Est-il possible de penser le temps et le possible ?
Patchwork de « Le possible et le réel » de Henri
Bergson
Sur le temps
« Le temps est ce qui
empêche que tout soit donné d’un coup. Il retarde, ou plutôt il est
retardement. Il doit donc être élaboration. »
« Demain n’existe pas ;
rien de ce qui se passera demain n’existe. Par conséquent, demander si cette
proposition : « Je me promènerai demain » est vraie ou fausse, c’est poser une
question qui n’a pas de sens, parce que c’est demander si cette proposition est
conforme ou contraire à ce qui existe, et que demain n’existe pas encore,
n’existe pas maintenant. »
« Il est du caractère de
la vérité, dès qu’elle nous apparaît comme vérité, de sauter hors du temps et
de nous apparaître comme intemporelle. Pourquoi cela, et quelle est la racine
de cette illusion ? Elle tient, Messieurs, à ce que j’indiquais tout à l’heure,
au caractère essentiellement mathématique de notre esprit. Je disais que nous
ne sommes à notre aise que dans les mathématiques. Le caractère des vérités
mathématiques, c’est précisément d’être intemporelles, d’être indépendantes du
temps. (…) Une proposition comme celle-ci :
« Je me suis promené hier »… a ceci de commun avec les propositions
mathématiques qu’à partir du moment où elle est vraie, à partir du moment où
elle est devenue vraie, elle reste éternellement vraie. (…) Seulement les
vérités mathématiques ont ceci de remarquable que bien qu’elles aient été
découvertes à une certaine date, leur éternité remonte en arrière à l’infini.
Cette proposition relative au triangle : « La somme des trois angles d’un
triangle est égale à deux droits », cette vérité, quoiqu’ayant été découverte à
un moment déterminé, est une vérité éternelle, qui a remonté en arrière, cela
est vrai de toute éternité. »
Sur le possible et le réel
« Je voudrais revenir sur
un sujet dont j’ai déjà parlé, la création continue d’imprévisible nouveauté
qui semble se poursuivre dans l’univers. Pour ma part, je crois l’expérimenter
à chaque instant. J’ai beau me représenter le détail de ce qui va m’arriver :
combien ma représentation est pauvre, abstraite, schématique, en comparaison de
l’événement qui se produit ! »
« La réalité est
croissance globale et indivisée, invention graduelle, durée : tel un ballon
élastique qui se dilaterait peu à peu en prenant à tout instant des formes
inattendues. »
« Dans ce sens
particulier, on appelle possible ce qui n’est pas impossible. (…) Possible
signifiait tout à l’heure « absence d’empêchement. »
« C’est le réel qui fait
le possible, et non pas le possible qui devient réel. »
Sur la pensée rétrograde
« Je dis qu’il y a des
pseudo-problèmes, et que ce sont les problèmes angoissants de la métaphysique.
Je les ramène à deux. L’un a engendré les théories de l’être, l’autre les théories
de la connaissance :
-
(Le premier) ne se pose que si
l’on se figure un néant qui précéderait l’être. On se dit : « Il pourrait ne
rien y avoir. » (…) Mais analysez cette phrase : « Il pourrait ne rien y avoir.
». Vous verrez que vous avez affaire à des mots, nullement des idées, et que «
rien » n’a ici aucune signification. (…) Nous ne percevons que du plein. (…) Ou
l’idée d’une suppression de tout a juste autant d’existence que celle d’un
carré rond.
-
Tout désordre comprend ainsi
deux choses : en dehors de nous, un ordre ; en nous, la représentation d’un
ordre différent qui est seul à nous intéresser. »
« Comment ne pas voir que
si l’événement s’explique toujours, après coup, par tels ou tels des événements
antécédents, un événement tout différent se serait aussi bien expliqué, dans
les mêmes circonstances, par des antécédents autrement choisis – que dis-je ?
par les mêmes antécédents autrement découpés, autrement distribués, autrement
aperçus enfin par l’attention rétrospective ? »
« A toute affirmation
vraie nous attribuons ainsi un effet rétroactif ; ou plutôt nous lui imprimons
un mouvement rétrograde. (…) Elle paraît ainsi avoir préexisté, sous forme de
possible, à sa propre réalisation. De là une erreur qui vicie notre conception du
passé ; de là notre prétention d’anticiper en toute occasion l’avenir. »
« Les signes
avant-coureurs ne sont donc à nos yeux des signes que parce que nous
connaissons maintenant la course, parce que la course a été effectuée. »
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