Sortir de quatre siècles de centralisation
A quelques exceptions près, tous les candidats passent par pertes et profits trois piliers sur lesquels devrait être bâti tout programme réaliste et ambitieux : les territoires, les citoyens, les solutions locales.
Conditionnés par quatre siècles de centralisation et de culture de l’homme ou de la femme miracle, nous continuons d’accepter ce qui n’a plus lieu de l’être.
Les Territoires ne devraient pas n’être qu’un décor
Notre vision collective est structurée par la pensée de Descartes et l’action de Louis XIV.
Le premier avec son célèbre « Je pense, donc je suis » est le père de la méthode scientifique, et, dans la caricature qui en a été faite ensuite, d’une pensée « hors-sol » pour laquelle la carte est plus importante que le territoire : d’abord la pensée, ensuite l’existence.
C’est ce que l’on retrouve dans le jardin à la française où l’on configure le terrain au dessin fait a priori, à l’inverse du jardin à l’anglaise où l’on cherche beaucoup plus à tirer parti des anomalies naturelles.
Ainsi pour nos politiques – et pour toute la technostructure qui inspire et conditionne largement leur pensée –, les territoires ne sont que des lieux théoriques et sans importance : la pensée est première, et le local ne sera que le lieu où elle s’exprimera. L’idéal serait une France homogène et nivelée.
Tout l’inverse d’une logique expérimentale qui part elle du territoire et cherchera à en extraire des récurrences et des lois.
Approche ascendante versus descendante. Jardin à la française versus jardin à l’anglaise…
Surtout qu’à cette approche intellectuelle de la verticalité, est venue se greffer l’action initiée par Louis XIV : pour asseoir son pouvoir face aux princes rebelles, il a construit le château de Versailles et a exigé que tous ceux qui voulaient participer au pouvoir quittent leurs terres pour rejoindre la Cour.
A commencé la disjonction entre pouvoir et territoire, et avec elle, la centralisation à la française. Elle s’est ensuite sophistiquée sous les inventions successives de la République des Jacobins, le génie administratif et militaire de Napoléon, pour être parachevée avec l’École Nationale d’Administration par le Général de Gaulle en 1945.
Cerise sur la gâteau, la théorie construite par les Grands Corps d’État – je la connais de l’intérieur, en en étant moi-même issu –, qui considère que tout acteur local est juge et parti, et qu’il est donc préférable de confier la décision à des experts loin du terrain.
Oui en France, la carte est plus importante que le territoire, la théorie que le réel. Pensons juste et l’intendance suivra…
Il serait temps de prendre conscience combien cette vision est néfaste au bon fonctionnement d’un État moderne. Que la performance d’un pays comme l’Allemagne est corrélée avec la puissance de ses Länders et de ses métropoles.
Pourquoi ne pas prendre conscience qu’à part la définition de quelques minimums communs à respecter en tout point de la France, des politiques nationales du logement, de l’emploi, de la santé, etc. n’ont pas grand sens ? Depuis Paris, on ne peut que théoriser, penser à partir de moyenne, comme si la France n’était pas riche de sa diversité.
Les Citoyens ne devraient pas n’être que des spectateurs
En matière de citoyenneté, deux discours se rencontrent, deux extrêmes dangereusement excessifs.
Pour les uns – et ils sont largement majoritaires –, les citoyens sont absents en dehors du moment de l’élection : la politique est une affaire de professionnels ainsi que le management de l’État. Tout doit être confié à des spécialistes politiques et administratifs, et souvent un panachage des deux.
De temps en temps, on peut consulter les citoyens – soit au travers de sondages, soit via des procédures ad hoc –, mais jamais les associer à la prise de décision, et encore moins à sa mise en œuvre.
Bref, pour eux, les citoyens sont des consommateurs de la politique, pas des acteurs.
Pour d’autres, les citoyens sont l’Alpha et l’Omega d’une politique vraiment démocratique : il faudrait mettre en place un processus purement ascendant qui accoucherait nécessairement des meilleures décisions et des meilleurs choix. Le pouvoir au peuple, voilà la réponse à tous nos maux.
Dans cette logique, on en appelle à une sixième république, à des agoras citoyennes, à un rejet de toute expertise, et on veut conduire à un bûcher salvateur tous ceux qui prétendraient encadrer ce grand appel démocratique.
Sommes-nous condamnés à avoir à choisir entre ces deux extrêmes ?
Pourtant il suffit d’aller sur l’autre rive du lac Léman pour trouver un pays, la Suisse, qui a su trouver un équilibre pertinent : chaque citoyen peut s’y exprimer, aucun politique ne peut diriger sans tenir compte de la volonté des habitants du pays, un gouvernement gouverne.
Pourquoi diable ceci serait impossible chez nous ? Qui ne voit pas que ce dessaisissement des citoyens est une machine à détruire le consensus social ?
Clairement, agir en ce domaine va de pair avec la décentralisation : décentralisation et démocratie citoyenne sont le pile et le face de la nouvelle pièce qui nous faut maintenant lancer.
Les solutions locales ne devraient pas n’être que des anecdotes
La pensée verticale et descendante, et la professionnalisation de la politique et de la gestion de l’État conduisent à compter pour quantité négligeable ce qui est entrepris localement : ce ne sont que des anecdotes, puisque elles n’ont ni une portée nationale, ni été pensées par le système central.
Le local est au mieux un champ d’expérimentation, mais à condition que celle-ci ait été préalablement validée et cadrée par un organisme national. Sinon c’est vécu comme un acte de rébellion !
Pourtant la France fourmille d’actions concrètes qui réparent chaque jour les fractures sociales. Sans elles, notre pays se serait très probablement disloqué. Ces actions sont lancées et pilotées par des élus locaux, des associations, des entreprises ou parfois simplement des citoyens sans nécessairement la mise en place de structures juridiques.
Recenser ces actions locales qui ont réussi, identifier celles qui pourraient se développer sur d’autres territoires, aider à mettre en forme un « kit marketing » facilitant ce déploiement relève du bon sens. Pourtant, ce n’est pas ce qui est fait par l’État central. Loin de là !
C’est la logique qu’a mise en place Alexandre Jardin dans Bleu Blanc Zèbre, et plus récemment dans la Maison des Citoyens et le mouvement Les Citoyens. Cela rejoint aussi celle d’un mouvement comme les Colibris de Pierre Rabhi.
Pourquoi donc ne pas avoir demain un État qui, en dehors des fonctions régaliennes, repère les initiatives nées localement – en France comme à l’étranger –, débloque les quelques moyens nécessaires pour finaliser un vrai package marketing de déploiement, et enfin facilitent leur diffusion.
Moins cher, plus rapide, plus efficace.
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Avec une vraie décentralisation – c’est-à-dire en confiant aux territoires tout ce qui peut et doit être géré au niveau local –, l’État pourra se focaliser sur le régalien : la politique fiscale, un nouveau pacte social (contrat de travail, retraite, garanties sociales, etc.), la justice et la sécurité, les affaires étrangères, l’Europe, la Défense.
Désengorgé de ce dont il ne devrait pas s’occuper, il pourra à nouveau agir vraiment. Avec la fin de l’entremêlement actuel de nos organisations collectives, on pourra faire le tri parmi les politiques publiques, diminuer des déficits publics et abaisser du niveau des prélèvements enclenchés.
Avec la démocratie citoyenne, les liens entre Français pourront se recréer, et l’intelligence collective se développer.
Avec le renforcement de ce qui est né localement, l’action pourra devenir rapide et à bas coût.
Tel est le triple changement de méthode.
Qui s’en saisira ?
Qui s’en saisira ?
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