Emboîtements et émergences (4)
Dans
Fourmiz, Woody Allen prête sa voix à l’ouvrière Z-4195, une fourmi pleine
d ‘états d’âme et amoureuse de la princesse Bala.
Personnellement,
à la différence de l’auteur de ce film, c’est une autre question qui
m’interpelle : une fourmi est-elle capable de comprendre, ou simplement de
percevoir les propriétés de la fourmilière, propriétés qui la dépassent, mais
auxquelles elle participe, et qui n’existeraient pas sans elle.
Ainsi
quand une de ses étonnantes fourmis d’Amérique du Sud, s’associe à ses voisines
pour créer un radeau qui va permettre à la fourmilière de devenir
insubmersible, sait-elle ce qu’elle fait et pourquoi elle le fait ? Ou
quand une autre de ses congénères se livre à la culture de champignons,
est-elle consciente de participer à créer une nourriture indispensable à la
survie future ? Et quand d’autres viennent au secours de nymphes pour
faire partir des prédateurs, ont-elles en tête le nectar que cette même nymphe
pourra donner en retour ? (voir La fourmi est petite, mais la fourmilière est grande)
Pas sûr
non ? Pas sûr du tout, même…
Prenons
maintenant un quelconque des microorganismes qui peuplent notre organisme. Nous
avons l’embarras du choix, car ils sont des millions de milliards à se promener
sur notre peau et en nous. Certains ne sont que de passage, rencontres
fortuites dues aux chocs aléatoires de la vie, mais d’autres participent à
notre bon fonctionnement.
Imaginez-vous
un instant de la « peau » d’un de ceux-là. Si pour la fourmi, vous
pouviez tout à l’heure avec moi avoir un doute, cette fois, aucune chance de
comprendre ce à quoi vous participez. La propriété à laquelle vous contribuez –
par exemple vous êtes en train de lutter contre un microbe mortel pour un homme
–, vous dépasse littéralement.
Prenons
maintenant une de nos cellules, et choisissons une des plus
« nobles », à savoir un neurone. Il s’agit bien d’un être vivant,
mais à nouveau, comment pourrait-il « savoir » ce à quoi il
participe ? Ou alors il y aurait des neurones géniaux, capables de se
dire : « Tiens, je viens d’intervenir dans le processus de
mémorisation d’une émotion ». Non, évidemment !
Telle
est bien la logique dominante des emboîtements et des émergences : on ne
comprend pas ce à quoi on participe, on agit et c’est tout... Et on n’a pas le
choix, car on n’a jamais vu une fourmi se rebeller contre ses congénères, un
antibiotique ne pas attaquer l’infection pour laquelle il était adapté, ou un
neurone bloquer volontairement sa synapse.
Ainsi
va la monde… sans une réelle compréhension de ce qui se passe.
Heureusement
que nous sommes arrivés, nous les humains avec notre intelligence et notre
capacité à tout analyser et comprendre. Certes, certes…
(à suivre)