Grâce à nos langages, nous interprétons le monde dans lequel nous vivons
Extrait des Mers de l’incertitude
Le premier langage est celui de
notre langue et de ses mots. Mais ce n'est pas le seul qui peuple notre cerveau
: les mathématiques ou le jeu d'échecs sont aussi des langages. Là où le
profane ne voit que des assemblages de lettres, de chiffres et de symboles, le
mathématicien lit le problème et architecture des solutions ; là où le débutant
ne voit que des pièces juxtaposées sur un échiquier, le joueur averti voit des
configurations avec lesquels il va construire des stratégies.
Si l’on présente à un joueur
d’échec averti des pièces correspondant à une partie réellement jouée, il lit
la configuration, la mémorise très rapidement, et pourra la reproduire sans se
tromper. Si les pièces sont posées au hasard, il ne verra plus de configuration
et aura autant de difficulté qu’un débutant à se souvenir de la localisation
des pièces. De même un Chinois, face à un texte écrit en mandarin, lit les
caractères, là où je ne vois que des traits que je suis incapable de
reproduire. Si ces caractères étaient des traits faits au hasard, il se
retrouverait dans la même situation que moi.
Ainsi, avec nos langages, nous
lisons la situation présente et l'enrichissons de notre expérience tirée de
notre passé. De tout ceci, naissent nos interprétations, mélanges du passé
recomposé, du présent perçu et du futur imaginé, toutes intimement liées à
chaque individu car elles reposent d'abord sur l'histoire personnelle (tant
dans sa partie réellement vécue que dans tout l'imaginaire associé), sur les
déformations de la mémoire et sur l'analyse de la situation présente, sans
parler de la perception que chacun peut avoir du futur. On n'est donc pas près
de pouvoir modéliser et prévoir des interprétations individuelles !
Qu'en est-il de la communication
entre individus ? Pour faire court, communiquer est un objectif impossible !
Vous êtes surpris par ma formulation, vous pensez que j'exagère… Je ne crois
vraiment pas. Quand vous voulez exprimer quelque chose, quoi que ce soit, vous
employez des mots qui correspondent, pour vous, au sens que vous voulez donner.
Pour cela, vous vous référez à votre mémoire et à la compréhension que vous
avez de ce que vous voulez dire. Celui qui reçoit votre message, l'interprète,
lui, à partir de son histoire, son expérience et l'ensemble de ses ressorts
émotionnels propres. Les deux sont, sauf en cas d'histoire commune longue et
dense, structurellement différents.
Comment arrivons-nous alors à
communiquer ? Par l'existence d'usages et de règles collectives qui ont
construit progressivement des sens communs. Par des ajustements progressifs et
aussi beaucoup grâce à la communication non verbale : celle-ci ne passe plus
par les mots, mais sollicite essentiellement les neurones miroirs qui nous
permettent de « lire l'autre »
L’entreprise, elle aussi, se
nourrit d’interprétations. Comme pour un individu, elles reposent sur la
mémoire et des langages. Les langages sont essentiellement ceux des mots, mais
pas seulement : chaque population technique a son propre langage qui est un de
ses vecteurs d’efficacité. Les mots eux-mêmes dans une grande entreprise
relèvent des langues multiples : même s’il existe toujours une langue dominante
qui sert de support à la communication collective, cela suppose pour bon nombre
un double effort de traduction.
On a ainsi des langages multiples
et donc autant de traductions qui sont des risques d’incompréhension et
d’erreurs. Pour faire court, et m’exprimer en langage populaire : « Ce n’est
pas gagné ! »...
Comment franchir ces obstacles en
entreprise ? Un des leviers est la construction d’une culture commune,
c’est-à-dire d’un langage commun. Ce langage va reposer sur un ensemble de
signes verbaux et non verbaux qui seront des raccourcis permettant à chacun
d’échanger et de construire une compréhension commune face à une situation
donnée. Établir une telle culture ne se fait pas en un jour, la comprendre et
la parler ne s’apprend ni dans les manuels de management, ni dans les tableurs
Excel.
1 commentaire:
Oui, Robert, j'en ai fait l'expérience concrète lorsque j'ai créé une nouvelle culture d'entreprise parallèlement à la transformation de cette même entreprise
pour que les mots soient associés aux réalités nouvelles et non plus aux anciennes, j'ai inventé et fait adoptés des slogans représentatifs des situations nouvelles
ces slogans sont progressivement devenus le symbole de la nouvelle culture d'entreprise
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