Décider sans savoir pourquoi (3)
On aboutit à la synthèse suivante : un cerveau entérique qui pilote la digestion, un cerveau central qui, déchargé de cette tâche essentielle mais locale, gère le complexe. Je digère en bas, je pense en haut. Entre les deux, un nerf vague relie les deux pour transmettre ce qui doit l’être.
Belle vision mécanique du fonctionnement de notre corps… mais trop simpliste et incomplète.
D’abord parce que l’interaction entre les deux ne se fait pas que par le biais des voies dites normales. Par exemple, la sérotonine qui est produite par le cerveau entérique pour piloter le processus de la digestion, est aussi un des neurotransmetteurs utilisés par notre cortex : elle joue un rôle dans le sommeil, la dépression, l’agressivité, ou le contrôle de la douleur. Aussi quand nos neurones intestinaux en produisent en excès, et qu’une partie vient se perdre dans notre sang, un peu de cette sérotonine vient influencer nos émotions : sans en être conscients, nous vivons sous l’influence de notre ventre. Nous voilà donc avoir littéralement la peur au ventre ! Comme quoi, nos mots ont anticipé ce que nous ne venons que de comprendre. Si les messages transmis par notre cerveau entérique n’atteignent pas notre conscience, ils agissent sur notre capacité à voir le monde : notre ventre contribue à notre inconscient.
Nous découvrons aussi que le ventre et la tête partagent bon nombre de maladies. Ainsi la maladie de Parkinson et la dépression pourraient apparaître d’abord dans le cerveau intestinal. En Chine, grâce à un traitement par acupuncture abdominale, on arrive à traiter la dépression : je pique le ventre, et mes soucis s’en vont. Pourra-t-on demain faire des diagnostics préventifs en prélevant un morceau d’intestin ? Ce serait un double bénéfice : savoir plus tôt et sans avoir à faire une biopsie dangereuse du cerveau.
Finalement, une image pertinente du fonctionnement de notre corps est de le voir comme un monde de tubes, de fluides et de tuyaux, un réseau complexe au sein duquel des informations et des messages sont continûment échangés. De ce réseau, selon des modalités qui nous dépassent et dont nous ne percevons encore que des bribes, émergent des propriétés. Telle est d’ailleurs l’approche de la médecine chinoise qui pense globalement le corps : elle le conçoit comme un ensemble de flux d’énergies reliés au reste de l’univers. En Occident, on analyse chaque élément ; en Chine, on s’intéresse au tout, aux relations entre les différentes parties du corps.
(à suivre)
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