Un autre des commandements de la « Table de la
loi » de l’incertitude
Extrait des Mers de l’incertitude
Quand on évalue, on mesure la productivité. Classiquement, on met en regard
les dépenses allouées et les résultats obtenus. On se pose ensuite la question
de l’efficacité, et notamment celle de la diminution des coûts en supprimant
ceux qui sont les moins productifs.
Ceci présente deux risques majeurs qui, l’un comme l’autre, peuvent emmener
l’entreprise sur la mauvaise pente.
D’abord la mort comme résultat ultime de la règle magique des 80/20 : quoi
que j’observe, je vais constater que 80 % du résultat est obtenu avec 20 % des
efforts faits, et si l’on zoome sur les efforts les moins efficaces, on
constate que les derniers 5 % ont un impact très faible1. Alors, arrive la question
inévitable : pourquoi l’entreprise ne supprime-t-elle pas ces efforts qui ne
sont pas rentables ? Imaginons maintenant que l’entreprise, suite à cette
étude, arrête effectivement ces efforts. Un an plus tard, la même étude est
menée, et identifie à nouveau 5 % d’efforts « inefficaces », car la loi des
80/20 continue à s’appliquer. Que fait-on ? Coupe-t-on aussi ces efforts-là ?
Si oui, il n’y a aucune raison que cela s’arrête, et, on va par étapes vers le
système le plus productif, le seul qui ne consomme aucune ressource
inefficacement, en fait celui qui ne consomme plus du tout de ressources : la
mort. C’est ce que l’on appelle aussi le « syndrome du wagon de queue » : quoi
que l’on fasse, il y en aura toujours un… même si on enlève celui qui l’est
actuellement. Oui, bien sûr, je simplifie et je caricature. Mais, au cours de
mes vingt ans de pratique de consultant, j’ai croisé bon nombre d’entreprises
qui, ayant suivi des démarches successives simplistes de productivité, avaient
entamé très fortement leur processus vital et leur capacité à se développer.
Ensuite, la rigidité comme résultat de la cure d’amaigrissement : par construction,
une approche classique de mesure de la productivité ne peut prendre en compte
que ce qui est déjà identifié. Elle va considérer comme non productif tout ce
qui ne peut pas être relié à un bénéfice connu. Or, en milieu incertain, comme
je l’ai indiqué à plusieurs reprises, la survie à long terme d’une entreprise
va dépendre de l’existence de ressources disponibles, de redondances et d’un
flou dans les systèmes.
Aussi l’application brutale et sans discernement d’une démarche de productivité
va conduire à supprimer tout ce flou et rendre l’entreprise cassante : elle est
tellement tendue qu’elle ne pourra plus s’adapter. Tout est mis en ordre, il
n’y a plus de désordre, et donc plus de capacité à s’adapter à un changement de
l’écosystème dans lequel vit l’entreprise. Ainsi ceci peut conduire à l’anorexie,
anorexie qui est une maladie, et non pas le témoin d’une performance future :
l’anorexie conduit au temps de dinosaures, ces méga-entreprises vulnérables au
moindre changement climatique.
3 commentaires:
Bravo Robert! Bien parlé.
As-tu lu, dans la même veine, le billet d'un camarade de ma connaissance sur le Blog de l'UNIPEF (http://blog.unipef.org/2012/01/07/un-etat-anorexique/)? A vrai dire, il a fait flop auprès des lecteurs, alors que ceux-ci s'étaient déchaînés sur le nom du nouveau corps ou sur nos primes. Pas assez sérieux sans doute. J'espère que tu as des lecteurs plus charpentés.
Tu poses une vraie question. Gare à l'anorexie qui a déjà intoxiqué les esprits de nombre de nos éminents camarades, qui poussent à la réduction du format du corps comme sanction fataliste de notre inutilité" patente aux yeux de l'Etat empoloyeur, alors qu'ils devraient se retrousser les manches pour nous proposer des horizons qui chantent!
On déjeune un de ces jours?
Merci !
Oui l'anorexie est une maladie contagieuse... On ne prend plus vraiment le temps de réfléchir de nos jours.
Cet article est aussi paru sur les Echos où je publie maintenant très régulièrement (2/3 articles par semaine) : "Comment tuer une entreprise en l'évaluant" (http://lecercle.lesechos.fr/entreprises-marches/management/autres/221143073/comment-tuer-entreprise-levaluant). L'article est plus complet et regroupe trois parutions sur mon blog.
L'article a été fortement lu, twitter ,et repris aussi sur un autre site qui reprend avec mon accord mes articles (voir http://www.cfo-news.com/Comment-tuer-une-entreprise-en-l-evaluant_a21485.html) et là aussi fortement twitter...
Le patient met du temps à se remettre s'il veut guérir mais le pire c'est que l'anorexie est souvent mortelle.
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