Kery James, le poète de la Deuxième France
Kery James vient de sortir un nouvel album, Dernier MC. Nouvel opus d’un des chanteurs français les plus essentiels pour quiconque s’intéresse à ce qui se passe dans cette deuxième France, celle qui peuple nos banlieues et qui est absente des medias et des discours officiels (1).
Cet album est sorti le jour de mon anniversaire, cadeau inattendu et involontaire. Une nouvelle ballade où les mots s’entrechoquent et dessinent sans concession une toile qui cherche, comme à son habitude, à tisser des liens entre ceux qui s’ignorent et s’opposent.
Voilà un patchwork tiré de sa chanson, Constat Amer (voir la vidéo ci-dessous)
« J'ai bien peur que ce « nous » ne soit qu'illusoire, tous adeptes du chacun pour soi. Personne ne nous respecte et je crois savoir pourquoi : on est avares et divisés, on se fait avoir, on ne forme même pas une communauté. (…)
On sera toujours des mendiants aux portes de leur monde tant qu'on croira que le respect se quémande. Le respect s'impose et la lutte est économique. (…)
On ne fait peur à personne, on est la risée de tous, et nos émeutes se déroulent loin de l'Élysée. À part brûler quelques voitures, de pauvres gens comme nous et saboter nos propres structures. Où est notre Révolution, où est notre évolution. (…)
Alors toi, explique-moi pourquoi y'a pas plus divisés. On se plaint du racisme mais ne l'est-on pas nous-mêmes ? C'est eux contre nous, mais surtout nous contre nous-mêmes, les Algériens contre les Marocains, les Marocains contre les Tunisiens, les Antillais contre les Maghrébins, les Maghrébins contre les Africains, les Turcs entre eux. Même dans les Mosquées nos cœurs se sont divisés. (…)
Je mets le doigt où ça fait mal, c'est normal que ce texte vous gêne. Y'aura jamais d'évolution sans profonde remise en question. (…)
La pauvreté ne peut excuser le fait de se comporter comme des non-civilisés. L'agressivité constante et les insultes, en fin de compte, ne profitent qu'à ceux qui nous font passer pour des incultes, ne profitent qu'à ceux qui nous haïssent, nous désignent comme problème et pour ça nous salissent. (…)
Quant à ceux des nôtres qui réussissent, ils se voient contraints de fuir avant que la jalousie ne les punisse, car dans le cœur des envieux et dans les yeux des incapables, la réussite te rend coupable. (…)
Et tes frères disparus que tu continues à pleurer, c'est pas des flics qui les ont butés. On est les premières victimes de notre propre violence, le signe de notre profonde ignorance. On se bute pour du hash, de la coke ou du cash, et bientôt on se butera pour un clash. (…)
Besoin de solidarité. Si l'on veut espérer un jour pouvoir quitter la précarité, il n'y a pas qu'en détestant les autres qu'on se construit. Dans ton miroir, tu vois parfois ton pire ennemi. Je ne serai jamais votre leader, je n'en ai ni la vertu, ni la valeur, ni la rigueur. Si j'ai un mérite, c'est celui d'avoir essayé, et si j'ai une prétention que ce soit celle de vous aimer, et celui qui aime ne triche pas. »
(1)
Voici les cinq billets que je lui ai déjà consacré : "Comment aimer un pays qui refuse de nous respecter", Des chansons qui se regardent autant qu'elles s’écoutent, "J'suis à fleur de mots, tu sais y'a une âme derrière ma couleur de peau", "Ils tentent d’étouffer notre art…", "L'impasse" de Kery James
1 commentaire:
Un texte particulièrement touchant et mobilisateur. Je ne connaissais pas, mais je vais le suivre de prêt. Il est bon d'entendre ce type de discours de temps en temps...
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