Nouvel extrait de mon roman Double J
Au pied des chênes qui
peuplaient le terrain, poussaient des truffes, ces étonnants et capricieux tubercules
qui grandissaient mystérieusement sous terre. La truffe m’était apparue comme
une étonnante métaphore de moi-même. Comme moi, elle grandissait cachée, dans
l’obscurité, rebelle à toute domestication, toute culture. On pouvait passer à
côté d’elle, à quelques centimètres, sans s’en rendre compte. Elle ne faisait aucun
bruit, ne se manifestait que discrètement par le brûlé au pied de l’arbre et
une odeur subtile que seul un animal pouvait déceler. Chercher des truffes,
c’était participer à un spectacle de prestidigitation. Au départ, il n'y avait
rien, juste des chênes, de la terre et quelques plantes éparses. Et puis,
quelques secondes après, grâce à l'odorat du chien et au talent de son maître,
la truffe était là, comme un lapin sorti du chapeau. Elle ne se révélait que
par eux, le chien et son maître. Avant, elle n’existait pas, restait virtuelle.
A quoi pensait la truffe dans
son refuge souterrain ? Avait-elle peur d’être trouvée, ou à l’inverse,
vivait-elle dans l’attente d’être découverte et d’accéder au monde ? Est-ce que
vivre pour elle, c’était grandir cachée et protégée ? Savait-elle qu’elle
serait mangée dès qu’elle serait trouvée ? Était-ce pour cela qu’elle mûrissait
le plus doucement possible et que, le moment venu, quand elle était prête,
émettait une odeur presque imperceptible ? Essayait-elle d’échapper au monde du
dehors, ce monde qui allait la dévorer ?
Je ne pouvais pas ne pas faire
le lien entre ma vie et les truffes. Comme elles, j’avais besoin de me cacher,
de me protéger. Je n’avais pas grandi au soleil, mais dans l’ombre et
l’obscurité. Jacques m’avait-il trouvé parce que j’étais mûr pour émerger au
grand jour ? Allait-il me manger ?
A l’opposé des truffes, il y
avait les pierres. Autant les truffes étaient vivantes et cachées, autant les
pierres étaient mortes et apparentes. Posées les unes sur les autres, sans
ciment, sans aucun liant, elles dessinaient des lignes aléatoires. Les murs en
pierres sèches étaient la structure et l’ossature du paysage, ils le
découpaient et l’architecturaient. Ces murs, je les avais d’abord regardés,
sans bruit, respectueusement. Puis, j’avais appris à les compléter, les réparer
et, de temps en temps, les prolonger, voire les créer. J’avais, à ma façon discrète
et progressive, commencé à écrire avec des pierres dans un jardin. Cette
écriture minérale était lente, physique et paradoxale : je n’étais content de
mon travail, que si personne ne se rendait compte que le mur avait été fait ou
refait. Il devait se fondre dans le paysage et s’intégrer comme s’il avait
toujours été là. Ce devait être une œuvre intemporelle, une œuvre semblant exister
depuis l’origine des temps.
C’était dans cette niche que
j’avais voulu poursuivre l’écriture de mon histoire. Elle était l’endroit
logique pour soutenir son émergence.
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