Notre monde : le Neuromonde
Au printemps 2010, une nouvelle défraya la chronique et fit la une de tous les journaux : un volcan au nom quasiment imprononçable – du moins pour ceux qui n’étaient pas islandais –, l'Eyjafjöll était entré en éruption. Était-ce à cause du nombre de morts qu’il avait provoqué ? Non, rien de tel. Juste des coulées de lave dans une zone quasiment désertique. Était-ce parce que cette éruption présentait des caractéristiques exceptionnelles ? Non plus, juste une éruption volcanique banale dans son déroulement.
Simplement ensuite un enchaînement malheureux et lourd de conséquences : un peu de fonte des glaces, quelques gaz volcaniques, et beaucoup de cendres expédiées dans les cieux. Là, ces dernières, poussées par des vents malicieux, deviennent un nuage qui dérive vers l’Europe continentale et se met juste sur le chemin des vols aériens internationaux. Résultat : une congestion massive du transport aérien au cœur du commerce mondial. Nous avons frisé l’embolie économique à cause de ce caillot volcanique.
Cet accident est dans son déroulement un bel exemple de l’aspect devenu réticulaire de notre monde : nous sommes pris dans nos interdépendances collectives. Le moindre phénomène peut avoir des répercussions d’un bout à l’autre de la planète. Un peu comme si nous étions pris dans une immense toile d’araignée : une vibration sur l’une des parties de la toile se propage de partout.
Interdépendance, toile, connexions. Jamais le collectif n’avait atteint cette dimension. Cette propagation peut être physique comme dans le cas du nuage de cendres islandais, mais le plus souvent, elle est informationnelle. Alors, la transmission est instantanée, car elle s’effectue à la vitesse de la lumière.
À croire que la planète est dotée d’un réseau de neurones qui soudent tous les pays. Finalement, l’image qui me vient est celle d’un Neuromonde, c’est-à-dire d’un monde parcouru constamment par des impulsions se propageant sans cesse dans ce réseau.
À côté de celui-ci, les fourmilières ne représentent rien : quelle est la puissance de trois cents millions de fourmis occupant leur super-colonie à Hokkaido au Japon, face aux milliards d’hommes en train d’être connectés ?
Au cœur de l’explosion de ces réseaux, les entreprises. À la fois moteurs de cette évolution et portées par elles, elles sont en pleine mutation : nées au temps où le monde était partitionné, où, au-delà d’une certaine taille, les coûts de pilotage et de gestion administrative étaient supérieurs aux gains, elles deviennent globales, et sont parcourues par les courants du Neuromonde. D’une certaine façon, elles en constituent l’ossature.
Avec cette intrication entre Neuromonde et méga-entreprises, les mailles des émergences, des matriochkas et de l’accroissement de l’incertitude se tricotent de plus en plus vite, de plus en plus finement, et nos radeaux de feu deviennent d’immenses vaisseaux numériques …
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