A la découverte de « Thinking, Fast and Slow » de Daniel Kahneman (14)
Au travers de ses travaux et ses écrits, Daniel Kahneman a montré la complexité de nos motivations, pourquoi nous allions faire tel ou tel choix, comment ce n’était pas la simple perspective d’un gain qui allait nous décider, et combien le risque de perdre ce que nous avions déjà pouvait nous tétaniser.
Il a ainsi dressé un tableau de nous les humains, bien éloignés de ces êtres mathématiques et logiques que manipulent les économistes. Il résume ceci au travers d’une expression simple et parlante :
« Mes collègues économistes travaillaient dans le bâtiment voisin, mais je n'avais pas pris la mesure des profondes différences entre nos mondes intellectuels. Pour un psychologue, il est évident que les gens ne sont ni complètement rationnels, ni complètement égoïstes, et que leurs goûts sont tout sauf stables. C'était comme si nos disciplines étudiaient deux espèces différentes, que l'économiste comportemental Richard Thaler a baptisées par la suite les Econs et les Humains. Contrairement aux Econs, les Humains que connaissent les psychologues ont un Système 1. Leur vision du monde est limitée par les informations dont ils disposent à un moment donné (COVERA), et par conséquent, ils ne peuvent pas faire preuve de la même constance et de la même logique que les Econs. »
Les Econs et les Humains, voilà bien un des problèmes majeurs non seulement en économie, mais en management : j’ai croisé des dirigeants qui, trop bien formés et déformés par leurs études, croyaient leurs entreprises peuplés d’Econs, c’est-à-dire d’individus logiques et rationnels. Ces mêmes dirigeants oublient combien eux-mêmes ne sont pas des Econs, et combien ils sont mûs par leurs ambitions, leurs peurs et leurs émotions…
S’ils étaient un peu plus attentifs à la nature humaine des comportements, ils comprendraient pourquoi les changements qu’ils proposent génèrent plus de peurs que d’adhésion, pourquoi « ceux qui risquent de perdre se battront avec plus d’acharnement que ceux qui pourraient en tirer parti. »
S’ils étaient un peu plus informés des travaux de Daniel Kahneman, ils sauraient qu’un gestionnaire de portefeuille n’a pas un comportement rationnel, et qu’il cherchera toujours à vendre d’abord les titres sur lesquels il a le plus gagné depuis leur prix d’achat, et non pas ceux qui ont le moins de perspectives de plus-value.
Il est vrai par contre que « les vendeurs apprennent rapidement qu'en manipulant le contexte dans lequel un client voit un produit, ils peuvent profondément influencer ses préférences. » La vente est souvent l’art de manipuler les réflexes induits par le Système 1 des clients.
Est-ce rêver que penser que l’on pourrait construire un monde où les dirigeants politiques comme économiques tiendraient compte de tous ces enseignements ?
Pour terminer cette longue promenade dans le dernier livre de Daniel Kahneman, je lui laisse la parole avec une phrase qui résume toute son humanité :
« Les pauvres pensent comme les traders, mais la dynamique n'est pas du tout la même. Contrairement aux courtiers, les pauvres ne sont pas insensibles aux différences entre le gain et la perte. Leur problème, c'est qu'ils n'ont de choix qu'entre des pertes. »
(1) Dessin emprunté à la vaste bibliothèque des pensées du chat de Philippe Geluck…
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