquence… « tout se passe comme si l’intention d’autrui habitait mon corps ou comme si mes intentions habitaient le sien (Merleau-Ponty) » (…) L’événement moteur observé comporte une implication de l’observateur à la première personne, qui lui permet d’en avoir une expérience immédiate comme s’il exécutait lui-même et d’en saisir ainsi d’emblée la signification. (…) L’activation des aires sensorielles qui en résulte, analogue à celle qui se produit lorsque l’observateur exprime spontanément cette émotion (« comme si »), serait à la base de la compréhension des réactions émotionnelles d’autrui. (…) La compréhension immédiate, à la première personne, des émotions d’autrui, que le mécanisme des neurones miroirs rend possible, représente la condition nécessaire de ce comportement empathique qui sous-tend une large part de nos relations interindividuelles. »

Aucun commentaire: