Vers un monde de la compétition et du jeu ? (Démocratie 5)
Dans ce monde de la singularité, Pierre Rosanvallon évoque trois croyances clés :
- Le mérite : « J’ai gagné, mais je le méritais ». Les différences sont justifiées au nom d’un écart objectif. Mais comment peut-on le mesurer ? Ce n’est facile à définir que négativement.
- Le hasard : « J’ai gagné, parce que j’ai eu de la chance. ». Les différences sont justifiées au nom de la chance et du hasard.
- La responsabilité : « J’ai gagné, mais je vais aider les autres. ». Les différences sont explicables, mais doivent être compensées. Elle revient en ce moment et fait le rapport entre action et volonté. Elle se traduit par le besoin de réparation d’un nombre croissant de sinistres et d’indemnisation.
Pour aller plus en avant, Pierre Rosanvallon évoque alors Roger Caillois qui classe les jeux en quatre catégories1 :
- La compétition : le sport, les examens,
- L’aléa ou la chance : les loteries, la spéculation boursière,
- Le simulacre : le spectacle, le carnaval, le cinéma, la reconstruction de la réalité,
- Le vertige : la griserie, le test de ses limites, l’alpinisme, la vitesse, la drogue
Le monde du simulacre est celui des artistes. Ce sont des êtres singuliers, intrinsèquement liés à la singularité. Ils ont tous les autres comme public, et ont l’écho de tous. Les inégalités sont spectaculaires (les écarts de revenus), mais elles sont acceptées, car il y a une légitimation particulière, et une concurrence par l’originalité : on peut mépriser ceux qui vendent beaucoup de livres, on peut être reconnu en n’étant apprécié que par un. On a alors le sentiment d’appartenir à une aristocratie, et si le succès est incertain, il peut dépendre à la fois du mérite et de la chance.
Le monde du vertige n’est pas celui du social, il est juste celui des extrêmes, de ceux qui sont à la marge du monde.
Restent donc les deux premiers qui sont essentiels dans les sociétés modernes, et sont de plus en plus liés : on parie sur le sport. La compétition sportive qui est récente, représente la concurrence salutaire, l’apprentissage du « struggle for life », le respect du gagnant et du perdant, la justification des inégalités. Dans la compétition, comme dans l’aléa, ce sont les règles qui ont importantes pour l’égalité des chances. Apparaissent aussi les courses à handicap.
Faut-il alors aller vers une société de concurrence généralisée, en faisant de l’idée de compétition la forme sociale généralisée, ou vers une égalité radicale des chances avec la constitution d’un anti-hasard, avec des individus débarrassés de leurs conditionnements sociaux ?
(Article paru le 2 octobre 2012)
(1) Voir son livre « Les jeux et les Hommes »
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