Pour avoir une chance de sentir ce qui se passe ou ce qui risque de se
passer, il nous faut désapprendre ce qui s’est passé, et voir le monde non plus
seulement depuis l’endroit où nous nous trouvons (2)
Personnellement,
je me déplace physiquement pour prendre du recul et de la distance. Voyages
multiples, et alternance entre Paris et ma maison en Drôme provençale. Quand je
pose des pierres pour construire un mur en pierres sèches, quand je retourne la
terre pour aider un jeune chêne à émerger du chiendent, quand je tronçonne des
arbres pour dessiner un chemin dans le bois, mon esprit flotte sans but, sans
aspérités, sans raison. Je regarde celui que je suis à Paris, je repense à un
dossier en cours, je vois se dessiner avec un relief différent les situations.
J’ai tourné un peu dans mon planisphère personnel et les perspectives sont
changées.
Si nous
ne faisons pas ces efforts de décentrage, de remise à distance, nous risquons
de nous retrouver prisonnier de nos habitudes, de notre vision du monde.
Posons-nous la question suivante : dans nos activités quotidiennes,
professionnelles comme privées, est-ce que nous analysons toujours une
situation telle qu’elle est avec ses nouvelles potentialités, ou est-ce que
nous la lisons au travers de notre prisme et cherchons à retrouver en elle ce
que nous avons déjà rencontré et vécu ?
Pour
une entreprise, plus son histoire est longue et riche, plus elle aura tendance
à lire les situations au travers de ce prisme. Plus les managers seront
expérimentés, plus ils auront tendance à rechercher dans le présent ce qu’ils
ont déjà vécu et plus ils risqueront de jeter l’eau chaude.
Faire
le vide, sortir de ses habitudes, oublier ce que l’on sait un moment pour ne
pas penser à partir de soi. Si l’entreprise ne le fait pas, si elle reste
centrée sur sa propre vision, si elle ne se méfie pas de ce prisme déformateur,
elle peut manquer des évolutions majeures et même se trouver menacée. Plus
l’incertitude se développe, plus ce risque est grand.
Attention
aussi aux dirigeants qui se laissent enfermer dans leurs habitudes, ne
fréquentent que les mêmes restaurants ou les mêmes cercles, ne rencontrent plus
que les mêmes personnes. Ils vont se déconnecter du réel et auront de moins en
moins la possibilité de vérifier la pertinence de leurs interprétations et de
comprendre le monde dans lequel s’inscrivent leurs actions. Certes on peut
faire des affaires sur les parcours de golf, mais on peut aussi s’y couper du
monde.
(Extrait
du livre "Les Mers de l'incertitude")
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