La vie végétale : l’art du bricolage (2)
Homéostasie, auto-organisation et ADN dotent donc la vie végétale d’un nouveau moteur et de nouvelles colles qui complètent celles de la matière inerte. Voilà l’origine de ce que Spinoza appelle le conatus, cette capacité à non seulement survivre, mais à se développer et grandir : « Chaque chose, autant qu'il est en elle, s'efforce de persévérer dans son être. L'effort par lequel toute chose tend à persévérer dans son être n'est rien de plus que l'essence actuelle de cette chose. »
Mais comment cette propension du vivant à propager son nouvel ordre et répandre son ADN est-elle compatible avec la sacro-sainte loi de l’entropie ? N’y a-t-il pas une contradiction entre les deux ?
Si l’on en reste à la loi de l’entropie comme celle de l’accroissement du désordre, oui, la contradiction est manifeste : la vie avale le désordre des molécules qui l’entourent, et grandit en les transformant en une structure ordonnée. Malgré les aléas de ce qui l’environne, elle est capable de maintenir les équilibres internes, de suivre durablement les mêmes objectifs, et, grâce à l’ADN, de passer au travers le temps. Le développement de la vie est donc incontestablement créateur d’ordre.
Aussi les penseurs de l’entropie comme loi de l’accroissement du désordre ont-ils inventé la néguentropie qui serait une nouvelle loi du vivant qui l’autoriserait à « remonter » l’entropie : la vie transformerait le désordre en information. Il y aurait donc deux logiques : celle de la matière inerte qui suivrait celle de l’entropie et accroîtrait le désordre, celle du vivant qui, ajoutant de l’information, créerait de l’ordre. Un concept compliqué et jamais justifié, mais nécessaire à l’explicitation de la cohabitation de fonction d’ordre et de désordre.
Mais si l’on reformule la loi de l’entropie comme la loi de l’accroissement de l’incertitude, la question se pose dans des termes complètement différents : l’apparition de l’ordre généré par la vie ne pose problème que s’il réduit l’incertitude. Ou formulé autrement : l’apparition de la vie a-t-elle été un facteur de réduction ou d’accroissement de l’incertitude ? Le monde du vivant est-il plus ou moins prévisible que celui de la matière inerte ?
La réponse est évidemment que la vie apporte plus d’aléas et d’imprévisibilités : c’est un système ordonné, mais il est infiniment plus difficile d’anticiper l’évolution d’une structure vivante que celle d’une structure inerte.
(extrait des Radeaux de feu)
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