Promenade en terres indiennes (5)
Calcutta,
c’est New York. Mais le New York des origines, primaire et violent. La
quintessence de la ville, à la fois mécanique et humaine, chaleureuse et
chaotique.
A
l’appui de son propos, elle montra le pont métallique, qui enjambait le fleuve,
et était tapissé du jaune du trafic des taxis. Quelques tâches grises, noires
ou marron, surnageaient comme autant d’erreurs et de malentendus. Conscientes
de leur vulnérabilité et de l’incongruité de leur présence, de voyager en terre
étrangère et facilement hostile, de n’être que tolérées, elles se faisaient
discrètes, tentant de se faire oublier et glissant plutôt que de rouler. Les
taxis, forts de leur supériorité numérique, insolents comme des enfants se
sachant en terre conquise, avançaient comme bon leur semblait. Le code de la
route, à supposer qu’il y en eut eu un, ne s’appliquait pas à eux. Les sens
uniques étaient au mieux des indications de tendance.
Au cœur
de cette hémorragie jaune, émergeaient aléatoirement des policiers qui, au
milieu des carrefours, tentaient de réguler le flux compact, joyeux et
aléatoire. Certains multipliaient des gestes, qui dessinaient des courbes dans
l’espace, ceci selon un tempo et une forme propres et sans liens avec ceux du
trafic. Ils n’étaient que des chefs d’orchestre impuissants, face à des
musiciens déterminés à jouer chacun le morceau qui lui plaisait.
D’autres
plus lucides bougeaient avec parcimonie, et pour ainsi dire presque pas du
tout. Ils se contentaient d’être là, virgules censées représenter l’autorité,
mais en fait seulement symboles depuis longtemps dénués de toute puissance. Ils
étaient des statues représentant des dieux ou des déesses du temps jadis, et
que plus personne ne venait adorer. On les visitait pour les regarder, mais
sans tenir aucun compte du sens que pouvaient avoir leurs présences. Ils
n’étaient que des décorations venant ponctuer la jungle goudronnée de Calcutta.
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