Sur le sable de Puri (2010) (2)
Laissons donc la plage et son sable à sa juxtaposition sociale, faisons confiance aux life guards pour assurer l’ordre du côté des touristes, et à la cosmogonie des divinités indiennes pour garantir la survie des pêcheurs, et partons à l’exploration des rues de Puri.
Au pied d’un temple interdit à tous les étrangers, se trouve un marchand de couleurs. Devant lui, une palette d’ocres et de rouges. Son regard est absent. Tourné vers le sol, plongé dans une catalepsie méditative, il est la statue qui ponctue de blanc ce damier or et pourpre.
Aucun pinceau, aucune toile ne sont nécessaires. C’est la peau même qui sert de support. Travestissement sacré ou plaisir du déguisement ? Pourquoi donc répondre à cette question inutile ? Pourquoi s’enfermer dans un choix artificiel ? Ici les oppositions s’effacent, et les réalités cohabitent.
A une autre extrémité de la ville, se trouve une guinguette insolite : un chinese fast food, le Maa Dakhinakali. Serait-ce la succursale d’une franchise aux implantations multiples ? Le concept est-il à ce point rodé qu’aucun chinois n’est nécessaire à sa réalisation ?
Car enfin, j’ai beau chercher de toutes parts, je n’aperçois que des indiens tout autour. Je n’ai jamais vu, et ne verrai jamais plus depuis lors, un endroit moins chinois que ce fast food en plein air.
Je devrais m’arrêter pour goûter la cuisine et tester si elle correspond bien à la promesse. Mais inconsistant dans mon immersion locale, je décide de poursuivre mon chemin, et laisse à d’autres faire la vérification.
A quelques pas de là, des chiens dorment sur la chaussée. Insensibles au trafic qui les environne, ignorant des deux roues motorisés ou non qui les approchent, ils restent inertes. Se prennent-ils pour des vaches sacrées ? Sont-ils une réincarnation canine de ces bovins déifiés ? Comment savoir ?
Je reste longuement à les observer, j’avance doucement et respectueusement vers eux, j’essaie d’amorcer un échange avec leur puissance immobile. Rien n’y fait. Comme pour le reste du monde, ils méprisent ma présence. Enfouis au plus profond de leur être, conscients de la vacuité du monde, ils sont.
Plus tard, assis sur le sable, seul, la nuit tombée, je repenserai à eux. J’essaierai à mon tour de m’abstraire de ce qui m’environne, et d’atteindre le calme de leur abstraction. En vain. Je ne suis et ne serai à tout jamais qu’un pauvre être humain, et, qui plus est, un occidental.
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