Arrêtons de dire et faire n’importe quoi
L’ensemble des experts économiques, et des responsables politiques prennent
actuellement leurs décisions au vu des taux de croissance des économies, et de
leur évolution. Comme ceci se traduit dans l’évolution effective des taux
d’intérêt que chacun de nous, directement ou indirectement, payons, ainsi que
dans le niveau de nos impôts et la qualité effective des services publics, il
est important de s’assurer que ces taux sont bien pertinents.
Reprenons donc comment ils sont
calculés.
Tout part du PIB, c’est-à-dire du
produit intérieur brut. Il faut d’abord accepter que ce PIB soit représentatif
effectivement l’économie réelle du pays en question. Cela reste à démontrer,
mais, soyons bon prince, et acceptons-le…
Ensuite, on calcule donc le taux
de croissance du PIB, c’est-à-dire la variation de ce PIB pour une durée
donnée, qui est le plus souvent l’année : on prend donc le PIB d’une année
N que l’on compare à celui de l’année N-1.
Supposons que le PIB soit mesuré
à 1% près. Cela signifie que l’on ne sait pas si la réalité se situe en dessus
ou en dessous, et ce à un pour cent. Comme les phénomènes de la vie sont
chaotiques, on ne peut pas non plus dire que l’on se trompe toujours dans le
même sens. On peut juste au mieux espérer avoir borné le taux d’erreur à 1%.
Donc si l’on se trompe par excès lors de l’année N-1, rien ne dit que l’on ne
se trompe pas par défaut en année N, ou l’inverse.
Que se passe-t-il alors pour le
taux de croissance ?
-
Si le taux de croissance calculé
est de 2%, le taux de croissance est en fait compris entre 0 et 4%, et sans que
l’on puisse dire où il se trouve dans l’intervalle. (1)
-
Si le taux de croissance calculé
est de 1%, l’imprécision est cette fois plus forte, car on ne peut même plus
être certain qu’il y a bien une croissance, car le taux se situe entre -1 et
3% ! (2)
Supposons maintenant que le PIB
soit calculé dix fois plus précisément, c’est-à-dire à 0,1% près, que se
passe-t-il ?
-
Si le taux de croissance est de
2%, il est compris entre 1,8 et 2,2%.(3)
-
Si le taux de croissance est de
1%, il est compris entre 0,8 et 1,2%.
Comme les taux de croissance de
tous les pays occidentaux se situent entre 1 et 2%, et que l’on tire des
conclusions sur eux-mêmes et leurs variations, j’en déduis donc que l’on sait
calculer les PIB à 0,1% près.
Comment sérieusement pourrais-je
croire cela ? Mon expérience de consultant m’a montré que la réalité
du chiffre d’affaires d’une entreprise
est au mieux approchée à quelques % près. Comment pourrait-on faire mieux pour
un pays, réalité infiniment plus complexe et mouvante ?
J’en conclus donc que tout ce que
l’on raconte et énonce à partir des taux de croissance est sans fondement…
Pour ce qui est de la France, le
taux de croissance est annoncé à 1,5% pour 2010. Si l’on admet que le PIB de
2009 et 2010 est exact à 1% près, le taux français est en fait compris entre
-0,5% et 3,5%, et nous n’avons aucun moyen de savoir où il se situe au sein de
cet intervalle.
Or on discute d’évolution du taux
de croissance de + ou – 0,2%, évolution qui ne serait même pas mesurable, si le
PIB était exact à 0,1% près !
Et je fais remarquer que le plus
probable est que l’on se trompe de beaucoup plus que de 1% sur le PIB, ou
encore que l’écart entre le PIB et la réalité de l’économie française est de
plus de 1%...
Et dire qu’en plus, on parle de
taux de croissance prévisionnel !
Tout ceci ne serait pas grave si
l’on était en train de jouer au Monopoly avec de faux billets. Mais c’est bien
de l’argent, du travail et de la vie de tout un chacun qu’il s’agit !
Mon propos n’est évidemment pas
de dire que l’on devrait se désintéresser de savoir comment va l’économie de
nos pays, et si elle est ou non en croissance, mais que ces taux ne le mesurent
pas, et ne veulent rien dire.
Ne serait-il pas temps de s’en
rendre compte, et d’arrêter de – excusez la brutalité de mon propos – dire,
et donc de faire collectivement
n’importe quoi ? Il y a urgence…
(1) Le PIB initial est donc
compris entre 99 et 101, et le PIB après croissance entre 101 et 103 (102 ± 1).
Comme on ne peut pas affirmer que l’erreur est toujours dans le même sens, le
taux de croissance est compris entre (103/99 - 1) et (101/101 - 1), soit 4% et 0%.
(2) Le PIB initial est toujours
compris entre 99 et 101, et après croissance cette fois, il est entre 100 et
102 (101 ± 1). Le taux de croissance est donc compris entre (102/99 – 1) et
(100/101 – 1), soit entre 3% et -1%
(3) Le PIB initial est compris
cette fois entre 99,9 et 100,1, et après croissance entre 101,9 et 102,1. Le
taux de croissance est donc entre (102,1/99,9 - 1) et (101,9/100,1)/100,1 – 1),
soit entre 2,2 et 1,8 %.
(4) LE PIB initial est toujours
entre 99,9 et 100,1, et après croissance cette fois entre 101,1 et 100,9. Le
taux de croissance est donc entre (101,1/99,9 – 1) et (100,9/100,1 – 1), soit entre
1,2 et 0,8%.
4 commentaires:
J'aime bien l'analyse, mais il y a un présupposé que je trouve encore plus gênant: pourquoi l'évolution de l'année à venir devrait-elle être identique à celle de l'année passée ? Cela revient à considérer que les conditions n'ont pas changé ? Je veux bien admettre qu'il y a une certaine continuité dans le système et que l'évolution du passé peut servir de prédicteur pour la suivante mais quant à sa précision...
Vous avez tout à fait raison. Je me suis seulement mis dans le cas le plus favorable, pour montrer que, même dans ce cas-là, le calcul d'un taux de croissance est impossible.
Nous devons admettre l'imprévisibilité des phénomènes, et ne plus croire que l'on peut les mathématiser.
Comme faire pour arrêter de croire cela ?
D'abord simplement de ne plus le croire et le faire savoir autour de vous : il faut diffuser cette "rebellion"
Ensuite en réfléchissant alors comment suivre réellement ce qui se passe : quels sont les indicateurs issus du monde réel et non agglomérés qui peuvent être pertinents ?
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