Angkor et Encore (3)
Voilà déjà quelques minutes que j’avance dans la jungle cambodgienne, ce sur une piste tout à fait aménagée, quand le bruit sourd du torrent et de ses cascades me parvient. Encore quelques pas, et les arbres se séparent pour laisser libre cours à un paysage fait d’eau et de rocs.
Au premier coup d’œil, rien de particulier, un ruisseau parmi d’autres, un paysage où, comme à l’habitude, règnent les bambous et le vert.
Pourtant si votre regard se fait plus attentif et moins superficiel, s’il ne s’arrête plus à la surface de l’eau, mais plonge à l’intérieur, s’il s’intéresse aux aspérités sur lesquelles le courant rebondit, vous y découvrirez une constellation de sculptures polies par le temps.
A Kbal Spean, les ouvrages de hommes ne sont pas superstructures, ils n’habillent pas des colonnes ou des frontons, non, ils tapissent le fond des cours, et se cachent dans les profondeurs.
Ici, des divinités et des crocodiles sur lesquels rebondit un tourbillon d’eau. Là, des plots et des formes géométriques qui dessinent un tableau géométrique.
Qu’est-ce qui a bien pu conduire ces artistes d’antan à écrire en creux leurs créations ? Pourquoi les avoir cachées de la sorte ?
J’imagine quelque raison pratique, et je transforme ce plan d’eau en une salle de bain, dotée d’un tapis de bain antidérapant.
Peut-être que ces crocodiles ne sont pas des sculptures, mais de vrais animaux transformés en pierre par quelque divinité lointaine.
Une pluie de mousson torrentielle interrompt le cours de mes pensées. Le rideau vertical vient compléter le flux horizontal, créant de nouvelles projections. Lessivé par les images, mes rêveries et la violence de l’orage, je quitte cette exposition aquatique et me replonge dans la jungle…
A Baphuon, les hommes ont été pris à leur propre piège, aux conséquences de leur présomption à vouloir lutter contre le déroulement du temps.
Parce que le temple menaçait de s’écrouler, parce qu’ils croyaient qu’en le démontant, ils pourraient le consolider, ils ont patiemment ôté pierre après pierre, en prenant garde de les numéroter et de dessiner un plan d’ensemble.
Mais la guerre et l’invasion des khmers rouges sont passées par là, et les plans ont été perdus.
Depuis lors, gît un puzzle géant de 300 000 pièces. Ne reste plus que le souvenir d’un temple qui existait, il y a encore quelques années, et un tas de pierres que l’imaginaire de chacun peut s’amuser à assembler…
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