Les Matriochkas d’une stratégie résiliente (1)
Tout au début du vingtième siècle, Georges Claude, ingénieur chimiste, invente l’acétylène dissous, mais le développement de cette innovation est bridé par le prix trop élevé du carbure de calcium. Il pense alors pouvoir réduire ce dernier, en remplaçant l’électricité nécessaire à la fabrication du produit, par la combustion du charbon par l’oxygène. Sans succès. Mais du coup, il s’intéresse à l’oxygène et invente un nouveau processus de liquéfaction de l’air. C’est ce qui assure le décollage de son entreprise. Au passage, l’oxygène sauvera aussi l’acétylène dissous en lui apportant le débouché du soudage et du coupage. Ainsi la boucle est bouclée, et l’aventure d’Air Liquide part… mais pas du tout comme il l’avait prévu. La vision et la stratégie n’ont pas été conçues a priori, elles ont émergé du chaos et de l’enchaînement des actions. C’est ce qu’il résume lui-même : « La vérité, c’est que j’avais une idée, une idée pas fameuse, mais qui a eu quand même d’utiles conséquences, comme il arrive parfois aux plus mauvaises idées. »
En 1902, cinq hommes d’affaires de Two Harbors dans le Minnesota fondent la société Minnesota Mining & Manufacturing (3M). Leur objectif : exploiter une mine dont ils pensent qu’elle renferme un corps minéral idéal pour la fabrication de papier de verre et de meules. Mais ce corps minéral s’avère de piètre qualité, et trois ans après, 3M part s’installer à Duluth pour se concentrer sur la fabrication de papier de verre. Encore cinq ans et surtout des années difficiles, 3M quitte Duluth pour St Paul dans le Minnesota. Enfin, les innovations techniques et commerciales commencent à porter leurs fruits et, en 1916, 3M verse son premier dividende. Pouvaient-ils imaginer qu’ils prendraient successivement pied en 1925 dans les rubans adhésifs, le célèbre scotch, dans les années quarante dans les rubans magnétiques, en cinquante dans les tampons de récurages, puis pêle-mêle dans les produits pour la radiologie, le contrôle d’énergie, le marché des bureaux, les produits pharmaceutiques modificateurs de la réponse immunitaire, et le fameux Post-it ? Pas vraiment… Un point commun, l’innovation autour de l’enduction d’un support, et la capacité à la décliner mondialement dans des applications multiples. L’art de construire de grands chiffres d’affaires en agglomérant des multitudes de niches.
Rappelez-vous ces fourmis de feu qui apprennent à construire des radeaux pour survivre sans que l’on sache bien comment, et qui sont capables de s’agripper les unes aux autres dès qu’elles sentent l’inondation arriver. Certes à nouveau nous ne sommes pas des fourmis, mais il y a plus de proximité entre la réalité de la naissance d’Air Liquide ou de 3M et leurs radeaux, qu’avec les matrices d’analyse stratégique du Boston Consulting Group ou de McKinsey, ou la recherche de « Patterns » de Mercer Management Consulting.
(extrait des Radeaux de feu)
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