Promenade en terres indiennes (2)
« Elle se rappelait l’émotion
qu’elle avait vécue, il y a quelques années, lors de sa découverte des temples
d’Angkor
Classiquement, les visiteurs avaient la vision
des murs mangés par les arbres. Elle, à l’inverse, y avait eu celle d’une
érection, d’une construction. Elle avait senti l’énergie vitale de la nature en
train de fouiller les tréfonds du sol pour en extraire la bonne pierre ; elle
avait regardé les racines l’enserrer pour la polir, l’amener à prendre la forme
exacte, celle qui s’emboîterait sur ce qui avait déjà été érigé ; puis elle les
avaient accompagnées quand elles la tiraient doucement jusqu’à la surface.
Alors, les branches de l’arbre avaient pris le relais, et hissé la pierre
jusqu’à la bonne place, celle qui lui avait été réservée, celle pour laquelle
elle avait été taillée. Non, les arbres ne détruisaient pas les temples, car
ceux-ci n’avaient jamais existé dans le passé. Ils étaient en cours
d’élaboration. Le végétal venait au secours des hommes pour manifester à la
face des Dieux, un nouveau cri de respect.
Eva vivait intensément la résonance entre Angkor
et Hampi. Ici aussi, les pierres n’attendaient qu’à être saisies et taillées
pour venir compléter ce qui était déjà en place. La brutalité du paysage
naturel n’était qu’un chantier en plein air, une immense zone de stockage dans
laquelle il fallait venir piocher la bonne ressource.
(…)
Elle se prit à imaginer des créatures
gigantesques et disparues qui se seraient jouées de la pesanteur des roches.
Pour elles, elles n’auraient été que des fétus de paille, et un souffle de leur
part les aurait faites rouler. Ces géants sillonnaient la Terre à la recherche
de tâches à la hauteur de leur talent : ils érigeaient les statues de l’Île de
Pâques, aidaient à la construction des pyramides, faisaient une pause au Japon
pour s’initier à l’art du zen, et mettaient en œuvre, ici à Hampi, leur nouveau
savoir-faire en dessinant le plus grand jardin du monde. »
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