20 nov. 2015

A DEUX ENTRE-DEUX

Perdus
Au dernier étage du Seven Seventeen, un modeste hôtel tenu par un couple de tibétains, cocktail mélangeant des objets religieux, des dorures inutiles, des pièces dépouillées, et des éclairages au néon. 
A droite et à gauche, vue en plongée sur Darjeeling. Des rues étroites sillonnées de piétons et de chiens s’évitant les uns les autres, et parcourant des pentes abruptes. Des maisons qui s’accrochent tant bien que mal les unes aux autres pour ne pas dévaler la pente.
Devant, le brouillard est tel que le regard ne porte qu’à quelques centaines de mètres, et que les sommets de l’Himalaya sont gommés. Une mer cotonneuse, parsemée de quelques toits. L’absence de perspective est reposante, confortable comme une couette.
Je suis un nouveau-né, emmailloté de coton, sans horizon ni visuel, ni temporel, ni sentimental. Je ne vois qu’à quelques mètres, aveugle dans une ville inconnue. Je ne prévois plus rien, car le temps n’est que répétition. Blotti dans les bras qui me quitteront dans quelques jours, je suis dans un cocon parfait. L’ouate m’enveloppe et me protège. 
Parfois, la brume se fracture, et les montagnes apparaissent. Étaient-elles là avant ou viennent-elles de naître ? Les voir, c’est avoir envie de se déplacer, d’aller vers elles, de les escalader. Ensuite, quand la brume revient, les avoir vues, c’est ressentir une absence, s’escrimer à les deviner, et vouloir percer le mur d’eau qui nous en sépare. Le vide devient manque.
Parfois, nous parlons l’un et l’autre de ce que nous ferons après. Lui de son retour à Calcutta, moi de mes projets de livres. La magie disparaît, et le temps coule de cette brèche. Nous émergeons et rêvons inutilement d’une impossible relation. Sa peau me devient moins douce, son sourire moins enchanteur, et ses mots moins mélodieux.
Heureusement ces fractures dévastatrices ne sont que rares et provisoires. Rapidement, nous oublions les montagnes et l’illusion de notre union. 
Délicieusement, nous nous noyons dans cet entre-deux…

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