La confiance réduit la complexité de l’environnement, et libère les
énergies
J’ai déjà eu l’occasion à
plusieurs reprises d’aborder le thème de la confiance sur ce blog, que ce soit
en liaison avec celui de la confrontation1 – on ne peut se confronter
ensemble que si un climat confiance existe, sinon la confrontation tourne
rapidement au conflit –, ou en me faisant l’écho des travaux d’Yves Algan qui a
montré le lien entre croissance et confiance, et a mis l’accent sur le déficit
de confiance existant en France.2
Le 17 mars 2010, toujours dans le
cadre du cours de Pierre Rosanvallon au Collège de France, Louis Quéré,
sociologue, directeur de recherche au Centre d’Étude des mouvements sociaux, a
fait une intervention sur ce thème qui s’articule très directement avec mes
propos.3
Après y avoir montré les limites
de l’approche de la confiance, tant dans les sondages (comment peut-on évaluer
un degré de confiance au travers de questions, alors que le mot lui-même
recouvre tellement de notions différentes et complexes ?) que dans le
cadre de l’approche rationnelle de la théorie des jeux (confusion entre volonté
de coopération et confiance, liaison obligatoire entre confiance et existence
d’une relation avec un individu donné et une situation donnée), il reprend
synthétiquement les approches développées par Georg Simmel dans la Philosophie
de l’argent, sur les quatre niveaux de confiance vis-à-vis de la monnaie :
- La confiance dans les
institutions qui garantissent les monnaies,
- La confiance dans l’aptitude du
système économique de pouvoir remplacer la valeur d’une monnaie contre une
contrepartie physique,
- La confiance dans la capacité à
trouver réellement des personnes qui accepteront de réaliser ces transactions
(principe de vraisemblance),
- La confiance en une personne
qui se traduit dans un crédit commercial.
Les deux derniers niveaux font
intervenir des personnes physiques, alors que les deux premiers ont trait à des
personnes morales, des systèmes ou des institutions.
Dans le troisième niveau, ceci se
rapproche d’une capacité d’extrapolation : sur la base de nos
connaissances, nous pensons qu’il est vraisemblable, et donc probable que ceci
ait lieu. C’est la confiance du paysan quand il sème des graines dans son
champ : son expérience lui montre qu’il devrait l’année prochaine avoir
une récolte. C’est aussi l’expertise d’un producteur qui prévoit que tel
bien devrait être vendu une fois qu’il sera fabriqué et mis en vente.
Ce type de confiance est une
inférence à partir du passé, une croyance fondée sur une induction. C’est
directement lié avec le mode de fonctionnement de notre cerveau qui,
précisément, fonctionne en anticipant constamment le futur à partir de notre
connaissance du passé.4
Dans le quatrième niveau,
intervient un acte de foi : on croît en quelqu’un. Alors que nous n’avons
pas tous les éléments, nous portons un jugement positif par rapport au futur,
et sur la capacité de l’autre à tenir ses engagements. Il y a une forme
d’abandon à la vision que nous avons de l’autre.
La confiance est alors une
situation intermédiaire entre la connaissance absolue et l’ignorance
complète : celui qui sait tout n’a pas besoin de faire confiance ;
celui qui ne sait rien, ne peut pas faire confiance.
Louis Quéré insiste sur le
caractère à la fois risqué et libérateur de ce quatrième niveau :
- Risqué, car on n’a pas toutes
les assurances, on devient dépendant de l’autre, et on s’en remet à lui, au
moins partiellement,
- Libérateur, car cet abandon
évite de s’épuiser dans la multiplication des garanties et dans une recherche
de contrôle5 impossible en milieu incertain. Renonçant à en savoir
plus, et à avoir plus de garanties, la confiance réduit la complexité de
l’environnement. On remplace l’incertitude du futur par une assurance
intérieure.
Ce dernier point est très
précisément le propos qu’avait développé Yves Algan, et que j’ai aussi repris à
de multiples reprises : le management dans l’incertitude suppose le
lâcher-prise, et ce dernier impose la confiance en les autres et en ses propres
intuitions.
(1) Voir Confrontation et confiance, le tandem de l’incertitude et Comment comprendre et agir ensemble sans confiance ?
(2) Voir Comment vivre la complexité sans confiance ? et Veut-on attendre que la France devienne le tiers-monde de l’Europe ?
(4) Voir mes articles sur les
travaux de Stanislas Dehaene sur le cerveau statisticien (articles du 3 au 13
septembre dernier)
(5) Louis Quéré cite le propos de
Lénine : « La confiance, c’est bien. Le contrôle, c’est mieux. »
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