21 févr. 2011

SENS DE L’ACTION, VOLONTÉ ET CONSCIENCE DE SOI

Quand une philosophe prend appui sur les dernières découvertes des neurosciences
Patchwork tiré du livre de Joëlle Proust, La nature de la volonté :
« Par exemple, Gavrilo Princip a appuyé sur la gâchette, tué Pierre de Serbie, et déclenché la Première Guerre Mondiale. Comment alors déterminer, de manière générale, l’étendue de l’événement dans lequel consiste une action donnée ? Faut-il considérer que l’action de Princip a simplement consisté à presser la gâchette, ou bien s’étend-elle jusqu’à l’effet le plus direct (blesser Pierre de Serbie), ou encore à l’effet recherché et obtenu (tuer Pierre de Serbie) (…) Comme l’écrit Davidson dans une formule percutante : Nous ne faisons jamais autre chose que mouvoir nos corps : c’est la nature qui se charge de faire le reste. »
« Pour vouloir X avec ses conséquences recherchées P, il faut que
(1)                l’agent dispose de la représentation des moyens de la production occurrente de P (conjuguant des modèles directs et inversées) dans un contexte motivant donné (condition de contrôle existant)
(2)                qu’un présent contexte motivant rende le but P saillant (condition de saillance)
(3)                que la motivation présente soit causalement suffisante pour que l’agent se mette en état de produire P de manière contrôlée (condition quantitative) »
« Pensons par exemple à une conversation normale : chaque locuteur commence à parler sans savoir au juste quels mots il va employer et comment ses phrases vont s’enchaîner entre elles. Il n’est pas conscient du modèle interne qui contrôle ses paroles. Il en va de même pour l’exécution d’actions corporelles ; l‘agent n’a pas conscience de choisir où il va mettre les pieds, ni comment il va distribuer son poids selon les particularités du terrain ; il ne décide pas consciemment du geste pour saisir tel objet, etc. Quoique l’agent ne soit pas directement conscient des commandes qui organisent dynamiquement son action, il peut en prendre conscience indirectement, précisément parce que la deuxième partie de la boucle de contrôle – le suivi – donne lieu à des perceptions conscientes, ce que les psychologues appellent des « réafférences ». »
« Prenons par exemple un souvenir comme « je me rappelle que j’ai visité le château de Versailles ». Il ne suffit pas que « je » dans « je me rappelle » et « je » dans « j’ai visité » se trouvent faire référence à la même personne ; il faut en outre que je sache qu’il s’agit bien de la même personne. (…) Pour être une personne, on doit au minimum être conscient de deux événements (d’avoir vu Versailles et de s’en souvenir) et de les rassembler dans la même expérience consciente présente concernant le même « je ». »
« Le sens d’être soi, avec la réflexivité forte dont nous avons vu que dépendait le concept de personne, réside dans la conscience de pouvoir d’auto-affecter, c’est-à-dire dans le souvenir de s’être auto-affecté joint à la conscience d’être en mesure, maintenant, de le faire. »
« Nous avons identifié trois conditions qui sont, ensemble, constitutives de ce qu’est une personne :
(1)                Être capable de métacognition, et en particulier de former des buts mentaux et de les réviser.
(2)                Former des souvenirs en recouvrement des épisodes antérieurs de révision.
(3)                Pouvoir réorienter ses actions mentales sur la base de (1) et (2) pour planifier des actions à venir et modifier éventuellement ses dispositions volitives et exécutives. »
« Savoir qui l’on est doit passer par l’évaluation consciente de ses propres choix et l’engagement qu’ils représentent relativement aux actions de la vie. »

18 févr. 2011

LE DÉSORDRE PAR LES MOTS ET LES SONS

Trois appels
Télescopage de mots de révolte :
Poète, vos papiers !
Il les a enfermés en disant soyez sages, et, quand la bombe a explosé de tous ces personnages, il n'en est rien resté.
Faut dépenser les ptits sous, faut du réseau pour les enfants, faut ressembler à des guignols, faut que tu passes à la télé,
Oh non l'homme descend pas du singe, il descend plutôt du mouton,
J'accuse ! Au mégaphone dans l'assemblée !
Le vers est libre enfin et la rime en congé, on va pouvoir poétiser le prolétaire
Je jur' devant Dieu en mon âme et conscience qu'en détruisant tous ces tordus, je suis bien convaincu d'avoir servi la France
Poète .... circulez ! Circulez poète !



17 févr. 2011

LES ROIS SONT NUS

Digression dans un neuromonde (fin)
Nous voilà donc entrés dans ce Neuromonde, où, pour reprendre les ruptures mises en avant par Michel Serres(1), nous venons de sortir du Néolithique :
  • Nous n’avons plus de relation physique avec le monde que nous habitons (les agriculteurs ne représentent que 1% de la population),
  • Notre relation avec la vie et la mort change (grâce à la médecine devenue efficace, la durée de vie s’allonge, la douleur est de mieux en mieux contrôlée…),
  • Notre adresse est virtuelle et non spatiale (nous sommes joints par le téléphone mobile et l’email),
  • Nous sommes tous voisins, les uns des autres, et c’est aussi la porte ouverte à de nombreux nouveaux problèmes (l’autre n’est pas gênant tant qu’il est loin),
  • Nous sommes devenus des individus et être ensemble n’est plus naturel (nous ne faisons plus équipe)
  • Le politique et la morale sont à réinventer
Pas étonnant donc que nous soyons dans une crise profonde et qu’un malaise profond flotte tout autour du globe. Ce d’autant plus que tous ces changements se sont produits sans que nous y ayons pris garde. Nous nous réveillons douloureusement dans ce monde nouveau. Nous sommes sortis d’une nouvelle caverne.
Le monde politique n’est pas mieux loti. Il est lui aussi largement désemparé, pris de court, avec une légitimité d’autant plus chancelante que la relation au territoire s’affaiblit. Et comme il est pris dans une course sans fin, il n’a pas le temps de réfléchir : tout homme politique saute de réunion en réunion, de décision en décision, de meeting en meeting, ce d’autant plus qu’il est au pouvoir.
Il serait temps de comprendre que le monde dans lequel nous sommes, ce neuromonde, n’a pas grand-chose en commun avec celui où nous étions nés, que c’est un monde infiniment plus complexe, plus riche et plus incertain, que l’on ne peut plus réfléchir à partir du passé, et que c’est en partant du futur, des mers qui attirent le cours des fleuves, que l’on pourra inventer de nouveaux d’organisation sociale et politique.
Quand on observe ce qui se passe au plan politique, et singulièrement en France - mais pas seulement là -, on voit que, comme on dit, « Ce n’est pas gagné ». Espérons que la campagne présidentielle sera l’occasion d’amorcer un changement.
Sinon, le décalage entre le jeu politique et la réalité sociale va continuer à croître, et, un matin, chacun se lèvera en constatant que « le Roi est nu ». Alors tout deviendra possible, le meilleur… comme le pire…
(1) Voir mon article de ce lundi « Nous avons besoin de nouveaux Robins de Bois »

16 févr. 2011

TOUS CONNECTÉS, TOUS CO-DÉPENDANTS

Digression dans un neuromonde (suite)
Ce thème du Neuromonde, notre monde de l’hyperconnexion et de l’immédiateté, je le prolongeais dans mon livre « Les mers de l’incertitude » : 
 « Grâce au langage, nous avons appris à manipuler des concepts et des représentations, et à construire des interprétations. Grâce à l’écriture, nous avons pu stocker de l’information non plus seulement dans notre mémoire personnelle, mais aussi dans un support externe, début d’exodarwinisme mental en reprenant la terminologie de Michel Serres. Grâce à l’imprimerie, ce stockage externe a gagné en puissance avec la multiplication facilitée par la reproduction.
Ce processus se poursuit avec l’arrivée des technologies de l’information :
  • Elles viennent donner une toute nouvelle puissance au stockage de l’information : nous sommes constamment à un clic tant de la sauvegarde que de l’accès, et on peut stocker aussi bien de l’écrit et de l’image que du son. Le coût du gigaoctet s’effondre et devient de plus en plus une commodité dont la charge tend vers zéro. Ce stockage se fait maintenant sur le réseau et, grâce à l’indexation, aux liens RSS et aux moteurs de recherche comme Google, l’accès est facile et immédiat quel que soit l’endroit où l’on se trouve.
  • Elles nous connectent progressivement tous, individus comme systèmes : le monde devient progressivement une grande toile réticulée qui nous prend dans ses filets. Tout peut se propager : comme la toile d’une araignée vibre à la moindre proie qui se prend dans les mailles, nous résonnons au moindre aléa.
  • Chacun peut vivre intellectuellement des situations sans avoir à les expérimenter physiquement : chacun peut avoir un avatar et circuler dans le cyberespace pour y interagir avec d’autres excroissances virtuelles. Le développement des systèmes experts facilite l’élaboration de scénarios et la construction de représentations : il est possible de traiter une quantité de plus en plus grande d’informations, de structurer automatiquement des analyses et des synthèses à partir de ce traitement, d’élaborer des représentations de ces résultats plus facilement manipulables dans l’esprit humain.
(...) La croissance de la population humaine s’est brutalement accélérée : en cinquante ans, nous venons de passer de deux milliards et demi d’hommes à six milliards, alors que nous n’étions qu’un milliard, il y a deux cents ans, et deux cent cinquante millions, il y a mille ans. Demain, en 2050, nous serons probablement neuf milliards.
Dans le même temps, l’impact de chacun de nous est démultiplié par tous les outils mis à notre disposition : grâce aux « objets-monde »1, il suffit de quelques hommes pour agir sur le monde tout entier.
Résultat, comme l’écrit Michel Serres, « nous dépendons enfin des choses qui dépendent de nous. (…) Ladite mondialisation me paraît aujourd’hui au moins autant le résultat de l’activité du Monde que des nôtres. »2
Qu’est-ce à dire ? Que nous sommes pris dans les mailles de l’effet de nos propres actes, que la boucle d’interaction entre l’action et ce sur quoi on agit devient prépondérante. Témoins les débats actuels sur le climat et le réchauffement de la Terre, l’eau, la pollution, l’énergie…
Conséquence, l’horizon du flou se rapproche et il devient de plus en plus aléatoire de voir précisément au-delà d’un horizon proche. Très vite, nous ne pouvons au mieux que prévoir les grandes tendances, et non plus les évolutions précises. »
(1) « Notre savoir-faire s'adonne, de plus, depuis un temps assez récent, au façonnage des objets-monde. Un satellite, pour la vitesse, une bombe atomique, pour l'énergie, l'Internet, pour l'espace, les résidus nucléaires pour le temps... voilà quatre exemples d'objets-monde. » (Michel Serres, Hominescence, p.205)
(2) Michel Serres, Le temps des crises, p.36 et 51

15 févr. 2011

HISTOIRE DE TÉLESCOPAGES

Digression dans un neuromonde
En prolongement de mon patchwork relatif à la dernière conférence de Michel Serres, voici ce que j’écrivais, il y a maintenant près de trois ans, dans mon premier livre, Neuromanagement, ce en introduction d’une partie intitulée, « Digression dans un neuromonde »
« Un dimanche soir, gare de Montélimar, dans le Sud de la France, il est 17 h 10 et j’attends un TGV pour Paris qui doit arriver dans une dizaine de minutes. Je ne pense à rien de précis, et mon esprit surfe sur les conversations voisines. Mon attention est attirée par l’une d’elles : un petit groupe parle de l’évolution du parti communiste et de la montée en puissance des mouvements d’extrême gauche. Je comprends que ce sont des sympathisants. Brutalement, sans transition réelle, l’un d’eux change de sujet et dit d’une voix assurée : « Pour l’éducation de mes enfants, la seule chose que je leur demande à l’école, c’est d’apprendre l’anglais. Le reste pour moi n’est pas important : le français, les mathématiques, cela ne leur servira pas pour parler plus tard. Avec l’anglais, ils pourront voyager partout et se faire comprendre. Vraiment, c’est l’anglais qui compte ». Étonnante affirmation, surtout vu ses convictions politiques : plus besoin d’avoir quelque chose à dire, il suffirait de pouvoir parler. L’échange ne serait plus un moyen, mais une fin en soi…
Quelques jours plus tard, je déjeune à Paris avec un client. Il est de retour de deux semaines de vacances en Iran et me relate une soirée au cours de laquelle il a pu passer quelques heures avec des Iraniens.
« Mais comment avez-vous communiqué, lui demandai-je ? Ils parlaient anglais, français ?
– Non, ils ne parlaient ni français ni anglais, me répondit-il. Mais étrangement, on a réussi à se comprendre avec des gestes et des expressions ! »
Étonnant télescopage de ces deux anecdotes. Deux extrêmes : l’un qui privilégie le contenant au contenu et pense que, demain, l’important ne sera plus le fond ; l’autre qui, en l’absence de tout langage, suffisamment avide de comprendre les différences, arrive à échanger…
En repensant à cela, j’écoute la radio. Le débat porte sur le sujet récurrent de l’assimilation de nouvelles cultures en France : est-il normal ou non par exemple que des musulmans ne se conforment pas aux habitudes culturelles historiques françaises ? Témoignage d’une auditrice qui parle de la France comme si elle en était propriétaire, comme si le fait d’y être né lui donnait le droit d’en définir les conditions d’accès. L’animateur lui rappelle que certains musulmans sont nés en France comme elle. Elle n’en démord pas et fait appel à une sorte de droit de propriété historique : ceux qui sont arrivés récemment seraient moins légitimes qu’elle…
Voilà notre neuromonde : un monde fait de télescopages et parfois d’incompréhensions, un monde où les frontières s’abolissent, un monde dont certains voudraient lisser les différences, un monde face auquel les structures politiques géographiques sont souvent inadaptées.
Pourquoi neuromonde ? Parce que, grâce ou à cause des technologies de l’information, nous sommes de plus en plus interconnectés et que la neurobiologie est, me semble-t-il, une clé de lecture pertinente pour comprendre le fonctionnement nouveau de nos sociétés et de nos relations interpersonnelles. Ce n’est finalement que la prolongation et l’extension de l’analyse que je viens de faire au niveau des entreprises. »

14 févr. 2011

NOUS AVONS BESOIN DE NOUVEAUX ROBINS DES BOIS

La crise est due à la tectonique des plaques
Le 31 janvier dernier, Michel Serres a tenu une conférence sur « Vivons-nous un temps de crise », ce dans le cadre des États généraux du renouveau. Il y a insisté sur les mouvements de fonds qui sous-tendent la crise actuelle, faisant la comparaison avec la tectonique des plaques.
En voici, un patchwork personnel et reformulé (voir l'intégrale de la vidéo à la fin)  :
« Un événement est d’autant plus important que ce qu’il clôt est long, c'est-à-dire depuis combien de temps l’état précédent datait. Ainsi le passage de la population agricole de 80% à 1% en un siècle clôt une période qui a commencé au néolithique. C’est donc un changement majeur : La campagne est vide et nous ne sommes plus en relation physique avec le monde que nous habitons. »
« La médecine ne sait guérir que depuis la fin de la guerre de quarante. (…) La durée de vie s’allonge et tout se transforme, notre relation avec la vie comme avec la mort. (…) Au moment du mariage, nous nous promettons fidélité pour soixante-cinq ans. (…) Avant, on héritait encore jeune de ses parents, maintenant on est déjà vieux soi-même quand cela arrive. (…) Le corps étant soigné est devenu montrable, alors on se déshabille sur les plages. (…) Nous programmons les naissances, et donc l’apparition de la vie. »
« Avant, notre adresse nous repérait dans l’espace. Aujourd’hui nos adresses sont le téléphone portable et l’ordinateur, ce sont deux adresses qui ne sont plus repérées dans l’espace. (…) On est dans un nouvel espace topologique où on est tous voisins. Les nouvelles technologies n’ont pas raccourci les distances, il n’y a plus de distance du tout. »
« C’est l’adresse qui nous relie au politique. Donc ce ne peut plus être le même droit et la même politique, car ils étaient bâtis sur là où on habitait. (…) Nous habitons un nouvel espace, et comme il est nouveau, c’est un espace de non-droit. (…) Robin des bois : Robin vient de Robe, c’est l’homme de loi, l’homme de droit. Il habite la forêt de Sherwood qui est un espace de non-droit dont il construit le droit. Nous avons besoin de nouveaux Robins des bois. »
« Jusqu’à présent, le renouvellement de la langue française se faisait au rythme de trois à quatre mille nouveaux mots à chaque édition du Dictionnaire de l’Académie Française (tous les vingt ans). Cette fois, trente-cinq mille mots : ceci est lié à la transformation des métiers (par exemple : plus mille mots ont « disparu » à cause du déclin de l’agriculture). (…) C’est un témoin de la profondeur de la mutation : la vitesse est multipliée par dix. Si ceci se poursuit, cela voudra dire qu’en 2030, le français sera aussi différent de celui de 1990, que nous sommes distants de ce que l’on appelle l’ancien français (il y a quatre-cents ans), français que nous ne comprenons plus. »
« Je vous annonce la naissance d’un nouvel être : l’individu. (…) Nous ne savons plus être ensemble : on ne fait plus équipe, on ne peut plus faire classe, on ne sait plus passer la balle au voisin, il n’y a plus d’appartenance, on divorce, on ne se reconnait plus dans les partis. (…) De ce point de vue, l’équipe de France de football lors du dernier mondial en a été une parfaite illustration : c’était une collection d’individus qui ont montré qu’ils ne pouvaient plus jouer ensemble. »
« Sur dix meurtres, six se passent en famille et neuf assassins connaissaient leur victime. Aussi, aimer l’autre quand il est loin est-il facile : il n’y avait pas de problème à affirmer « Aimez-vous les uns les autres ». (…) L’autre ne me gène pas, car je ne le vois pas souvent. Le problème, c’est le proche, c’est le même. Or aujourd’hui, tous les autres sont des proches, sont des mêmes : nous n’avons plus que des prochains. (…) Il y a une sur-morale à inventer »

11 févr. 2011

QUE LA FORCE SOIT AVEC VOUS !

Les faces cachées de Darth Vader


Nous avons tous une vision finalement très partielle de Darth Vader, nous n'en connaissons que ce que Georges Lucas a bien voulu nous montrer. Mais comment pourrions-nous connaître la part cachée de Darth Vader ?
DARTH VADER ENFANT :
Grâce à Volkswagen, nous avons une proposition pour un Darth Vader enfant, dont les talents sont encore bien embryonnaires.




DARTH VADER AMOUREUX
Grâce à ces épisodes restés peu connus, nous comprenons que Darth Vader peut, comme chacun de nous, tomber amoureux, et que ce n'est pas facile alors...


10 févr. 2011

POUR ÊTRE PERFORMANT, IL FAUT INNOVER PEU ET LENTEMENT

Il ne sert à rien de courir
Classiquement, on croit que, pour qu’une entreprise soit plus performante, il faut qu’elle accélère son processus d’innovations et multiplie le nombre de ses lancements. Je crois au contraire qu’être performant, c’est souvent diminuer le nombre d’innovation et ralentir le processus ». Surprenant, n’est-ce pas ?
Comme je l’ai souvent écrit – et je ne suis pas le seul (voir notamment les livres de Jean-Louis Servan-Schreiber et ceux du philosophe Paul Virilio), nous confondons vitesse et performance, agitation avec efficacité. Nous avons tellement accéléré les rythmes que les événements se succèdent sans laisser le temps de les digérer et de réfléchir(1).
Ainsi nous croyons agir alors que souvent nous ne faisons que nous agiter. L’action vraie ou réelle est celle qui est capable de transformer durablement. Or la transformation est toujours un processus long et qui s’appuie sur les forces en présence et en action(2).
J’en arrive à l’innovation.
Quand j’emploie le mot innovation, je pense précisément non pas à des innovations superficielles et anecdotiques (comme changer un packaging, refaire une nouvelle publicité ou améliorer une formule),  mais bien à une innovation qui va porter le futur de l’entreprise et se développer progressivement. De telles innovations ne peuvent pas être trouvées dans la précipitation et une entreprise n’en pas besoin de beaucoup, ni de souvent pour réussir.
Prenons l’exemple d’Apple. Steve Jobs a assuré le redressement spectaculaire grâce pour l’instant à deux innovations : l’iPod et l’iPhone. L’iPad est un nouveau candidat dont on ne peut encore prévoir le succès réel. Pour le reste, c’est-à-dire l’offre PC, Apple n’a pas réellement innové depuis longtemps…
Voilà donc pourquoi je crois aujourd’hui que pour bien innover, ou plutôt réellement innover, il faut innover peu et lentement…
(1) Voir mes articles sur le temps
(2) Voir les écrits de François Jullien et singulièrement Conférence sur l’efficacité dont j’ai donné quelques morceaux choisis dans « Le grand général remporte des victoires faciles ».

9 févr. 2011

ATTENTION AU SYNDROME DU TITANIC

Une entreprise est une collection d’icebergs
Comme je l’indiquais hier, il est difficile de savoir qui on est vraiment et qu’elle est la limite et le lien entre le « je » que nous ressentons être, et le « il » que les autres voient agir.
Qu’en est-il pour une entreprise ?
Tout d’abord, comme elle est elle-même une collection d’individus, elle est donc la réunion d’identités incertaines et fluctuantes.
Bien plus, cet ensemble d’individus s’inscrit dans une culture et des systèmes qui sont à l’intersection de l’histoire de l’entreprise, de sa situation actuelle et de la volonté de ses dirigeants.
C’est ce qui m’avait amené à écrire dans les Mers de l’incertitude : « Si, comme c’est le cas dans une entreprise, le processus de décision est collectif1, les incertitudes existant sur une décision individuelle sont considérablement amplifiées : qui a participé, participe ou participera à la décision ? Faut-il se limiter au périmètre stricto sensu de l’entreprise, ou prendre en compte ceux qui, dans son environnement, peuvent intervenir ? Quels sont les impacts de l’histoire et de la culture collectives ? Quels sont les langages de chacun ? Y a-t-il un langage commun ?… »
Et dire que certains voudraient diriger en appliquant des modèles tout faits, en remplissant des tableurs excel et en dessinant des organigrammes détaillés…
Dans ce cas, ils sont certains de tomber dans le syndrome du Titanic  et de couler vu le nombre d’icebergs qui les entourent !

(1) Même quand la décision finale ne repose que sur une personne, elle a été préparée et orientée par le travail des autres. Sans parler du cas, où l’on est face à une décision « anonyme » : l’entreprise est dans l’incapacité de retrouver qui a pris une décision, et donc a fortiori comment.

8 févr. 2011

QUEL EST CET “IL” QUI COHABITE EN MOI ?

Je suis un iceberg

Étonnant comme nous sommes finalement conscient de bien peu de choses de ce que fait et ressent notre corps : 
  • nous ne pilotons consciemment aucun de nos processus vitaux,
  • nous sommes incapables de savoir comment nous arrivons à parler ou à jouer du piano,
  • quand nous conduisons, la plupart du temps, nous pensons à autre chose, c’est-à-dire que nous ne conduisons pas consciemment,
  • comme indiqué dans l’article d’hier, nous avons une vision aveugle et nous pouvons nous souvenir en rêve de situations dont nous ne pouvons pas nous souvenir consciemment, alors que nous les avions effectivement vécues…

Quelle pagaille ! Finalement, notre conscience n’est que la pointe de l’iceberg de notre vie : la plupart des événements la conditionnent, mais lui échappent. J’ai entendu une fois, sans avoir pu depuis le vérifier, que seulement 5% de l’énergie consommée par notre cerveau était utilisée pour les processus conscients. Bref, nous agissons massivement sans savoir pourquoi… du moins consciemment.
Arrive alors inévitablement la question du « je » et de l’identité. Le « je » se limite-t-il à la conscience ? Instinctivement, j’ai envie de répondre oui. Car, si je ne suis pas conscient d’une chose, comment pourrais-je me l’approprier et dire que « je l’ai faite » ?
Mais dans ce cas, qui est à l’origine de tous ces actes, toutes ces émotions, tous ces traitements mentaux inconscients qui habitent mon corps et participent à son pilotage ? Un autre « je » ? Un « il » ?
Troublant, non ? Et si cet « il » faisait aussi partie de mon « je » ? Parce que ce que voient les autres, ce n’est pas seulement ce que « je » fais consciemment, mais tout ce que mon corps fait. Donc pour eux, cet « il » est aussi mon « je ».
Plus exactement, eux ne peuvent pas faire la distinction entre ce que je fais consciemment et ce que mon corps fait sans que je l’aie décidé consciemment. Seul, moi qui habite mon corps, suis capable de percevoir cette frontière.
Et encore… Suis-je si sûr de la frontière entre processus conscient et inconscient ? Quand, face à une difficulté ou à un problème dont je ne trouvais pas la solution, m’arrive un flash, une illumination, ou une idée venue de « nulle part », est-ce que ce n’est pas ce « il », cet inconscient qui cohabite en moi, qui vient de travailler pour moi et m’apporte une solution possible ?

Mon Dieu, mais quelle prise de tête d'essayer de réfléchir à qui je suis... surtout si je veux le faire consciemment ! 
Et pour les entreprises, qu’en est-il ?...
(à suivre)