Du capitalisme organisation au capitalisme cognitif ou de singularité
(Démocratie 2)
Pour mieux comprendre la crise de
l’égalité que vit actuellement notre société, Pierre Rosanvallon, dans ses
derniers cours 2011 sur « Qu’est-ce qu’une société
démocratique ? », caractérise ainsi les changements économiques
advenus depuis cinquante ans : nous sommes passés du capitalisme
organisation au capitalisme cognitif ou de singularité.
Que veut-il dire par là ?
Le capitalisme organisation des années soixante :
Le
poids des idées de Keynes (poids de la demande, et donc de la redistribution),
relayées par celles de John Kenneth Galbraith, Andrew Schonfield et Peter Drucker ont dans les années 60 ont
construit la vision d'une économie où l’entreprise est une institution
permanente.
Les
traits dominants de cette vision sont :
- La planification : elle est nécessaire,
car le marché ne peut satisfaire aux conditions du développement.
- L’indépendance : vu leur
taille, elles sont affranchies du poids de la bourse et de leurs actionnaires,
ont peu à emprunter, et sont libres par rapport aux banques. Elles sont indépendantes de l’État, du marché et
des actionnaires.
- La technostructure : elles sont
tellement complexes que personne ne peut de l’extérieur contester leurs décisions.
La technostructure garantit la performance, en l’enlevant aux individus, ce
avec l’appui de la technologie et de la planification. Le pouvoir est passé de
l’individu au groupe. La performance est liée à l’organisation, et non pas à la
qualité des hommes : c’est avec des hommes ordinaires, que l’on arrive au
succès, et il faut faire faire des choses extraordinaires à des hommes
ordinaires. Le PDG lui-même n’est pas si important, c’est
l’entreprise qui l’est.
- La collectivité
: on est fier de s’abandonner à elle. L’écart de revenu est faible (Peter
Drucker recommande un écart de 1 à 20), et peu d’actions sont distribuées. La
maximisation du profit est le résultat de l’organisation, et non pas de la
volonté des dirigeants. Ceci est repris par Raymond Aron en France qui dit que
le taux de prélèvement fiscal de 55 à 60% sur les hauts revenus est acceptable,
et n’a pas d’effet négatif.
Dans cette conception, l’ouvrier est interchangeable, la performance collective, et il y a désindividualisation.
Dans cette conception, l’ouvrier est interchangeable, la performance collective, et il y a désindividualisation.
Le capitalisme contemporain : le capitalisme cognitif ou de singularité
Les
idées des années soixante sont battues en brèche : il n’ y a plus de
mobilisation de masse, mais un appel à l’individu, à la singularisation du
travail, et la créativité individuelle est essentielle.
Les
nouveaux traits dominants sont :
- L’innovation : il y a eu peu d’innovation
pendant les Trente glorieuses, les entreprises exploitant les innovations
précédentes, et la liste des grandes entreprises est restée très stable des
années 50 aux années 80. Tout a changé dans les années 90.
- L’importance de la relation : le
service et la relation avec le consommateur deviennent essentiels, l’accès à
l’information primordial, ainsi que la notion de qualité
- l’individualisation : Les conditions de
travail sont modifiées avec plus de souplesse (ce qui va avec la disparition du Plan
en France), et il ne s’agit plus simplement d'appliquer des procédures,
mais les prises d’initiative sont importantes. D’où le remplacement des qualifications
(notion uniforme présente dans les conventions collectives) par des compétences
(défini par le sociologue Denis Segrestin, dans les Chantiers du manager : « celui
qui sait prendre les bonnes décisions pour faire face à l’imprévu »).
L’individu ne s’identifie plus à une classe de travail, mais il est singulier et doit s’investir de façon personnelle, et ses rémunérations sont individualisées.
L’individu ne s’identifie plus à une classe de travail, mais il est singulier et doit s’investir de façon personnelle, et ses rémunérations sont individualisées.
(à suivre)
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