Les plans en faveur des
PME/PMI se répètent à l’identique depuis trente ans, et rien ne change.
Voulons-nous continuer ainsi ?
Les plans en
faveur des PME/PMI sont un des marronniers de la politique française :
chaque fois qu’un gouvernement est en mal d’idées, chaque fois qu’un parti
politique élabore un programme, chaque fois qu’une commission économique
quelconque se réunit, un nouveau plan nait. Un nouveau qui est toujours le même…
Il se trouve qu’à la sortie des mes études, en
septembre 1979, alors que je commençais mon activité professionnelle, étant
chargé de mission à la Délégation à la Petite et Moyenne Industrie, j’ai
participé à l’élaboration de l’un d’eux (1). Je n’ai pas conservé
une copie de nos travaux de l’époque (2), mais je me souviens très
bien des têtes de chapitre.
De quoi y parlait-on ? De simplification
administrative, de financement et de trésorerie, de l’accès aux marchés
publics, d’encouragement à la création d’entreprises, d’aide à l’innovation, de
soutien à l’exportation, de facilitation de la transmission et de la succession
…
Nous avions aussi mis en avant notre déficit en entreprises
de taille moyenne (3), ce singulièrement par rapport à l’Allemagne.
Nous avions montré que c’était ce déficit qui expliquait largement la fragilité
du commerce extérieur français. C’était
lui aussi qui limitait le renouvellement de nos grandes entreprises, et leur
permettait de fonctionner un peu comme un club privé.
Nous avions pu relier ce déficit à l’importance du
crédit interentreprises, c’est-à-dire au crédit correspondant aux délais de
paiement : en France, la pratique était de payer à 90 jours, voire bien
davantage, dès que le rapport de force était défavorable au vendeur. Or l’essentiel
des clients des PME étant des entreprises de taille beaucoup plus grandes qu’elles,
le rapport de force ne leur était pas favorable, et elle attendait longtemps avant
d’être payé. Pour paraphraser un sketch de Fernand Renaud, célèbre dans les années
soixante, et relatif au temps nécessaire au refroidissement du fût d’un canon, combien
de temps attendaient-elles ? Un certain temps, le temps qu’il faudrait, le
temps que la grande entreprise voudrait…
En Allemagne, ce même délai était d’une dizaine de
jours. Du coup, l’importance des sommes correspondantes était considérable,
puisque, si l’on prenait un délai moyen en France de 90 jours, cela représentait
un écart moyen de 75 à 80 jours, soit donc plus de 20% de la valeur de la totalité
des échanges interentreprises, soit beaucoup plus que mille milliards de francs.
Étant au bout de la chaîne, les PME supportait l’essentiel
de ce crédit interentreprises, et finançait de fait tout le processus
industriel et le système bancaire : en simplifiant et en caricaturant, les
bénéfices qu’elles accumulaient, servaient en grande partie à abonder la
trésorerie des grandes entreprises et de la distribution (4). Elles
se trouvaient aussi dans la nécessité de se retourner vers les banques, en
quémandant des financements pour couvrir les besoins de trésorerie générés par
ces délais de paiement. Les banques avaient ainsi entre leurs mains la survie de
la plupart des PME, et leur faisaient payer le prix cher, notamment au travers
de la demande de caution personnelle. Résultat pour les PME : dégradation
de la rentabilité, fragilisation, situation de dépendance et alourdissement de
toutes les prises de décision.
Que se passait-il pour une PME qui était en situation
de croître rapidement ? Tout d’abord, sa capacité d’investissement était
diminuée par le coût du financement de son besoin en trésorerie, besoin qui suivait
linéairement la croissance de son chiffre d’affaires. Si elle arrivait malgré
tout à croître, à un moment, elle était le plus souvent étranglée, car elle ne
pouvait plus trouver le financement correspondant : les banques, trouvant
l’opération risquée, demandait de nouvelles garanties personnelles, qui
rapidement excédaient le patrimoine du dirigeant. D’où blocage, et, selon nos
estimations, source essentielle du déficit en entreprises de taille moyenne, et
c’était la raison essentielle selon nos analyses de notre déficit en
entreprises moyennes.
En Allemagne, rien de tel : le paiement quasi comptant
était la règle. Donc, il n’y avait pas de goulot d’étranglement à la croissance,
et une petite entreprise bien dirigée pouvait croître et financer son
développement sans entraves.
Compte-tenu de l’importance du sujet, nous avions alors
cherché à comprendre pourquoi de tels délais de paiement s’étaient développés en France, et pas en Allemagne.
Nous avions montré qu’il y avait un lien direct avec une différence existant entre
le droit commercial anglo-saxon et latin :
- Dans le droit anglo-saxon, le transfert de propriété n’était
pas effectué à la livraison, mais au paiement. Aussi, si une entreprise voulait
transformer un bien en l’intégrant dans son processus de production, ou le
revendre à un client, elle ne pouvait le faire qu'après elle l’avait
effectivement payé. D’où le développement du paiement comptant, ou quasi
comptant.
- Dans le droit latin, le transfert étant effectué à la
livraison, l’acheteur n’était pas contraint à le payer avant de le transformer
ou le revendre. Le délai de paiement était alors issu du rapport de forces
entre l’acheteur et le fournisseur. Aussi dès que l’acheteur était une grande
entreprise, le rapport de forces lui étant favorable, le délai de paiement se
rallongeait. D’où l’existence du crédit interentreprises en France.
En conséquence dans le plan en faveur des PME/PMI,
nous avions mis l’accent sur ce thème.
Qu’est-ce que j’observe plus de trente ans plus tard ?
Tous les plans en faveur des PME/PMI qui se sont
succédés – et il y en a eu autant que de gouvernements, si ce n’est plus –,
contiennent la même litanie d’objectifs : innovation, création, simplification,
financement… Les derniers ne font pas exception, qu’ils émanent du gouvernement, de l’ex-commission Attali ou de l’opposition.
Si j’étais cynique, je dirais que le bon côté est que
cela facilite leurs rédactions, et devrait diminuer le besoin en experts pour
le rédiger. Mais ce n’est pas le cas, et il est triste de voir que rien ne
bouge…
Quant au crédit interentreprises, a-t-il été réduit ?
Pas vraiment, voire pas du tout. On a d'abord modifié le droit français en y instituant
la clause de réserve de propriété, et si elle est présente dans un contrat
commercial, la transmission du bien n’a plus lieu à la livraison, mais à son
paiement.
Pourquoi alors rien n’a-t-il changé ? Pour une raison
simple : comme cette clause doit être négociée, elle n’est mise en œuvre que
si le rapport de force est favorable au vendeur. Résultat, loin d’avoir
favorisé les PME, elle s’est retournée contre elles : quand une PME achète
des produits à une grande entreprise, celle-ci impose la clause de réserve de
propriété, et la PME est condamnée à payer quasiment comptant. Allez imaginer la
même chose pour un petit sous-traitant de Renault ou PSA, ou un fournisseur de
Leclerc ou Carrefour. Pensez-vous vraiment qu’il va prendre le risque de perdre
un contrat en exigeant la présence de la clause de réserve de propriété ?
Plus récemment ces délais ont été plafonnés par la
loi à soixante jours, et on constate une amélioration. Il était
temps, car comme le reconnait l’Observatoire des délais de paiement dans l’introduction
de son rapport 2010 : « Simultanément, les efforts sur la réduction
des délais fournisseurs ne sont plus majoritairement supportés par les PME,
comme ce fut le cas entre 1999 et 2007, mais s’étendent désormais à la
sphère des ETI et des grandes entreprises.»
Il était temps, mais, notre
handicap reste très important vis-à-vis de l’Allemagne, et comme le note ce même
rapport : « le niveau moyen des
retards de paiement ne semble quant à lui pas diminuer : pour Altares,
en 2010 les entreprises en France « peinent à ne pas alourdir les
reports de paiement ». »
Tant que l’on ne l’aura pas rendu systématique, tant
que l’on en fera un point de négociation, rien ne changera : les PME
financeront la grande industrie et la grande distribution, les banques tiendront
entre leurs mains leur survie quotidienne, et nous n’aurons pas d’entreprises
moyennes.
Aussi, plutôt que de procéder par incantations,
plutôt que de jeter l’anathème sur les banques ou la grande industrie, pourquoi
ne pas s’attaquer à la cause, et, à l’occasion de la crise actuelle et de l’élection
qui arrive, ne pas modifier notre droit commercial, et faire de la clause de
réserve de propriété la règle.
Est-il utopique de vouloir pour une fois s’intéresser à la
source d’un problème, et non pas à des conséquences secondaires ou à des boucs
émissaires ?
(1) J’ai même été rapporteur auprès de Michel Hervé
et Daniel Houri pour leur Rapport sur le développement des PME-PMI en France (1983)
(2) L’informatique n’était pas encore née, et tout
était tapé sur des machines à écrire.
(3) Entreprise de plusieurs centaines de personnes
(4) C’était ce crédit qui avait soutenu la croissance
des grands groupes de distribution, car ils avaient fait financer leurs
investissements par leurs fournisseurs : comme un hypermarché était payé comptant
par ses clients et payait ses fournisseurs à 90 jours ou plus, il bénéficiait
d’une trésorerie positive qui pouvait financer sa croissance, et/ou être placée.
Ainsi la grande distribution largement financée par le crédit interentreprises,
se trouvait-elle en positon de force, car elle était
génératrice de trésorerie, et donc de placements à court terme.