Au pays des abeilles, sans diversité, aucune ruche ne peut fonctionner correctement, et cette diversité doit reposer sur un patrimoine génétique ouvert et se renouvelant. (1)
Et si la performance de nos organisations supposait aussi une diversité génétique entretenue ?
J’ai comme l’impression que cette interrogation résonne avec le début de notre campagne présidentielle...
1. La puissance collective naît-elle des similitudes ?
Qu'est-ce qui ressemble plus à une abeille à miel que sa sœur voisine ? Impossible de les distinguer.
La force de la ruche semble venir de cette gémellité apparemment parfaite : aucun conflit potentiel, pas d'étranger à surveiller, chacune n'a qu'un seul et même objectif, contribuer à la puissance du groupe. Grâce à la merveille du collectif, naît ce que l'on appelle "l'esprit de la ruche".
On a longtemps pensé que ceci reposait sur l’unicité de la reine : un seul patrimoine génétique, d’où une tribu de jumelles.
Or il n'en est rien, car si les abeilles ont bien une seule mère, elles n'ont pas le même père : lors de son vol nuptial, la reine est fécondée par une vingtaine de mâles, ce qui garantit une diversité génétique.
Mais est-ce si important, ou n'est-ce pas plutôt une source de faiblesse ? Une ruche ne serait-elle pas d'autant plus puissante que les abeilles qui la composent sont plus identiques ?
C'est sur cette question que portait l'émission "Sur les épaules de Darwin" de Jean-Claude Ameisen, le 14 septembre 2013 : quel est le rôle du renouvellement permanent de la diversité.
2. La performance collective suppose des différences
Parmi les problèmes complexes que doit résoudre une ruche, il y a celui de la température : il est vital de maintenir la zone centrale de la ruche, là où se trouvent les larves, le plus proche possible de 35 °C.
A cette fin, les abeilles ventilent si la température au sein de la ruche devient trop élevée, ou vont chercher de l'eau pour qu'elle s'évapore. Si jamais le centre est trop froid, elles frissonnent pour produire de la chaleur.
Comment ceci est-il possible ? Parce que les abeilles sont "programmées" pour agir ainsi : dès que la température dépasse une certaine valeur, elles ventilent ; dès qu'elle devient inférieure, elles frissonnent. Efficace et simple.
Mais si toutes les abeilles réagissaient exactement à la même température de déclenchement, la température varierait brutalement et de façon trop importante.
Or, parce que toutes les abeilles ne sont pas identiques, elles n'ont pas exactement la même température de déclenchement : au départ, seules, quelques-unes vont intervenir. Si c'est suffisant, les autres n'interviendront pas. Si c'est insuffisant, le nombre d'abeilles intervenant augmentera progressivement. Et ainsi la température est efficacement régulée. La performance collective vient des différences, et non pas des similitudes. Ou plus exactement, des variations autour d'un comportement commun.Mais ceci vient-il d'un processus d'adaptation et
d'apprentissage, ou est-ce génétique :
la performance collective suppose-t-elle une hétérogénéité structurelle et
initiale, ou peut-elle être issue d'individus initialement identiques, et qui
ont appris à être complémentaires ?
3. Sans diversité génétique, pas de survie collective
L'expérience la plus frappante est celle menée par Heather Mattila et Thomas Seeley (2) : qu'advient-il si la colonie provient d'une reine ayant été inséminée par un seul mâle, versus une où elle a été inséminée par quinze mâles différents ?
La réponse est sans appel :- Au bout de deux semaines, les colonies issues d'un patrimoine génétique plus divers ont construit un tiers de rayons de cire en plus, et les butineuses y ont collecté 40 % de réserves supplémentaires,
- Au bout d'un mois, lorsque la floraison est maximum, le nombre des ouvrières des colonies génétiquement diverses est multiplié par trois, versus une augmentation de seulement 50 % pour les autres,
- Fin août, une baisse de température provoque la disparition de la moitié des colonies génétiquement homogènes, alors que toutes les autres survivent.
- À la fin de l'hiver, toutes les colonies génétiquement homogènes ont disparu, alors qu'un quart des autres ont réussi à survivre et seront toujours en activité au printemps.
Ainsi l'évolution élimine ce qui est génétiquement homogène : c'est la diversité des gènes qui apporte la puissance à l'esprit de la ruche.
Être confronté à des expériences diverses ne suffit pas : si l'on est initialement homogène, on ne sait pas en tirer parti… et l'on disparaît.
4. La résilience naît des différences
Il peut sembler hasardeux de sauter directement des abeilles à miel aux organisations humaines et à nos sociétés.
Mais pourquoi ce qui est vrai pour elles, ne le serait pas pour nous ? L'espèce humaine est née par évolution, est un construit du monde, et il y a fort à parier que ce qui est vrai pour les abeilles l'est aussi pour nous.
Aussi quelle erreur quand des dirigeants croient que la performance viendra de la consanguinité ! Il peut être rassurant de s'entourer de camarades issus de la même école, et avec lesquels on a de nombreux points communs, mais, comme pour les abeilles à miel, ce n'est vraiment pas la meilleure solution pour construire une entreprise résiliente…
Et quand je vois dans nos sociétés, et singulièrement en France, avoir peur de celui qui est différent, et croire que notre futur est dans l'enfermement et dans la fermeture, quel aveuglement !
La France ou l'Europe ne seront pas fortes en se protégeant de la diversité, mais au contraire, en relevant le défi d'une construction collective qui s'appuie sur les différences.
Et pour être efficaces, ces différences ne doivent pas être acquises, mais innées : celui qui n'est pas né ici vient nous apporter la richesse de ce que nous ne sommes pas.
(1) Cet article est la reprise d’une première parution qui a eu lieu en 4 billets entre le 1er et 7 octobre, en commençant par « La puissance collective naît-elle des similitudes ? ».
(2) Geneticin Honey Bee Colonies Enhances Productivity and Fitness, Heather R. Mattila, Thomas D. Seeley, July 2007
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