14 mai 2012

LE RÔLE DU POLITIQUE EST DE REDONNER DES ESPÉRANCES, DE RECONSTRUIRE L’ESPOIR

Au-delà des risques de violence à court terme, pour le futur multiculturel, Paris est mieux placé que Shanghai (2)
Le phénomène de mondialisation participerait ainsi de l’augmentation du sentiment d’insécurité ?
En quelque sorte, mais cette sensation d’insécurité n’est pas liée à un accroissement de l’insécurité proprement dite. La différence tient à notre perception. Pendant longtemps, le risque était en effet circonscrit localement : ce qui se passait à Shanghai ne concernait que faiblement Paris. Le temps qu’une modification importante et imprévue à Shanghai arrive à Paris nous laissait le délai nécessaire pour en être informé et donc, éventuellement, nous préparer. Ce qui était imprévu mais lointain était prévisible, et non pas incertain.
Aujourd’hui, le fait de se toucher, avec des objets monde et hyper-connectés, développe des phénomènes de quasi-instantanéité (voire dans certains cas d’instantanéité) qui nous soumettent à toute incertitude à quelque endroit qu’elle apparaisse. La probabilité de survenance d’un phénomène extrêmement improbable ne s’est pas intensifiée : c’est le nombre d’endroits où il peut se produire et notre sensibilité à sa survenance qui ont augmenté. On se retrouve dès lors incapable de réellement "prévoir". Pour reprendre la métaphore précédente, on entend sans arrêt du bruit dans les feuilles et on craint la présence de tigres. D’autant plus que notre classe politique et dirigeante, dans laquelle j’inclus les experts, est prise dans le même mouvement : elle ne parle que de tigres, ne prend aucune hauteur de vue et n’explique pas assez que l’incertitude est d’abord une bonne nouvelle. Cette attitude développe de façon considérable le phénomène pathogène de l’inquiétude. Je ne nie pas qu’il y ait des tigres, bien sûr. Mais il n’y a pas toujours des tigres !
En quoi le fait urbain est-il un catalyseur, voire un accélérateur de cette inquiétude ?
Parce qu’il joue terriblement sur le phénomène de proximité lié aux 7 milliards d’individus que nous sommes désormais. On se retrouve soumis aux aléas des autres, à l’intensification de leur présence.
Utilisons encore une fois une métaphore. Dans le monde de l’incertitude qui est le nôtre, il faut raisonner au prisme du cours des fleuves. Imaginez que vous êtes sur le pont Mirabeau, que vous regardez couler la Seine et essayez de savoir où elle va. Depuis le pont, vous ne pouvez pas le savoir ! Vous descendez alors pour rejoindre la berge et marchez dans le sens du fleuve, mais au bout d’un ou deux jours, ou même une semaine, vous ne savez toujours pas où elle va. Pragmatique, vous prenez un bateau et la voyez tourner un coup à gauche, un coup à droite, puis encore à gauche, au gré des méandres. Au bout d’un moment, vous abandonnez en pensant que ce cours d’eau ne sait pas où il va. Pourtant la Seine va à un endroit précis : la mer. Pour le comprendre, il faut savoir que c’est un fleuve, qu’il y a une mer qui l’attire, et que cette mer est son futur.
Dans le monde de l’incertitude qui est le nôtre, ce n’est pas l’observation des choses qui permet de comprendre ce qu’elles sont, encore moins ce qu’elles vont advenir. C’est la prise de recul qui seule permet de déceler les déterminants qui restent stables. Car le monde est chaotique au sens mathématique du terme : il existe des points stables (les attracteurs) qui sont des points de convergence des forces. Ce sont ceux-là qu’il convient de retrouver. Bien sûr, on est toujours attiré par la beauté, on a toujours faim et besoin d’échanger. Ce sont des points fixes. Mais quand on est dans la turbulence, comme dans les villes, on ne voit rien, on peut oublier l’essentiel. Mais on n’a aucune chance de comprendre où va la Seine tant qu’on est dans le cours de la Seine, ou sur le pont Mirabeau !
Il faut sortir de l’eau, s’affranchir des effets de turbulence, pour comprendre la complexité de notre monde. Sinon, à force d’être pris dans ces turbulences, nous et les autres ne raisonnons plus. Nous restons prisonniers de nos représentations, et de nos passions.
Dès lors, quel pilotage politique promouvoir à l’échelle d’une métropole, qui est un condensé du monde "accéléré et turbulent" qui est le nôtre ?
L’essentiel est de redonner des espérances, de reconstruire l’espoir. C’est le rôle du politique. Beaucoup de phénomènes de violence urbaine, collective, relèvent à mon avis de la désespérance absolue. Majoritairement, les gens sont aujourd’hui persuadés que le futur s’annonce moins bien que le passé qu’ils ont connu, et qu’on leur demande, pour que ce futur existe, de supporter des sacrifices. Parce que les discours dominants les en persuadent ! Regardez la situation dans les rues d’Athènes…
Mais comment voulez-vous faire accepter des sacrifices à des gens pour construire un futur pire que le passé ? Les émeutes, par exemple, sont d’abord un signe de révolte sociale, plutôt qu’un acte criminel.
Dès lors, que faire ? Premièrement, expliquer que le futur sera meilleur que le passé. Que les sacrifices demandés sont équitables, et qu’ils s’effectuent au nom d’une transformation vertueuse. Pour utiliser encore une métaphore, cette transformation est celle d’une chenille en papillon. Cette modification moléculaire est source d’un haut niveau de tensions, mais celles-ci peuvent être dépassées si le but poursuivi (le papillon) est clairement explicité. J’en suis convaincu à titre personnel. Le futur sera plus multiculturel, plus intelligent, beaucoup plus incertain donc beaucoup plus créatif. A cette condition, on peut mettre en place des systèmes de sécurité, socialement acceptables.
Mais il n’y a pas de recette miracle pour éviter une crise immédiate. Nous sommes au début d’un processus, qui va durer de 20 à 50 ans, et les phénomènes de violence sont bien évidemment devant nous, en attendant que le monde converge vers un modèle différent, plus multiculturel. Il va se passer beaucoup de choses d’ici là. Le modèle chinois par exemple va s’écrouler sur lui-même, parce qu’il est culturellement fermé depuis 2 000 ans. Il est déstabilisé par l’ouverture sans qu’il s’en rende compte. Pour l’instant, il ne rattrape qu’un retard économique. 

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