19 juin 2013

ARRÊTONS DE CROIRE LES BALIVERNES DES ÉCONOMISTES, NOS SORCIERS MODERNES

Affirmer à l’avance que l’on va se tromper, n’est pas avoir raison
 A écouter les économistes, il est normal qu’ils se trompent. La plupart revendiquent même ceci comme la preuve de leur sérieux et de leur bonne foi.
Il est vrai que, vu le décalage constant qu’il y a entre leurs prévisions et la réalité, et leur incapacité à construire des théories explicatrices autrement qu’a posteriori, il était vital pour eux, d’intégrer l’erreur comme faisant parti de ce qu’ils appellent encore une science.
Un peu comme si un élève, conscient de son incapacité à fournir les bonnes réponses, avait prévenu son professeur que la plupart de ses devoirs seraient faux, et que, puisqu’il l’avait annoncé à l’avance, il devait avoir à chaque fois la meilleure note : il ne se trompait plus, puisqu’il savait que ses réponses n’étaient pas bonnes. Il avait donc raison, et son évaluateur devait en tenir compte.
Les économistes font de même : les crises sont cycliques et imprévisibles, et donc toutes leurs théories sont fausses… à part celle qui affirme que précisément leurs théories le sont… donc ils ont raison. CQFD !
Et le plus étonnant, c’est que tout le monde, ou presque, continue à les croire et les écouter. Pourtant aucun élève cherchant à appliquer la même tactique n’obtiendrait de bonnes notes, non ?
Alors pourquoi donc n’écoutons-nous donc pas plus quelqu’un comme Daniel Kahneman qui a longuement et en détail, expliqué pourquoi la science économique n’en était pas une, essentiellement parce qu’elle traite d’êtres théoriques les « Econs » alors que nous sommes des « Humans » (1) ? Pourquoi lui avoir donné un prix Nobel d’économie en 2002 ? Pour se donner bonne conscience, et surtout passer aux oubliettes tout ce qu’il dit ?
Et si jamais, vous pensez que j’exagère, pouvez-vous alors m’expliquer pourquoi nous avons encore des crises ? Et comment se fait-il que les économistes parlent sans cesse du taux de croissance, sans remarquer que nous sommes incapables de le connaître, puisqu’il est le taux de variation du PIB, et que nous ne savons pas réellement le mesurer précisément ?  PIB qui d’ailleurs ne mesure pas vraiment l’activité d’un pays…
Arrêtons donc de croire ces grands prêtres modernes qui ne comprennent pas plus ce qui se passe, que les sorciers de l’Antiquité ne connaissaient comment fonctionnait le corps humain.
Comme nous sommes devenus modernes, ne les brûlons pas, ignorons les simplement, et admettons que ce n’est pas par la mathématisation du monde que nous progresserons dans la compréhension de ce qui advient…

(1) Voir notamment son dernier livre « Thinking Fast and Slow » et la série d’articles que je lui ai consacrés

18 juin 2013

POUR UNE VRAIE RELANCE DE L’AMÉNAGEMENT DU TERRITOIRE

Réinventer la DATAR en tenant compte de la décentralisation et de la nouvelle donne économique mondiale 
Au moment de la montée des réseaux numériques, du brassage des populations – tant au sein du territoire national, que de l’Europe ou avec les autres nations – et de la perte de repères qui en est souvent induite, le territoire reste le lieu des cohabitations physiques et de l’incarnation d’un passé notamment culturel.
Il est aussi un des éléments de la compétition internationale pour toutes les implantations structurantes, que ce soit celles de grandes universités, de laboratoires de recherche ou d’unités de production majeures.
Ce n’est pas en menant des politiques sectorielles et verticales, décoordonnées entre elles, que l’on assurera la compétitivité de nos régions françaises, et le maintien des solidarités. Si l’on n’y prête pas garde, nos territoires nationaux peuvent se trouver « non compétitifs » par rapport à des localisations alternatives européennes… et au sein du territoire national, certains peuvent décrocher et se paupériser.
Une politique d’Aménagement du Territoire est donc plus que jamais nécessaire. Pourtant combien il est frappant de constater son absence : nos dirigeants politiques croiraient-ils que le monde est devenu virtuel, et que l’incarnation spatiale de ce qui est entrepris n’est plus un sujet important ?
L’Aménagement du Territoire ne peut évidemment pas se penser sans les Régions, c’est-à-dire que l’État n’est plus légitime à intervenir directement sur le territoire, mais il est le seul à pouvoir :
- assurer une péréquation entre les territoires pour que le succès des plus performants tire en avant ceux qui sont moins favorisés,
- articuler les politiques nationales entre elles,
- peser réellement au niveau européen et international, et défendre les régions françaises.
C’est le rôle d’une administration de mission capable de peser sur les politiques sectorielles de l’État, et s’assurer qu’elles s’articulent pour le mieux physiquement dans l’espace, et tisser des liens avec les Régions. C’est ce qu’a fait la Délégation à l’Aménagement du Territoire et à l’Action Régionale (DATAR) de sa création jusqu’au milieu des années 80.
Il est frappant ensuite de voir comme elle n’a jamais su repenser son rôle avec le développement de la décentralisation, et la modification de la donne économique mondiale. Elle s’est transformée petit à petit en une administration gérant les primes d’aménagement du territoire et les crédits européens, sans être capable d’incarner une vision et de peser sur les autres administrations. Pour l’essentiel, tout se passe sans elle… et l’Aménagement du Territoire est absent de toutes les grandes décisions…
La Datar fête cette année le cinquantenaire de sa création, et une renaissance est aujourd’hui indispensable sous la forme d’un retour aux sources : une équipe ramassée pilotée par un Délégué proche du pouvoir politique et porteur de la vision.
La suppression de la terminaison « Action régionale » serait souhaitable pour matérialiser que ce n’est pas à elle d’agir au plan régional : le rôle de la Datar devenue DAT serait d’avoir une vision transverse des politiques de l’État – c’est-à-dire s’assurant des articulations spatiales entre les routes, les universités, la santé… –, d’agir pour un rééquilibrage des ressources financières locales et de soutenir à l’international les champions nationaux. Elle développerait aussi une politique de relations contractuelles avec les Régions, en orientant le contenu des plans État-Région.
Relancer une telle politique est une urgence…

17 juin 2013

PENSER AVEC LES TRIPES

Il n’y a qu’un pas entre la pensée et la panse
Que serions-nous sans la magie et la puissance de notre cerveau ? Celle-ci repose sur la centaine de milliards de neurones qui s’y trouvent, et sur le réseau incroyablement complexe de tous les points de contacts qui les relient, les plus de cent mille milliards de synapses.
À côté de cette machine centrale, en existe une autre, plus petite, plus limitée, mais essentielle : le cerveau abdominal. En effet, les parois de nos intestins sont tapissées d’une centaine de millions de neurones. Mille fois moins donc que notre cerveau principal, cela semble bien peu…
Donnons quelques éléments de comparaison : le cerveau d’un éléphant comprendrait vingt-trois milliards de neurones, celui d’un singe entre cinq à dix milliards de neurones, celui d’un chat un milliard, celui d’une pieuvre trois-cents millions, celui d’un rat une soixantaine de millions, celui d’une grenouille moins de vingt millions, celui d’une abeille un million et celui d’une fourmi deux-cent cinquante mille. (1)
Donc par rapport à cette échelle, notre cerveau abdominal se trouve entre le rat et la pieuvre… ou encore équivalent à cinq grenouilles travaillant en réseau. Peut-être est-ce pour cela que nous avons parfois des gargouillis gastriques : est-ce donc nos neurones intestinaux qui discutent entre eux ?
Ou aussi notre cerveau abdominal a la puissance de cent abeilles là encore mises en réseau, ou de quatre cents fourmis. Ressentons-nous des fourmillements internes ?
Mais la question n’est pas là, et il n’y a évidemment pas de comparaison entre la puissance de ce cerveau local, et celui qui pilote l’ensemble de notre corps, et est la source de nos processus conscients et inconscients.
À quoi donc sert-il, s’il ne contribue pas à nos pensées ?
À gérer localement le processus de digestion, et la complexité des échanges avec le système sanguin : comment digérer, que faut-il laisser passer, de quoi faut-il se protéger. Le fait que la gestion soit assurée localement et sans intervention du cerveau central, permet des actions ultrarapides, comme, par exemple, le déclenchement de vomissements. Cela allège aussi d’autant l’encombrement du système principal.
Les deux cerveaux sont-ils totalement indépendants ? Non, ils sont réunis par un nerf au joli nom, le nerf vague. Son rôle reste encore imprécis, mais, s’il assure une forme de synchronicité entre les deux, il n’entrave pas l’autonomie du cerveau abdominal.
Ce principe d’organisation n’est pas inintéressant pour réfléchir au management des entreprises, et la façon de développer de vrais processus décentralisés…
Décidément plus nous avançons dans la compréhension de nos mécanismes cérébraux, plus on s’écarte de la vision de Descartes, et de son célèbre « Je pense donc je suis »… à moins qu’il faille le réécrire avec un néologisme : « Je panse et je suis » !
(1) Source Wikipedia – List of animals by number of neurons

14 juin 2013

SHOOTÉ À L’ADRÉNALINE

Dans l’effervescence de Calcutta (2010) (1)
Mon séjour à Calcutta a eu lieu avant et après le cocon de Darjeeling (voir les billets publiés les vendredis précédents). En tout, j’ai passé une douzaine de jours dans la folie de l’ancienne capitale des Indes britanniques.
Impossible de résumer tout ce que j’y ai vécu et ressenti. Ce billet, ainsi que celui qui suivra, ne sont que des flashes pour évoquer, bien maladroitement, les émotions d’alors… ou plutôt la trace qu’il m’en reste.
La rue, tout d’abord, y est folie. Les voitures envahissent l’espace, et les quelques policiers perdus au milieu des carrefours, ne sont que les témoins impuissants d’une jungle urbaine.
Mais, autant, à Pékin, j’ai toujours ressenti le flux automobile comme une agression, autant, bizarrement, à Calcutta, je l’ai vu comme une injection d’adrénaline.
J’y ai marché sans fin au hasard de mes bifurcations. Un peu comme à New-York. Calcutta est le New-York du nouveau nouveau monde. Nouveau nouveau monde qui est d’abord la résurgence d’un ancien perdu…
A Darjeeling, je m’endors et plonge au plus profond de mes méandres mentaux. A Calcutta, je vibre et me réveille dans le magma des énergies collectives.
J’aime ces deux photos prises alors.
Ce drive inn, qui mélange vente de voitures d’occasion et restaurant. Vivante concrétisation du double sens du mot restauration… Jeu de mots aussi entre le drive in et le drive inn. Suis-je ici en un endroit dédié à la voiture, où la nourriture des corps n’est que l’accessoire ? Ou l’inverse ? Ou les deux, dans une acceptation, toute bouddhiste des contradictions apparentes ?
Ces forts des halles qui transportent sur leurs têtes ce qui approvisionne le marché de détail voisin. Ils semblent s’être maquillés et vêtus pour être à la hauteur de leur fonction. Suis-je dans un film ou dans la réalité ?  Dans la réalité bien sûr, et il faut mon mental d’occidental repu pour y voir un spectacle… alors qu’ils ne cherchent qu’à gagner les quelques roupies qui leur permettront de faire vivre leur famille…

13 juin 2013

FAIRE DES CHOIX POUR DEVENIR UN FLEUVE, ET NON PAS SEULEMENT UN AFFLUENT

Naissance des entreprises et des idées (7)
Dans mon livre précédent, les Mers de l’incertitude, j’évoquais qu’une entreprise devait avancer comme un fleuve, vers la mer qu’elle s’était choisie, et qu’ainsi, elle devenait chaque jour un peu plus forte. Pour prolonger et enrichir cette métaphore, je dirais que, si une entreprise ne sait pas se focaliser et clarifier sa stratégie, elle ne deviendra pas un fleuve, mais une rivière, c’est-à-dire qu’elle sera vassale d’autres entreprises : jamais elle n’atteindra de mer, et contribuera à ce que d’autres l’atteignent. C’est ce que fait Semco en aidant des multinationales à se développer au Brésil.
Acquérir une position forte et de premier niveau, ne peut pas se faire sans choix stratégiques. Ceux-ci ne se font pas ex nihilo, mais en comprenant ce que l’on a commencé sans avoir procédé à des analyses préalables. 
L’Oréal a pu devenir un leader mondial de la cosmétique qu’en abandonnant Monsavon et en se focalisant sur la beauté ; Georges Claude, avec son associé Paul Delorme a su rapidement lancé mondialement ce qu’il avait trouvé par hasard ; Mark Zuckerberg n’a eu qu’une obsession : comprendre pourquoi Facebook se développait, et l’améliorer chaque jour un peu plus…
Prendre le temps d’observer ce qui se passe, d‘analyser même ce qui nous dépasse sans se perdre dans les détails… et se faire l’apôtre et le prophète de sa vision. Telles sont les conditions requises pour devenir un fleuve.
Voilà tout ce que je vais expliciter en détail dans mon livre, Les radeaux de feu, qui sortira en octobre prochain.

12 juin 2013

SE FOCALISER POUR POUVOIR ÊTRE MONDIAL

Naissance des entreprises et des idées (6)
Peut-on construire une entreprise résiliente sur la seule promotion de la responsabilité individuelle et la capacité à saisir tout ce qui se présente, quitte à l’abandonner dès que cela n’en vaut plus la peine ? Peut-on appliquer ces principes pour construire un leader mondial ?
Je ne crois pas, et d’ailleurs, si Semco est incontestablement une réussite (1), elle n’est pas devenue un leader, et est restée locale. En fait, chacune de ses unités est au service d’une entreprise mondiale dont elle a assurée le succès au Brésil, prenant sa dîme au passage : Rockefeller pour l’immobilier, Johnson Controls pour la gestion des aéroports et des hôpitaux ou Environmental Resources Management pour les services à l’environnement.
Pourquoi donc ce qui est vrai au début, à la naissance d’une entreprise ou d’une innovation, devient insuffisant par la suite ? Pourquoi agir sans bien savoir pourquoi on le fait, sans vision projective, est insuffisant ? Pourquoi, en d’autres mots, la réflexion stratégique, est-elle nécessaire ?
Parce que dans le Neuromonde qui est le nôtre, les leaders sont mondiaux et arrivent à opérer de façon synchrone, tout en tirant parti des spécificités locales. Ceci ne peut pas se faire sans focalisation et adhésion collective à la même vision : Air Liquide a réussi à s’imposer en évitant la dispersion, L’Oréal en se centrant progressivement sur la beauté, 3M en ne sachant mondialiser ses innovations.
Si l’entreprise, à l’instar de Semco, se contente de saisir les opportunités qui se présentent, sans les trier, sans les hiérarchiser, si toutes les initiatives sont jugées bonnes pour peu qu’elles soient autoporteuses, rien n’est consolidé, et l’entreprise ne se renforce pas au fur et mesure de sa progression.
(à suivre)
(1) Mais je reste troublé par l’absence de toute information chiffrée depuis 2003. Semco est-il toujours aussi performant aujourd’hui ?

11 juin 2013

POURQUOI TRAITER LES SALARIÉS COMME DES ENFANTS, ET NON PAS COMME DES ADULTES ?

Naissance des entreprises et des idées (5)
Laissez-moi vous parler d’une autre entreprise étonnante, Semco, une entreprise brésilienne, reprise et développée par Ricardo Semler. Entre 1983 et 2003, son chiffre d’affaires est passé de quatre à deux-cent douze millions de dollars, et ses effectifs de 90 à 3000 personnes. Une des recettes de son succès : aucune décision centralisée, chaque développement est né d’une initiative locale (1). Pour qu’un projet soit autorisé, il suffit à son promoteur de démontrer qu’il est possible et rentable. Pas besoin pour cela de tirer des plans à long terme, ni de prouver que le business correspondant est important. Non, il suffit de montrer qu’il est possible de le lancer sans perdre d’argent. Ensuite tous les ans, il devra prouver à nouveau qu’il est juste de la poursuivre, ce au travers d’une question simple : si Semco n’était pas dans ce métier, se lancerait-elle dedans ? Si la réponse est non, on plie bagage.
Autre remarque de Ricardo Semler : pourquoi traiter les salariés comme des enfants, et non pas comme des adultes. « En dehors de l'usine, les ouvriers sont des hommes et des femmes qui élisent le gouvernement, servent dans l'armée, dirigent des projets communautaires, construisent et élèvent des familles, et prennent des décisions chaque jour au sujet du futur. Des amis sollicitent leurs avis. Des vendeurs les courtisent. Des enfants et des grands-parents les respectent pour leur sagesse et leur expérience. Mais dès qu'ils sont dans l'usine, l'entreprise les transforme en adolescents. Ils doivent porter des badges avec leurs noms, arriver à une heure précise, se mettre en ligne pour pointer ou aller manger, demander la permission pour aller aux toilettes, donner plein d'explications chaque fois qu'ils sont cinq minutes en retard, et suivre des instructions sans poser de questions. » (2)

Évident et troublant, non ? Mais, est-ce si simple ? Peut-on construire une entreprise résiliente sur la seule promotion de la responsabilité individuelle et la capacité à saisir tout ce qui se présente, quitte à l’abandonner dès que cela n’en vaut plus la peine ? Peut-on appliquer ces principes pour construire un leader mondial ?
(à suivre)
(1) How we went digital without a strategy de Ricardo Semler - Harvard Business Review - September-October 2000
(2) Managing without managers - Harvard Business Review - September-October 1989

10 juin 2013

CROIRE AU FUTUR AU-DELÀ DES ANALYSES IMMÉDIATES

Naissance des entreprises et des idées (4)
Savez-vous qu’en 1927, Harry Warner, un des quatre frères Warner à l’origine des studios Warner Bros, affirma : « Qui pourrait bien avoir envie d’entendre les acteurs parler ? », et qu’en 1943, Thomas Watson Président d’IBM dit : « Je pense qu’il y a la place pour peut-être cinq ordinateurs dans le monde entier ». Pourtant quelques années plus tard, leurs entreprises devenaient des leaders mondiaux grâce à ces innovations jugées au départ par eux sans potentiel.
En 1964, Spencer Silver, un chimiste de 3M, invente en s’amusant, une drôle de colle qui ne colle qu’à elle-même. Faute d’applications, elle échoue dans un placard. En 1974, Art Fry, un collègue de Silver, a l’idée d’utiliser cette colle pour fixer les signets qu’il utilise comme marquer les psaumes dans son hymnaire. Non seulement, cela marche, mais il peut même les repositionner. Reste à améliorer le procédé et à trouver comment lancer le produit, ce qui prendra encore quatre ans. Ce n’est qu’en 1978 que le produit est testé avec succès et qu’el 1980 qu’il prend le nom de post-it. Vous connaissez la suite…
A la fin des années soixante-dix, les ingénieurs de Sony Electronics développent le Pressman, un prototype pour permettre aux journalistes d’enregistrer facilement leurs interviews. Mais pas moyen d’arriver à une qualité sonore suffisante pour faire ensuite la transcription, aussi ce prototype est mis au rebut, et ne sert aux ingénieurs qu’à écouter de la musique dans leur bureau. Un peu plus tard, parce que Masaru Ibuka, co-fondateur de Sony, veut pouvoir écouter de la musique dans les avions lors des vols long-courriers, ces ingénieurs reprennent ce prototype, suppriment toute fonction d’enregistrement et le dotent d’un casque. Impressionné par le résultat, Ibuka en parle à son collègue Akio Morita. Celui-ci se tourne vers les équipes marketing qui lui disent que l’idée n’a pas d’avenir : qui pourrait bien avoir envie de marcher dans la rue en écoutant la musique au travers d’un casque ? Les revendeurs ne croient pas non plus à un appareil qui ne sert qu’à écouter. Mais Akio et Masaru s’obstinent et font développer le produit. Le Walkman allait naître…
Ainsi l’émergence de la stratégie n’est pas l’apanage des petites entreprises : elle est aussi le cas des grandes. Est-ce à dire donc qu’il ne sert à rien de réfléchir à long terme et de se fixer un objectif ? Réussit-on simplement quand on a de la chance ? Les entreprises qui gagnent sont-elles juste celles qui ont eu la présence d’esprit d’amplifier et mondialiser ce qui était né par hasard ?
Je ne le crois pas… et même pas du tout.
(à suivre)

7 juin 2013

24 HEURES À BERLIN

On fait comme on peut…
Foutue journée. Vous savez une de ces journées où, rapidement, on se dit : « J’aurais dû rester au lit ! ». Rien de très grave n’arrive, mais rien ne va.
C’est ce qui arrive à Niko. Il commence par quitter sa copine et la laisser en plan, sans claire raison. D’ailleurs nous ne saurons jamais bien pourquoi il fait ceci plutôt que cela, nous ne serons que les témoins impuissants de cette enfilade de mauvaises nouvelles et rebuffades. Rapidement nous comprendrons qu’il n’y est pas pour rien, que la vie lui rend un peu la monnaie de sa pièce, mais aucun doute, nous sommes de son côté, et avec lui, sans les comprendre, ni les anticiper, nous recevons les coups, les uns après les autres.
Le fil rouge de ces vingt-quatre heures d’errance dans Berlin où telle une boule de billard un peu folle, il rebondit sur les bandes, est son incapacité à obtenir un café. Quoi de plus frustrant que de ne pas arriver à assouvir une envie si basique ? Tout se ligue contre lui : un bar où le café est trop cher, un père qui lui dit que ce n’est pas le moment, une machine défectueuse, un bar de nuit qui n’en sert plus…
Je ne vous dirai rien de la nature de ses différents échecs – à quoi bon aller voir le film si vous connaissiez tout à l’avance –, si ce n’est que j’ai été embarqué par ce road movie urbain et nostalgique, une ode à l’impuissance qui m’a laissé un goût doucement amer dans la bouche.
Décidément, notre époque n’est plus celle des cow-boys conquérants ou des shérifs style Clint Eastwood, les héros n’en sont plus… ils ne sont plus qu’un « boy » parmi d’autres, qui fait comme il peut et là où il peut. Oh boy !

6 juin 2013

ATTRAPER LE FUTUR PAR INSTINCT, PLUS QUE PAR LOGIQUE

Naissance des entreprises et des idées (3)
Je pourrais multiplier les exemples à l’infini : à chaque fois, quand un entrepreneur se lance, ce n’est ni au vu d’une stratégie claire, ni d’un business plan détaillé. Non, c’est parce qu’il en ressent le besoin en lui, et qu’il saisit l’idée qui se présente, celle à laquelle il croît. Pourrait-il expliquer pourquoi il agit ainsi ? Très probablement pas. Mû par ses pulsions, poussé par ce qui émerge de ses processus inconscients, il sait qu’il doit le faire. Bien sûr, il n’avance pas tête baissée, et mobilise ses processus conscients pour trouver les moyens d’avancer, mais ce n’est pas ce qui l’a fait démarrer.
Ensuite ce qui fait la différence, c’est la capacité à observer ce qui advient, passer du temps à identifier pourquoi ceci marche et ceci non, savoir s’entourer, trouver les capitaux nécessaires, et avancer le plus vite possible. Et cette alchimie est rare et exceptionnelle : toutes les innovations chimiques involontaires ne donnent pas naissance à des multinationales et des leaders mondiaux dans leur secteur ; toutes les bricolages faits dans des garages ne se transforment en des L’Oréal bis ; toutes les frustrations initiales ne font pas de ceux qui les subissent des milliardaires.
Mais mon propos est de noter que, dans son étape initiale, aucune entreprise naissante n’a une stratégie claire, ou, si elle en a une, ce n’est pas celle qu’elle suivra et qui l’amènera à réussir. Comme pour les radeaux des fourmis de feu, la solution émerge sans qu’elle soit pensée a priori, et si l’on attrape son voisin, c’est plus par instinct et intuition inconsciente, qu’à cause d’une pensée structurée et réfléchie.
D’ailleurs, ce qui est vrai dans ces moments initiaux, l’est encore souvent plus tard.
(à suivre)

5 juin 2013

COMMENCER SANS VISION

Naissance des entreprises et des idées (2)
Un jour de 1907, au fonds d’un garage, Eugène Schueller, jeune chimiste de vingt-six ans, met au point une formule de synthèse à base de composés chimiques inoffensifs permettant de teindre les cheveux. Le fait-il parce qu’il sait que c’est la première étape nécessaire à la naissance du futur leader mondial de la beauté ? A-t-il, des heures durant, rempli des feuilles et des feuilles de calcul sur son cahier – malheureusement pour lui, la magie des tableurs excel n’existait pas encore, et c’est à la main qu’il aurait dû les faire… – pour identifier précisément quel serait le marché à cinq et dix ans, et son besoin de trésorerie ? Je ne crois pas … En 1929, il achète Monsavon. Avait-il compris alors que cette base était nécessaire pour lancer avec succès en 1936 le shampooing Dop et Ambre Solaire, puis, grâce à la trésorerie dégagée par sa vente au début des années soixante-dix, pour permettre à L‘Oréal d’investir dans le développement de Lancôme ? Non, n’est-ce pas…
Sautons maintenant à l’ère contemporaine, celle qui est peuplée de spécialistes en stratégie et de financiers aguerris qui savent lire de la boule de cristal des tableurs excel, et des modèles mathématiques sans cesse plus perfectionnés.
En octobre 2003, Marc Zuckerberg, étudiant à Harvard, pirate la base de données de l’Université pour en extraire les photos des étudiants et étudiantes. Pourquoi cela ? Juste pour créer un jeu en ligne qui permet à chaque étudiant de voter parmi les photos présentées deux par deux, et dire celle qui est « hot », et celle qui ne l’est pas. Le succès est foudroyant et immédiat : tous les étudiants se précipitent pour voter. Mais, face au tollé des victimes et à l’illégalité du piratage initial, le site est rapidement fermé par l’administration. Impressionné par son succès largement imprévu, quelques mois plus tard, en février 2004, avec quelques amis, il récidive en lançant un nouveau site, cette fois, plus sophistiqué qui permet aux étudiants d’échanger entre eux. En mars, il est étendu aux Universités de Stanford, Columbia et Yale : Facebook est lancé.
A-t-il alors une vision de l’importance future et mondiale des réseaux sociaux ? A-t-il procédé à une étude montrant qu’un outil manquait ? A-t-il procédé à des tests multiples ? A-t-il la volonté de révolutionner le monde de l’informatique ? Fort de la puissance des tableurs, a-t-il modélisé combien sa croissance serait fulgurante ? Sait-il que six ans plus tard, Facebook serait un des leviers des révolutions arabes ? Se voit-il l’introduisant en bourse huit ans plus tard pour plus de cent milliards de dollars ? Pas vraiment… Non, il croît simplement à son projet, et, si la légende est exacte, au départ, y voit un moyen de s’amuser et de sortir de son isolement. D’ailleurs lui-même dit, parlant du premier site : « Une chose de sûre, c’est que je suis un salaud d’avoir fait ce site. Mais, bon, quelqu’un devait le faire de toute façon… ». Et quand il lance le deuxième, il n’imagine pas avoir plus que quelques centaines d’inscrits. Ils furent nettement plus de mille au bout de vingt-quatre heures…
(à suivre)

4 juin 2013

DES IDÉES QUI NE NOUS EMMÈNENT PAS LÀ OÙ NOUS PENSIONS ALLER

Naissance des entreprises et des idées (1)
Tout au début du vingtième siècle, Georges Claude, ingénieur chimiste, invente l’acétylène dissous, mais le développement de cette innovation est bridé par le prix trop élevé du carbure de calcium. Il pense alors pouvoir réduire ce dernier, en remplaçant l’électricité nécessaire à la fabrication du produit, par la combustion du charbon par l’oxygène. Sans succès. Mais du coup, il s’intéresse à l’oxygène et invente un nouveau processus de liquéfaction de l’air. C’est ce qui assure le décollage de son entreprise. Au passage, l’oxygène sauvera aussi l’acétylène dissous en lui apportant le débouché du soudage et du coupage. Ainsi la boucle est bouclée, et l’aventure d’Air Liquide a pu partir… mais pas du tout comme il l’avait prévu. La vision et la stratégie n’ont pas été conçues a priori, elles ont émergé du chaos et de l’enchaînement des actions. C’est ce qu’il résume lui-même : « La vérité, c’est que j’avais une idée, une idée pas fameuse, mais qui a eu quand même d’utiles conséquences, comme il arrive parfois aux plus mauvaises idées. »
En 1902, cinq hommes d'affaires de Two Harbors dans le Minnesota fondent la société Minnesota Mining & Manufacturing (3M). Leur objectif : exploiter une mine dont ils pensent qu'elle renferme un corps minéral idéal pour la fabrication de papier de verre et de meules. Mais ce corps minéral s'avère de piètre qualité, et trois ans après, 3M part s'installer à Duluth pour se concentrer sur la fabrication de papier de verre. Encore cinq ans et surtout des années difficiles, 3M quitte Duluth pour St Paul dans le Minnesota. Enfin, les innovations techniques et commerciales commencent à porter leurs fruits et, en 1916, 3M verse son premier dividende. Pouvaient-ils imaginer qu’ils prendraient successivement pied en 1925 dans les rubans adhésifs, le célèbre scotch, dans les années quarante dans les rubans magnétiques, en cinquante dans les tampons de récurages, puis pêle-mêle dans les produits pour la radiologie, le contrôle d’énergie, le marché des bureaux, les produits pharmaceutiques modificateurs de la réponse immunitaire, et le fameux post-it ? Pas vraiment… Un point commun, l’innovation, et la capacité à la décliner mondialement dans des applications multiples. L’art de construire de grands chiffres d’affaires en agglomérant des multitudes de niches.
Rappelez-vous ces fourmis de feu qui apprennent à construire des radeaux pour survivre sans que l’on sache bien comment, et qui sont capables de s’agripper les unes aux autres dès qu’elles sentent l’inondation arriver. Certes à nouveau nous ne sommes pas des fourmis, mais il y a plus de proximité entre la réalité de la naissance d’Air Liquide ou de 3M et leurs radeaux, qu’avec les matrices d’analyse stratégique du Boston Consulting Group ou de McKinsey, ou la recherche de « Patterns » de Mercer Management Consulting. Toujours la capacité humaine de trouver a posteriori des explications à ce qui a émergé sans volonté claire et maîtrisée.
(à suivre)

3 juin 2013

SAVOIR NE PAS SE DISPERSER

Le Développement industriel et économique en France (5)
Comment donc redonner du tonus au tissu industriel français ?
Outre le développement d’une expertise indépendante et réelle, telle que je l’ai déjà mentionné, et une politique fiscale réaliste vis à vis des entreprises – qui doit être pensée autour de l’idée centrale du développement : « comment favoriser et accélérer la croissance des entreprises » –, l’action publique doit se centrer sur quelques thèmes, et ne pas se disperser.
D’abord s’attaquer au raccourcissement effectif des délais de paiement, par la modification du transfert de propriété : mettre fin à ce cancer qui mange la trésorerie des PME et les empêchent de grandir,
Puis simplifier vraiment les procédures administratives : arrêter d’en parler – c’est un leitmotiv de toute action gouvernementale… mais rien ne se passe, ou si peu – et le faire. En  comprenant aussi que cela suppose un arrêt de la prolifération réglementaire…
Et pourquoi ne pas lancer un pari ambitieux avec les autres pays de la Méditerranée du Sud ? Pourquoi, comme l’Allemagne a su trouver un nouveau dynamisme en tissant des liens avec les pays de l’Est, ne pas nous appuyer sur nos liens historiques avec l’Algérie, le Maroc, la Tunisie et le Liban pour trouver des ressorts neufs pour notre croissance ?
En effet, l’Allemagne tire notamment sa force du maillage tissé avec les pays de d’Europe centrale et orientale. Il ne s’agit pas de sous-traitance, mais d’un modèle de co-développement, qui bénéficie à l’industrie de ces pays, tout en renforçant la compétitivité du tissu industriel allemand. Il repose pour l’essentiel sur l’externalisation de fragments de la chaîne de valeur. Tel est la logique de la colocalisation.
Dans un document de décembre 2012, « Pour une stratégie euro-méditerranéenne de colocalisation », l’Ipemed a mis en évidence que le temps de la colocalisation est venu en Méditerranée en couplant l’Europe et les Pays du Sud et de l’Est de la Méditerranée : « L’Europe, la France en particulier et les pays de la Méditerranée occidentale pourraient tout en s’inspirant du modèle coopératif, capitaliser sur les expériences réussies de colocalisation en vue de créer une grande région euro-méditerranéenne et demain une grande région associant Europe, la Méditerranée et l’Afrique. »
L’État, s’il se dote de la bonne organisation – pourquoi ne pas s’inspirer des commissariats à l’industrialisation mis en place par la DATAR dans les années 70 ? – pourraient aider les grosses PME, c’est-à-dire celles qui sont susceptibles de s’impliquer dans un processus de colocalisation, sans avoir assez de ressources propres pour le mettre en place de façon indépendante.
Enfin que l’État s’appuie sur les Régions pour définir avec elles et au travers d’elles, des actions décentralisées maillant le territoire des bons réseaux, notamment en développant les liens entre les Universités, les centres de recherche, les pépinières d’entreprises et les PME en place…
Nous avons les ressorts de la croissance et du dynamisme. Notre pays est riche de son passé, de sa culture, des hommes et des femmes qui y ont grandi, de ceux qui l’ont rejoint, du futur qu’ils peuvent tous ensemble construire. Retrouvons confiance en nous et en les autres.

31 mai 2013

TEA TIME

Dans les brumes de Darjeeling (2010) (3)
Dernière évocation de mon séjour 2010 dans les brumes de Darjeeling. Après avoir paressé plus d’une semaine dans la chambre du Seven Seventeen (voir mon billet de vendredi dernier), je me suis décidé à bouger un peu pour me rendre à Kurseong. Trente kilomètres parcourus avec le train à vapeur.
A Kurseong, je m’écarte rapidement du brouhaha et de l’effervescence de la route centrale, pour me glisser parmi les plantations de thé. Là, lové en leur cœur, se trouve l’hôtel Cochrane Place.
Une vieille bâtisse avec de grandes chambres confortables, une allure de musée, habillée de bois et de meubles anciens. De ma fenêtre, si jamais les brumes se dispersent, les feuilles de thé se reproduisent à l’infini.
A côté de la salle de restaurant, un bar à cocktail propose une carte surprenante : ce ne sont que des cocktails de thé, mélangeant les saveurs et les rapprochements étonnants.
Mais à Kurseong, il n’y a pas que les humains qui apprécient le thé, les animaux aussi. Comme vous pouvez le voir sur ces photos que j’ai prises alors, pour les vaches et les chèvres, c’est aussi tea time ! Mais il est vrai qu’ils le mangent, et ne le dégustent pas infusé. Les anglais pourtant passés par ces terres, n’ont pas dû avoir le temps de leur inculquer les bonnes manières.
Autre surprise découverte entre l’hôtel et le centre de Kurseong : le Darjeeling Polytechnic. Ma chère école d’origine me poursuivrait-elle jusque dans ces brumes ?
Rapidement, je suis rassuré, ce n’est qu’une amusante coïncidence. Je peux donc continuer sans crainte ma douce déambulation dans les terres de l’Inde du Nord.
Un peu plus tard, un taxi collectif me remmènera jusqu’à la gare de Siliguri, où je prendrai un train pour Calcutta…

(Cochrane Place, 132 Pankhabari Road, Fatak, West Bengal, Kurseong 734203, Inde)

30 mai 2013

PRIVILÉGIER LA RÉGÉNÉRESCENCE DU TISSU INDUSTRIEL

Le Développement industriel et économique en France (4)
En fait, selon des analyses croisées et convergentes, la tendance lourde de baisse des activités industrielles en France se corrèle à trois phénomènes :
- Le premier spécifique à la France est notre déficit de confiance en nous, et les uns avec les autres (1). Or la confiance est le moteur essentiel du développement : tout investissement ou création est un pari vers l’avenir ; tout travail collectif est un abandon à l’autre. Ce point est lié directement avec le système éducatif français qui donne une part essentielle aux évaluations individuelles et sanctionne de fait tout travail collectif. 
- Le deuxième aussi spécifique est lié à la dérive excessive et constante des délais de paiement, qui se traduit par un transfert massif de ressources depuis les PMI/PME vers la grande distribution et les grandes entreprises. Il est d’ailleurs flagrant que le seul secteur où l’on ait vu fleurir de nouvelles grandes entreprises d’origine française est depuis trente ans, celui de la grande distribution. Les sommes en jeu sont considérables, puisqu’elles représentent plus de 500 milliards d’euros. Elles sont très probablement la raison majeure du déficit de la France en entreprises moyennes. Cet abus en matière de délai de paiement se corrèle directement avec une spécificité du droit français qui organise le transfert de propriété non pas au paiement, mais à la livraison. (2)
- Le troisième concerne tous les pays occidentaux : depuis le début des années 80, nous faisons face à un rattrapage des pays dits émergents – qu’il conviendrait d’ailleurs appelés émergés –, dont essentiellement la Chine, l’Inde et le Brésil. Le mouvement en cours est loin d’être terminé et devrait se prolonger encore pendant dix à vingt ans. (3)
C’est sur ce socle structurel, qu’est venu se rajouter l’excès des charges sociales. Il faut revenir dessus, mais faire seulement cela, serait inefficace…
Enfin, le développement du tissu industriel s’est fait au travers de la constitution d’un réseau de plus en plus complexe de relations intra et inter-entreprises, rendant difficile l’analyse réelle de la localisation de la création de la valeur ajoutée. Ce n’est pas parce qu’un produit est assemblé dans un pays donné, que les composants qui interviennent dans son élaboration le sont aussi. De plus, souvent une part importante de la valeur ajoutée est dans le processus industriel lui-même, et dans l’origine des machines-outils et des systèmes informatiques qui le pilotent. Il faut donc se garder d’une analyse trop rapide et de conclusions hâtives.
En conclusion et en résumé, une politique de développement industriel et économique devrait :
- Partir de la complexité des organisations en place, tant au sein des entreprises qu’entre elles,
- Ne pas chercher des pseudo-remèdes dans un passé rêvé et révolu,
- Ne pas se leurrer sur la capacité de lutter contre le courant de fond du rééquilibrage au profit des pays émergés,
- Bâtir une stratégie sur cet état de fait,
- Savoir que la confiance, la capacité ensemble et l’anticipation sont les leviers majeurs de création de valeur durable.
La capacité d’intervention directe de l’État vis-à-vis des grandes entreprises, hormis les quelques-unes dont il détient une part du capital significative, ne peut se faire réellement efficacement qu’au travers de la définition du cadre réglementaire et fiscal.
La question centrale de la politique de l’État en matière de développement industriel n’est donc pas celle de l’action directe sur les grandes entreprises, mais celle de la régénérescence du tissu industriel, et donc du développement et de la pérennité des PMI/PME : comment rendre vivant le tissu industriel et y permettre la croissance des entreprises.
(à suivre)
(1) Voir notamment les travaux d’Yves Algan, et singulièrement le dernier livre auquel il a participé « La fabrique de la défiance », et sa vidéo « Construire une société de confiance »
(2) Voir mon article conjoint avec Stéphane Cossé de fin décembre 2012 dans le Figaro (« Les PME ont besoin d’un geste confiance ») et dans les Échos (« PME, encore une effort M. Ayrault »)
(3) Voir mon article paru dans le Cercle Les Échos « Faire face à la convergence des économies mondiales »

29 mai 2013

FAIRE LE BON DIAGNOSTIC

Le Développement industriel et économique en France (3)
Agir pour relancer réellement l’emploi industriel en France, c’est aussi ne pas se tromper dans le diagnostic :
Ne pas croire que le repli de l’emploi industriel est un mal récent : il ne date pas de ces dernières années, et remonte à beaucoup plus de trente ans. Il suit une pente régulière et constante. Ceci ne signifie pas que rien ne puisse être fait, mais qu’il est faux de le lier à une perte de compétitivité récente de l’emploi en France. Il s’agit d’un phénomène structurel qui est resté peu ou prou identique que ce soit sous des gouvernements de gauche ou de droite, avec ou sans les 35 heures…
Ne pas analyser l’emploi industriel en tant que tel : même les activités des industries de base intègrent dans leurs processus une part croissante de logiciel et d’innovation. Il convient donc de penser ceci comme un tout. D’où le choix de parler de « Développement industriel et économique ». Ceci ne recouvre pas le développement des activités purement financières ou de distribution, sauf pour leur interface avec les activités industrielles et économiques (notamment pour le financement de leur développement, ou l’éventuelle captation de valeur par la distribution).
Confondre compétitivité et coût salarial : analyser la compétitivité des entreprises uniquement à partir du coût salarial est une erreur profonde, car aujourd’hui la performance d’une entreprise repose d’abord sur le niveau d’engagement de ses collaborateurs, leur compréhension et leur adhésion à la vision et à la stratégie, l’adéquation entre leur formation et les tâches à entreprendre, leur capacité à travailler ensemble et à prendre les bonnes initiatives… et très secondairement ensuite sur leur coût direct. La période du travail à la chaîne décrit dans les Temps Modernes de Charlie Chaplin est bien dépassée… (1)
(à suivre)
(1) Voir mon article paru en janvier 2012 dans le Cercle Les Échos, « Le coût dutravail n'explique pas l'écart avec l'Allemagne » 

28 mai 2013

SE DOTER D’UNE CAPACITÉ D’EXPERTISE INDÉPENDANTE

Le Développement industriel et économique en France (2)
Le développement industriel d’un pays ne naîtra pas de la réinvention du dirigisme public, mais il est illusoire et dangereux de l’abandonner aux seules lois du marché.
En effet, compter sur un engagement des grandes entreprises en faveur de la Nation où elles sont nées, est une illusion, et relève soit d’une méconnaissance du fonctionnement maintenant global des grandes entreprises, soit d’une croyance, un peu naïve, dans la parole de leurs dirigeants : une entreprise doit d’abord quotidiennement se battre pour sa survie, et préparer son futur.
Elle le fait en s’impliquant dans les territoires où elle opère, mais elle peut de moins en moins en privilégier un plutôt qu’un autre. Simplement pour celles pour lesquelles la France reste la base principale, il y a un intérêt commun de fait, et qu’il s’agit donc d’entretenir. Ni plus, ni moins…
Quant à tout le discours sur la responsabilité sociale des entreprises, il abrite bien rarement une réalité sincère. Certes les concepts de développement durable et de codépendance entre une entreprise et son environnement, font leur chemin, mais cette avancée n’en est qu’à son début. Pour la plupart des entreprises, ce n’est qu’un discours, une façon de se défausser à bon compte d’un vrai sujet et d’une réelle responsabilité.
Aussi, quand un État s’appuie sur une grande entreprise et ses services techniques, pour obtenir des expertises et croît qu’elles seront indépendantes, et non pas au service des intérêts de l’entreprise, il fait à nouveau preuve de méconnaissance ou de naïveté : une entreprise aura toujours à cœur de défendre d’abord ses intérêts propres.
Se doter d’une expertise propre et indépendante est donc de mon point de vue une priorité :
- Pour permettre à l’État d’orienter ses choix, ainsi que ceux des Régions tant dans les sujets restant de sa prérogative (politique de santé, développement des énergies nouvelles, tutelle des entreprises publiques,…) que pour l’élaboration des plans d’actions avec les Régions (notamment en matière de choix de pôles d’excellence et de support à mettre en place),
- Pour être un lieu à la disposition des PMI/PME, et de leurs organisations professionnelles (notamment les chambres de commerce et d’industrie) pour apporter des éclairages, et faciliter des prises de décision,
Mais pas pour décider à la place des entreprises…
(à suivre)

27 mai 2013

INUTILE D’ALLER EN APPELER À LA STATUE DU COMMANDEUR !

Le Développement industriel et économique en France (1)
Au moment où l’on sait que la performance des entreprises passe par la décentralisation et la responsabilisation des équipes locales, il y aurait pour le moins un contresens de voir les pouvoirs publics choisir un chemin inverse.
Arrêtons de croire que la solution viendra d’un retour aux formules issues du passé, et de la réincarnation d’un « De Gaulle » sauveur !
Non, compte-tenu de ce qu’est devenu notre monde contemporain, le Développement industriel et économique ne passera pas par la récréation, sous une forme ou une autre, d’un Commissariat au Plan directif, et un pilotage accru par l’État.
Comment en effet, quel que soit son niveau de compétence, une équipe restreinte pourrait-elle trouver des solutions à des problématiques complexes, en perpétuelle mouvement, et entremêlées ?
Non, les entreprises ne sont pas des êtres méchants, voulant la mort de la France, et l’appauvrissement des habitants. Elles ne sont pas non plus des enfants en mal d’un père qui les aiderait à mieux décider.
Mais, ne tombons pas dans la naïveté inverse, il ne faut pas non plus attendre que, naturellement, du jeu d’un marché naisse la solution…
(à suivre)

24 mai 2013

TÉLESCOPAGES INSOLITES : DES CHIENS, UN CAFÉ ET UN TRAIN

Dans les brumes de Darjeeling (2010) (2)
Parfois péniblement, j’arrive à sortir de ma torpeur immobile et à déambuler dans les rues de Darjeeling.
Parmi ceux qui me regardent passer, figurent les chiens qui hantent les rues. En fait, de jour, plutôt que de se trouver sur les rues, dont ils peuvent être chassés à tout moment d’un jet de pierres par un Indien mécontent, ils dorment paresseusement sur les toits des maisons.
C’est la nuit qu’ils sont actifs. La ville est alors à eux, et ils se poursuivent sans cesse dans des jeux qui n’en sont peut-être pas. Groupés en meute, ils partent à l’assaut les uns des autres, mimant ces guerres tribales que nous savons si bien faire. Souvent je suis réveillé par leurs cris, et passe alors de longues minutes, appuyé au rebord de ma fenêtre à les regarder courir de toutes parts.
Rien à voir avec nos chiens qui sont eux artificiels, reconstruits, recoiffés, coupés de leurs racines, transplantés dans nos habitudes. Ici, les chiens sont bruts, et vivent entre eux. Aux côtés des hommes, mais s’en s’immiscer dans leurs habitudes. C’est probablement pour cela que, de jour, ils se gardent de bouger. Par peur de nous rencontrer…
Un jour, pris par une poussée pédestre, je me suis aventuré plus loin, et suis sorti du bourg principal. Au détour d’une sente, un café au nom improbable, le Woodstock Corner. Impossible de passer devant sans m’y arrêter.
Je n’y trouve ni la foule de ce concert mythique, ni les décibels déchaînés d’un rock band, mais juste une ambiance reggae, entretenue par un patron nostalgique. Étrange tasse de thé bue dans ces tôles décalées. Quelques minutes plus tard, le laissant là dans son présent suspendu, je rejoins les brumes de mon hôtel.
Comme je l’ai fait à mon arrivée, on peut arriver à Darjeeling en voiture. C’est l’option la plus rapide et la plus courante. Mais il en existe une autre, infiniment plus pittoresque, et plus en adéquation avec la poésie du lieu : un train avec une locomotive fonctionnant encore à la vapeur.
Voyager dans ce train, c’est découvrir le plaisir d’un voyage quasiment immobile, car, dès que la route monte un peu, les piétons nous dépassent. En descente, il se lâche dans une course débridée, flirtant probablement avec les vingt km/h. Ivre de cette vitesse, il tremble de toutes parts.
Amoureux de ces wagons sans âge, je l’ai pris plusieurs fois. Occasions de longues lectures, face à des bancs de brumes qui, pour peu qu’il y ait un peu de vent, me doublaient…
La vidéo ci-dessous vous donne une idée de cette épopée ferroviaire.


23 mai 2013

AVOIR UN PROJET SUR LES ORGANISATIONS PUBLIQUES

Management politique et organisation publique (3)
Un leader politique dans nos sociétés contemporaines et démocratiques, doit donc avoir compris que le temps du dirigeant qui, fort de son pouvoir de décision, pouvait décider de tout était bien révolu.
Mais lui suffit-il d’avoir cette capacité de sentir ce qui est dans l’air et vers quoi tendent les évolutions, telle que je l’évoquais hier ?  Doit-il se contenter de la faire partager pour qu’elle se cristallise ? Ou formulé autrement, la vision et la parole sont-elles suffisantes ?
Non, car pour revenir sur la comparaison avec le management des entreprises, ce serait commettre la même erreur qu’un dirigeant qui ne s’intéresserait pas à la méta-organisation, c’est-à-dire selon quels principes son entreprise est structurée.
Pour diriger et faciliter les émergences, dire et faire partager sont nécessaires, mais il faut aussi mettre chacun en situation de mieux agir, et donc se préoccuper de son cadre de vie, de la clarté de sa mission propre et de son articulation avec les autres. Ce sans sombrer dans le détail des organisations, mais en restant au niveau des principes, pour laisser les managers locaux et les acteurs en place les définir précisément.
Aussi suis-je surpris – c’est un euphémisme – du peu de place accordée par les politiques à la réflexion sur les organisations de l’État.
Comment ne pas voir que ce n’est pas du seul énoncé d’un projet que le changement naîtra ? Pourquoi nommer de nouveaux ministres, sans repenser en profondeur la façon dont l’action publique est conduite, et donc ses organisations ? Pourquoi ne se poser la question de l’organisation de l’État qu’une fois arrivé à la direction des affaires publiques ? N’est-il pas naïf de demander à ceux qui sont en place de se transformer d’eux-mêmes au vu de ce projet ?...
Ne serait-il pas pertinent dès l’élaboration d’un programme politique d’avoir une réflexion sur l’organisation du système public ? Ne devrait-elle pas aussi porter sur l’ensemble du champ de ces organisations, et donc inclure tant les institutions européennes, que les structures locales – Région, Département, Communes - ?
Ne serait-il pas légitime pour les citoyens de choisir non pas seulement sur des intentions et des affirmations, mais aussi sur les principes des modalités d’action ?