15 oct. 2012

« OÙ PEUT DONC ÊTRE LA SCIENCE LÀ OÙ TOUT EST VAGUE, OÙ TOUT DÉPEND DE CIRCONSTANCES INNOMBRABLES ? »

Quand Léon Tolstoï méditait sur l’art de la guerre et le rôle du Général en chef
La campagne de Russie menée par Napoléon est au cœur de La Guerre et La Paix. Léon Tolstoï y mène une réflexion sur la portée réelle des décisions prises par quelques individus, fussent-ils les commandants en chef, versus les circonstances et la réalité de ce qui se passe sur le front.
J’y vois une matière utile à méditer pour tous ceux qui s’intéressent au management et à l’impact des dirigeants.
En voici quelques extraits :
Sur le libre-arbitre et le pouvoir autonome du chef
« C'est donc de leur ensemble, et non de l'une d'elles en particulier, que les événements ont été la conséquence fatale : ils se sont accomplis parce qu'ils devaient s'accomplir, et il arriva ainsi que des millions d'hommes, répudiant tout bon sens et tout sentiment humain, se mirent en marche de l'Ouest vers l'Est pour aller massacrer leurs semblables, comme, quelques siècles auparavant, des hordes innombrables s'étaient précipitées de l'Est vers l'Ouest, en tuant tout sur leur passage ! »
« Le fatalisme est inévitable dans l’histoire si l’on veut en comprendre les manifestations illogiques, ou, du moins celles dont nous n’entrevoyons pas le sens et dont l’illogisme grandit à nos yeux, à mesure que nous nous efforçons de nous en rendre compte. »
« Bien que Napoléon plus que jamais convaincu, en l’an de grâce 1812, qu’il dépendait de lui seul de ne pas verser le sang de ses peuples, plus que jamais au contraire il était assujetti à ces ordres mystérieux de l’histoire qui le poussaient fatalement en avant, tout en lui laissant croire à son libre arbitre (…) Aucun des actes de leur soi-disant libre arbitre n'est un acte volontaire: il est lié à priori à la marche générale de l'histoire et de l'humanité, et sa place y est fixée à l'avance de toute éternité. »
Sur la capacité à prévoir et à anticiper précisément ce qui va se passer
« Comment existerait-il une théorie et une science là où les conditions et les circonstances restent inconnues et où les forces agissantes ne sauraient être déterminées avec précision? Quelqu'un peut-il deviner quelle sera la position de notre armée et celle de l'ennemi dans vingt-quatre heures d’ici ? »
« Où peut donc être la science là où tout est vague, où tout dépend de circonstances innombrables, dont la valeur ne saurait être calculée en vue d'une certaine minute, puisque l'instant précis de cette minute est inconnu ? »
Sur l’impact des États-majors
« Et puis, le cavalier n’est-il pas toujours plus fort que le pion, et deux pions plus forts qu’un, tandis qu’à la guerre un bataillon est parfois plus fort qu’un division, et parfois plus faible qu’une compagnie ? Le rapport de forces de deux armées reste toujours inconnu. Crois-moi : si le résultat dépendait toujours des ordres donnés par les états-majors, j’y serais resté, et j’aurais donné des ordres comme les autres. »
« A la suite de ces rapports, faux par la force même des circonstances, Napoléon faisait des dispositions qui, si elles n’avaient pas déjà été prises par d’autres d’une manière plus opportune, auraient été inexécutables. Les maréchaux et les généraux, plus rapprochés que lui du champ de bataille et ne s’exposant aux balles que de temps à autre, prenaient leurs mesures sans en référer à Napoléon, dirigeaient le feu, faisaient avancer la cavalerie d’un côté et courir l’infanterie d’un autre. Mails leurs ordres n’étaient le plus souvent exécutés qu’à moitié, de travers ou pas du tout. »

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