Que vient-elle regarder ? Comment pourrait-elle me comprendre, ou même simplement m’effleurer, elle qui n’est que la trace de celui que je fus ?
Comment ont-ils pu faire de moi cette masse dorée qui se répand dans un temple de Bangkok ? Comment peuvent-ils imaginer se rapprocher de mes enseignements, au sein de ces palais luxueux ?
Je sens profondément encore ce jour lointain, où enfin, après tant de tentatives infructueuses, après un long cheminement m’amenant à découvrir le néant, à associer perception et non-perception, j’ai pu m’abstraire de la souffrance et des apparences.
Et je me retrouve engoncé d’or. Quelle dérision !
Heureusement, il est des terres où je me sens moins absurde, où le calme qui m’entoure et la dévotion de ceux qui me contemplent, sont plus en harmonie avec l’essence de mon témoignage.
Dans les terres du Nord, pour ceux qui se laissent perdre dans les montagnes, au-delà des jardins de Doi Tung, pour ceux qui savent que la longueur de la route, la rudesse de la déclivité, et la multitude des marches sont autant de prémisses aux vraies rencontres, ils me trouveront, assis.
Seuls des draps me recouvrent. Comme pour mieux montrer la vacuité de mon apparence, en arrière-plan, se dresse un tissu de plastiques. Quelques statuettes ont été posées à mes pieds, je ne les vois pas, mais je sais leur présence.
L’humidité est partout, saturant l’air. A quelques mètres, une jungle de bambous peuple les collines. L’eau ruisselle autour de moi et en moi, me lavant quotidiennement des pensées inutiles.
Parfois l’un de vous s’arrête, de temps en temps un touriste perdu, mais le plus souvent, un des prêtres qui officient ici. Je connais le glissement de chacun de leur pas, le souffle de chacune de leurs exhalaisons, le silence de leurs prières muettes.
Et je me dissous. Quel bonheur !
J’aime ces mikados géants que l’on dresse à mon intention, prières de bois, partant du sol et s’appuyant sur les branches de mon voisin végétal. Béquilles inclinées, elles évoquent le parcours des âmes vers le ciel. Elles sont aussi de nouvelles racines aériennes pour la frondaison de l’arbre.
La nuit, quand le lieu m’est seul réservé, quand les hommes sont partis dans les torpeurs de leurs rêves, je joue avec ce mikado. Doucement, je déplace une tige, en faisant attention, de n’en effleurer aucune autre.
A quelle fin, me direz-vous ? Mais pour jouer, simplement pour jouer. Qui a dit que moi, Bouddha, j’avais perdu les plaisirs de mon enfance ? Au contraire, avoir abandonné l’illusion du monde m’a rapproché de la spontanéité de mes débuts.
Et à l’instar de mon frère crucifié sur une colline de Palestine, je laisse venir en moi l’enfant du Dieu que je suis devenu…
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