29 mars 2013

À HAMPI, ON ARRACHE LA VIE POUR RETROUVER UN PASSÉ DISPARU

Promenade en terres indiennes (7)
Voilà près d’une heure qu’ils regardaient fascinés la démolition en cours. Sous les coups répétés des bulldozers, les murs s’effondraient. De nouvelles perspectives se dégageaient, des colonnades anciennes réapparaissaient, le vieux bazar renaissait de la destruction du nouveau. Hampi remontait le temps. On enlevait méthodiquement les peaux successivement accumulées pendant plus de cinq siècles. Comme un oignon, on le pelait. A la différence essentielle, que les peaux desséchées étaient à l’intérieur, et que c’était la vie qui était retirée. Petit à petit, la mort apparaissait. Les briques s’effondraient, les fresques étaient arrachées, le sang refluait. In fine, ne restait plus que l’ossature du bazar depuis longtemps disparue. Des colonnes brutes, des dalles à vif, des restes de sculptures. Ils voyaient le travail de dizaines de générations être ôté sans considération.
Année après année, décennie après décennie, siècle après siècle, la sueur des marchands avait fait vivre le village et le marché. Certes, on était loin de la splendeur des années quinze-cents, mais ils s’étaient tenus droit : contre toutes les adversités, malgré l’effondrement de leur royaume, en butte à tous les conquérants, ils avaient fait front et maintenu debout la vie et le commerce. Avec honneur et détermination. Tout au long des années, Hampi avait fait de la résistance : le bazar en était resté un. Chaque matin, il riait des cris des marchands, il hurlait des enfants tentant d’arrêter les chalands, il vibrait de marchandages infinis. Tel coin était connu pour ses épices, tel autre pour ses tissus. Les étalages de légumes et fruits rivalisaient entre eux. Le regard ne savait pas sur quoi se poser.
C’était cette histoire et cette lutte qui se trouvaient balayés d’un revers de bulldozer. Chacune des maisons détruites étaient imprégnées d’une sueur légitime, aujourd’hui bafouée et méprisée. Chaque mur abattu était un membre arraché. Chaque colonnade retrouvée l’était au prix du sang et du meurtre.
Demain qu’allait-il en rester ? Une galerie froide et esthétique mimant un passé révolu. Des allées redevenues anciennes et à ce titre perçues comme authentiques, réservées à des touristes en mal de photographies. Une beauté théorique, probablement sublime, mais glaciale comme les couloirs d’un musée.
Les habitants regardaient, figés, leur vie disparaître. Pour eux, ce n’était pas leur passé que l’on retrouvait, c’était leur présent et leurs racines que l’on détruisait. Ils n’avaient cure de voir revenir les fantômes d’ancêtres trop lointains pour être aimés et connus. Non, le retour au bazar des origines ne signifiait rien pour eux, à part peine et douleur.

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