Sur le sable de Puri (2010) (1)
Abandonnez donc Calcutta avec son effervescence et son bruit, glissez-vous le temps d’une nuit dans les draps incertains d’une couchette d’un train indien, et partez plus au Sud, un peu plus, pour Puri, petite ville de bord de mer.
Laissez-vous bercer par le déhanchement des wagons, et vous devriez arriver à dormir… un peu. N’oubliez quand même pas de vous réveiller à temps pour ne pas manquer la gare de votre destination. Extirpez le bagage que vous aviez caché sous votre siège, hélez un de ces deux-roues improbables qui pullulent tout autour et laissez-vous emmener jusqu’au bord de mer. Marchez alors à la recherche d’un endroit où vous arrêtez…
En ce mois d’août 2010, c’est ainsi que j’échoue dans une immense chambre d’un hôtel bon marché, habillée de la vue panoramique sur la mer, la plage et le spectacle quotidien qui l’anime sans cesse.
Tout bon spectacle se doit d’avoir un maître de cérémonie. Ici c’est un life guard qui trône sur une pyramide de chaises en plastique. Il toise les passants, à défaut de surveiller vraiment ce que se passe. Qui pourrait le rendre responsable d’une quelconque catastrophe, et qui aurait l’idée absurde de venir mettre en ses mains sa survie personnelle ?
De toutes façons, il a sa troupe et, comme tout bon souverain, n’a pas à travailler lui-même. Un peu plus loin en effet, je vois deux autres life guards qui sont, eux, en pleine action, c’est-à-dire debout et équipés d’une bouée… au cas où. Savent-ils nager ? J’en doute un peu…
Quoi qu’il en soit, ils n’ont pas grand chose à faire, à part, tels des Pierrot des sables, de marcher sur la plage. En effet il ne viendrait pas à l’esprit d’un des nombreux indiens présents de s’aventurer dans l’eau. Les plus kamikazes marchent jusqu’à l’avoir à hauteur du genou. Immédiatement, conscients du risque insensé qu’ils viennent de prendre, ils rebroussent chemin en riant. Un peu plus tard, ils me regarderont, effarés, nager dans les vagues…
Les seuls à aller affronter Neptune sont les pêcheurs. C’est un autre monde, une autre plage, située à une centaine de mètres sur la gauche de la précédente. Eux n’ont peur de rien, et même quand les vagues devraient les amener à rester à terre, ils partent sur leurs quilles de bois. Pas d’autre choix. Sinon comment faire vivre leur famille ?
Le plus périlleux n’est pas le départ, mais le retour. A l’aller, ils arrivent sans trop de difficultés à partir perpendiculairement au rouleau marin. Mais quand la barque est lestée de poissons, quand le vent s’en mêle et que la mer se creuse, revenir sans chavirer est une gageure. Il suffit de partir un peu de côté, pour ne plus pouvoir la redresser, et rapidement être retourné.
Comme ils savent que ce renversement est plus que probable, tout est attaché, et si possible mis sous un filet. Ainsi seuls les hommes se trouveront à l’eau.
N’imaginez pas alors que l’un des life guards viendra à leur secours. Non, eux ne s’intéressent qu’aux baigneurs, ces indiens privilégiés qui ne sont là que pour un bain de pied festif. Les pêcheurs, ce n’est pas leur affaire.
Le logique des castes et des classes s’incarne tous les jours dans le sable de Puri.
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