Diriger en lâchant prise (BEST OF - paru les 30 et 31 octobre, 5 et 6 novembre 2012)
Vent, tigre et incertitude
Au cœur de la jungle, survient un bruit dans les feuilles. Un de nos lointains ancêtres pense que c’est un tigre et grimpe au sommet de l’arbre voisin. De là, il constate que ce n’était que l’effet du vent : il sourit de son erreur, et en est pour une belle peur… mais, s’il avait pris le bruit d’un tigre pour celui du vent, ni vous, ni moi ne serions là.
Au cœur de la jungle, survient un bruit dans les feuilles. Un de nos lointains ancêtres pense que c’est un tigre et grimpe au sommet de l’arbre voisin. De là, il constate que ce n’était que l’effet du vent : il sourit de son erreur, et en est pour une belle peur… mais, s’il avait pris le bruit d’un tigre pour celui du vent, ni vous, ni moi ne serions là.
Assis à votre bureau, vous êtes entouré de bruits : le journal parle d’une reprise qui n’arrive pas, le chiffre d’affaires n’atteint pas ce qui avait été prévu, le lancement du nouveau produit a pris trois mois de retard, ce que prépare le concurrent reste inconnu… Mu par des pulsions venues de la jungle, certain qu’il y a un tigre derrière tout ce bruit, vous stoppez les investissements, renforcez les contrôles et déclenchez un plan de survie.
Ah, si seulement le monde était sécurisant comme celui des livres de cuisine, avec la liste des ingrédients et le bon mode opératoire, il serait facile d’obtenir le résultat conforme à la photographie affichée !
Pourtant, l’incertitude est-elle une si mauvaise nouvelle ? Imaginez un monde prévisible : quelle y serait la place laissée à l’intelligence, au professionnalisme et à la créativité ? Comment une entreprise pourrait-elle s’y différencier des autres, et créer de la valeur, puisque progressivement, toutes feraient progressivement la même chose ? Et à quoi bon avoir une équipe de direction quand un programme informatique suffirait…
Penser à partir du futur : chercher la mer qui attire le cours du fleuve
Depuis le pont Mirabeau, essayez donc de savoir où va la Seine. Difficile de trouver la bonne réponse non ? Aussi, descendez et suivez son cours. Rapidement puisqu’au gré de ses méandres, elle va sans cesse de droite à gauche, vous conclurez qu’elle ne sait pas où elle va.
Depuis le pont Mirabeau, essayez donc de savoir où va la Seine. Difficile de trouver la bonne réponse non ? Aussi, descendez et suivez son cours. Rapidement puisqu’au gré de ses méandres, elle va sans cesse de droite à gauche, vous conclurez qu’elle ne sait pas où elle va.
Pourtant, quoi qu’il arrive, la Seine va bien toujours au même endroit !
Dès lors, comment faire pour voir où elle se dirige ?
Prenez plutôt le temps de comprendre qu’elle est un fleuve, ne regardez pas ce qu’elle fait, et cherchez la mer, ce futur qui l’attire.
Quand un dirigeant construit sa stratégie à partir de l’observation de ce qui s’est passé et se passe, il tombe dans la même erreur : il veut deviner où va la Seine depuis le pont Mirabeau.
Voilà un des grands paradoxes du monde de l’incertitude : il faut réfléchir à partir du futur, et non pas à partir du présent.
Elle est donc le meilleur garant de la performance future… à condition de ne pas céder à nos peurs ancestrales, et à ne pas lutter contre elle : apprenons à agir dans l’incertitude et à diriger en lâchant prise. Certes, mais comment ?
Trois tentations à éviter
1. L’expertise : Toute expertise conduit implicitement à construire une vision du monde fondée sur le passé. Difficile avec les yeux de l’expert, de repérer ce qui est nouveau et en rupture. Il ne s’agit pas de se priver de l’expertise, mais de veiller à la mobiliser non pas a priori, mais a posteriori.
2. La mathématisation : La réponse à la montée de l’incertitude n’est pas dans la sophistication des modèles et dans la multiplication des tableurs excel. Il n’est pas non plus pertinent de croire que l’on va pouvoir appliquer des règles de trois sur les comportements humains : ce n’est pas en multipliant par deux la taille d’une équipe qu’elle ira deux fois plus vite… La complexité doit être acceptée.
3. L’anorexie : La recherche de la productivité à tout prix conduit à ajuster l’entreprise à la vision que l’on a actuellement de la situation. On la rend ainsi cassante, et incapable de faire face aux aléas. Il faut préserver une part de flou, c’est-à-dire de ressources non affectées et disponibles.
Trois modes d'action à privilégier
1. Rechercher la facilité : Nous sommes naturellement poussés à faire l’éloge de la sueur et de la difficulté. Mais parce qu’on ne peut pas lutter longtemps contre le cours des choses, et que le pire ne peut jamais être exclus, si l’on n’agit pas initialement dans la facilité, c’est-à-dire en s’appuyant sur ce que l’on sait faire, on n’ira pas au bout du marathon.
2. Ajuster la vitesse à ce que l’on fait : S’il suffisait de courir pour être efficace, comme chacun se précipite de partout, toutes les entreprises le seraient ! Ainsi que l’a écrit Jean-Louis Servan-Schreiber, « Nous travaillons sans recul. Pour un canon, c’est un progrès. Pas pour un cerveau ». Que faire ? Adapter son rythme à ce que l’on fait, et ne pas oublier que l’on ne peut pas penser vite à long terme.
3. Être un paranoïaque optimiste : Dans le monde de l’incertitude, il est impossible de probabiliser le futur. Ce qu’il faut, c’est identifier les scénarios les plus dangereux par leurs conséquences (1), s’y préparer, et faire tout pour qu’ils ne se produisent pas.
(1) Voir Le Cygne Noir de Nassim Taleb
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